Lieu commun n°12 : Pas que ça à foutre

Le 14/03/2016
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par Mill
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Rubriques / Lieux communs
Mill dans l'épisode 12 officiel de ses lieux communs nous fait une cover de "l'Homme Pressé" de "Noir Désir" alors "J'suis un militant quotidien de l'inhumanité. Et des profits immédiats. Et puis des faveurs des médias. Moi je suis riche, très riche. Je fais dans l'immobilier. Je sais faire des affaires. Y'en a qui peuvent payer. Et puis je traverse le temps. Je suis devenu omniprésent. Je suis une super référence. Je peux toujours ramener ma science. Moi je vais vite, très vite : Ma carrière est en jeu. Je suis l'homme médiatique.Moi je suis plus que politique" A moins que ce ne soit un mashup, un bootleg paradoxal et improbable avec "Immigrant Song" de "Led Zeppelin" "Les marteaux des dieux conduiront nos bateaux vers de nouvelles terres pour combattre la horde, criant et chantant: Valhalla, J'arrive ! Nous avançons au rythme de nos rames. Notre seul but est la côte ouest." quoi qu'il en soit "Qui veut de moi et des miettes de mon cerveau ?" Non, en fait comme à son habitude à présent, c'est à nouveau une brique compacte, un monolithe de littérature pure et le sujet n'est qu'un prétexte pour nous sermonner, nous enguirlander, mais avec classe. Et ça fait toute la différence.
Ah ouais ? Tu m'as l'air bien sûr de toi. Tu maîtrises ta vie et ton destin, c'est ça ? Tu détiens, dans le creux de ta paume, l'ultime secret qui mène à tout, la clef de vie, la connaissance, la mappemonde annotée par de sombres devins à capuche noire et idées larges ?
    Tu livres un combat absurde contre la faille, la crevasse et l'obstacle. Fasciné par le rythme de tes pieds qui avancent, infatigables et métriques, tu ne lèves plus les yeux au ciel, tes oreilles se bercent du frottement continu, régulier, de tes semelles sur caillasse, gravier, goudron, terre meuble, humus ou marbre, et dans l'oubli constant des balises qui te guident si finement, tu t'émerveilles de ne jamais glisser, tomber, cogner...
    Parce que ta ligne est claire et ton horizon limpide.
    Parce que tu sais, parce que tu crois, parce que le choix est un leurre, le libre-arbitre un concept, la volonté un instant, un simple instant de vide qui se connecte au néant. Nous ne contrôlons pas même notre respiration. Nous sommes les jouets de forces capricieuses, chaotiques et immenses. Et la puissance dont nous nous révélons parfois capables, sur un coup de chance ou parce que les planètes étaient alignées ce soir-là, cet afflux d'énergie ne nous appartient pas plus que le reste. Nous le louons, nous l'empruntons, et nul ne sait qui décide des termes du contrat.
    Pas que ça à foutre, à glander, à tortiller. Pas le temps pour gaudriole, farniente et à-côtés. On est pas là pour tricoter, mec, on marche le long d'une voie dont un sinistre farceur à piqué les panneaux, et faut qu'on reste concentré, attentif, au taquet comme jamais. Surtout ne pas se perdre dans un chemin de traverse, un énième cul-de-sac ou le raccourci trompeur que nous indique un ami, un parent, un présage que tu as cru lire dans le vol d'un oiseau ou dans le marc du café. Tiens-t'en au plan, au schéma descriptif, à l'algorithme de base, ne sors pas de l'ornière, ne quitte jamais les rails. Parce que tant que tu avances de la sorte, confiant mais blême, la mort te fuit et l'ennui recule.
    Tu n'en sais rien, au fond. Personne n'en sait rien.
    Le berger, sans son troupeau, se recroqueville autour de son ventre sec. Il en oublie la plaine et la montagne, le froid mordant sous sa cape de laine. Son chien le regarde et rit intérieurement, puis retourne dans son tonneau, hilare, secoué de certitudes dont il n'a que faire et qu'il conchie, indifférent. L'inertie nous guette, remarque-t-il, puis il vide ses intestins sur les sandales du berger.
    Vois, entends, assieds-toi et vis.
    T'as que ça à foutre, mon gars. Le reste, c'est de la propagande.