Lieu commun n°8 : Faut de tout pour faire un monde.

Le 05/03/2016
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par Mill
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Rubriques / Lieux communs
Comme disait Nietzsche "Personne dans le monde ne marche du même pas et même si la Terre est ronde on ne se rencontre pas. Les apparences et les préférences ont trop d'importance. Acceptons les différences. C'est vrai, faut de tout tu sais. Faut de tout c'est vrai. Faut de tout pour faire un monde." mais Mill ne semble pas trop d'accord et lui rentre frontalement dans le lard dans sa rubrique "Lieu communs". Ici le huitième numéro officiel de la série. Rappelons que c'est l'initiative collective qui marche le mieux depuis des lustres sur la Zone même si c'est sur un malentendu. Nouveau billet d'humeur où nos a-priori se font tailler un costard et remonter les bretelles. Les voilà donc habillés pour l'hiver dans un style hors norme parce qu'il est vrai que les costards et les bretelles ne se marient pas très bien ensemble. Alors Mill répondra à Nietzsche que chacun peut bien avoir son avis. Ce à quoi Nietzsche rétorquera : "C'est le sien, tu as le tien et j'ai le mien !" Mill dans un phrasé impeccable saura rester sur sa posture. Ce à quoi Nietzsche concédera : "Alors donnons-nous la main..." et Mill puisque le philosophe aura tant insisté lui décochera un bourre-pif. Le texte du générique d'Arnold et Willy semble avoir été écrit par un de ces racistes qui s'ignorent. Heureusement Mill traite le lieu commun de manière plus générale et forcément puisque c'est l'exercice en évitant les stéréotypes casse-gueules.
Harassé, dépité, terrassé par l'escarmouche d'antan, un accrochage qui n'avait d'urbain que le contexte géographique dans lequel il s'est déroulé, tu t'es assis ensuite, en quête d'un souffle d'air, t'oxygéner les poumons, la tête, le coeur, penser à autre chose, choper l'humiliation récente pour la plier en quatre, en huit, en seize et l'enfouir au fond de ta poche. Tu n'y reviendras plus. Pas devant les autres, les bienveillants, les doux, les tendres, tu ne les accableras plus de tes plaintes, le monde est ce qu'il est et tu t'en accommodes, comme on apprend à vivre avec une douleur, un deuil ou un cancer.
    Tu l'as répétée, pourtant, plus d'une fois, cette phrase lugubre qui pue la résignation. Tu l'as apprise de tes vieux, ou de ceux de quelqu'un d'autre, elle te taraude et t'envahit. Tu professes cette vérité sans jamais remettre en question les implications sourdes qu'elle véhicule sans la moindre gaieté.
    S'il faut de tout pour faire un monde, tu acceptes la mort et la souffrance, le vol à main armée qui vire au massacre, la drogue coupée aux bris de verre et les séquelles tortueuses de mille conflits injustes et dispensables. On a le droit de te marcher sur le crâne, de le réduire en miettes, d'en tirer un carnaval de confettis. Il est permis de te mentir, de te violer, de te jeter sous un train et d'attaquer la compagnie de chemin de fer pour avoir omis de stipuler, en caractères gras et lisibles, qu'il fait pas bon pratiquer la brasse crawlée sur des rails en parfait état de marche.
    Je t'observe.
    Souvent, oui, je t'observe. Sans t'épier, sans jamais m'inviter dans le monde qui est le tien. Il y règne un froid cadavérique, agrémenté de vents glaciaires, la neige y emprunte sa teinte noire à la nuit sans lune des cercles polaires. Je t'observe et je t'admire confusément, respectueux de cette force qui t'autorise le pas en avant que je répugne parfois à esquisser, méprisant toutefois l'acceptation dogmatique dans laquelle tu t'engonces, t'enfermes et te recroquevilles. Tu juges davantage mais ne condamnes jamais. Et ton jugement frustré alimente les haines séculaires de ceux qui n'ont d'autre choix que de s'asseoir pour reprendre leur souffle en prononçant cette phrase. Et ton jugement destructeur nourrit les urnes des ennemis de l'humanité. Et ton jugement poltron, pusillanime jusque dans l'exhalaison incomplète de tes soupirs inachevés, m'enverra peut-être un jour pleurer sur l'échafaud pour avoir osé rêver.
    Le monde est ce qu'on en fait.
    Il n'est pas interdit d'espérer.