Lieu commun n°9 : Il n'y a pas de noir et blanc, juste des nuances de gris

Le 11/03/2016
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par Mill
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Rubriques / Lieux communs
Nouveau billet d'humeur de la rubrique officielle de Mill "Lieu commun", le N°9, ici il est question d'un argument souvent employé dans les débats de tout type : "Penser binaire dans un domaine précis, c'est être soi-même binaire, quelque soit le domaine." C'est fallacieux, infondé mais c'est très répandu. Une arme redoutable pour décrédibiliser ses détracteurs. Et c'est vrai qu'il faut de nos jours savoir se montrer contrasté dans tout et n'importe quoi, cacher que parfois dans certains sujets précis, on a des opinions tranchées, non négociables, qui ne laissent pas la place au consensus, parce que sinon tout de suite on nous soupçonne de prosélytisme, d'être des politiciens, des gourous infiltrés venu nous vendre leurs salades et nous endoctriner. Il est vrai que le salopard lambda assume et répète en boucle : "il faut diviser pour mieux régner", étrangement on ne soupçonne pas ceux qui créent des dégradés, des nuances subtiles entre deux concepts antithétiques forts, de vouloir rompre des clivages légitimes, pour tout relativiser, rafler la mise justement en subdivisant pour mieux régner. Tout n'est pas noir ou blanc certes, mais parfois si et méfiez-vous des colporteurs qui essaient de vous refourguer en permanence leurs patchworks infects sur tout et n'importe quoi. Par exemple, en ce moment, avec mes petits conseils paternalistes à deux balles, j'essaie de vous embrouiller. Tiens je vais mettre un photomontage d'Eric Zemmour en illustration. Imaginez qu'il vous traite de bisounours en permanence. ça devient tout de suite plus clair.
Il était une fois un monde parfait.
    Je t'assure. Un idéal de monde.
    Mort depuis, maintes fois révolu, archi-refoulé jusqu'au tréfonds des vieilles chaussettes puantes d'un clodo qui passait par là, parce que, vois-tu, le nom de ce monde, c'était Avant.
    Parce que c'était mieux avant.
    Lieu commun sur lequel je n'insisterai pas davantage, de peur d'accoucher de son confortable contraire - « il n'y a jamais eu d'âge d'or » - aussi complaisant, convenu et de courte visée que le premier.
    Cependant, cet Avant-là, je ne connais personne qui ne le regrette, par habitude, par conviction, par faiblesse, pour la simple et bonne raison que le bien se distinguait du mal, les méchants des gentils, les bons Français des Juifs, les Noirs des Blancs, les torchons des serviettes et les cumulonimbus des abribus, cunnilingus et autres prépuces, anus, rictus, tout ce que tu veux pourvu que ça suce.
    Manichéisme rassurant, désinvolte, rayonnant de clarté, paradigme de la Raison, de la Science, et de la parole de Dieu ! Qu'avons-nous fait, pauvres pécheurs, égarés dans ce scepticisme irrationnel et friable, père de toutes les infortunes et déviances de l'un des siècles les plus sombres de notre histoire ?
    Nous vivons une époque terrible, à la fois trouble et opaque, dont les tenants et aboutissants demeurent l'apanage des relativistes : au noir et blanc d'antan, peu soucieux de la référence obligée au yin et au yang de nos voisins débridés, l'on nous oppose des couches et des couches d'une grisaille ambiante, morose, sans plus de nuances que la fameuse dichotomie qu'ils entendent remplacer. Le monde d'aujourd'hui est monochrome, illustré et colorié par une sombre assemblée de daltoniens aux idées délavées, à jamais encrassées de cette poussière cendrée qu'ils confondent avec la gouache.
    J'emmerde Avant mais le gris, clair ou foncé, sable ou bistré, jaunâtre, à tendance beige ou brune, le gris m'affadit les sens et me ternit l'esprit. Le monde est de couleurs, de lumières et d'ombres. Il change à chaque instant et, pour qui sait regarder, renvoie mille palettes différentes selon la prise de vue, le champ de vision, le climat, la température, l'état de ton âme, la sueur de ton cerveau.
    Ouvre les yeux.
    Je t'en prie, ouvre les yeux.
    Ta vie est un arc-en-ciel et tu chausses des lunettes noires.