Lieu commun n°18 : Chuis pas dispo

Le 26/03/2016
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par Mill
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Rubriques / Lieux communs
Heureusement qu'il reste les lieux communs de Mill pour sauver la Zone du naufrage littéraire induit par l'overdose de rondels actuels. Et surtout nous sortir un bref instant de toute la beaufitude qui s'est abattue sur la Zone depuis le début du pré-concours de la Saint Con 2016, comme la foudre divine, comme une attaque neurotoxique de Bachar Al Assad. Les lieux communs, un îlot à préserver, un espace où se ressourcer. Rassurez-vous, j'ai prévu un petit sas de décompression avec l'image d'illustration pour vous éviter une embolie gazeuse cérébrale et vous aider à passer en douceur de l'ambiance re-lou qui domine la Zone à la beauté pure et singulière d'une littérature en prose, nuancée, ciselée, aux mots choisis, un à un, avec rigueur, sans concession, comme les oranges d'un tetrapack pure premium de Tropicana. N°18 de cette rubrique inspirante, antépénultième billet d'humeur de la série pour notre plus grand malheur. Mais rassurez-vous, Mill nous promet prochainement une nouvelle fournée. Alleluia !
Haussement d'épaules, sourcils qui froncent, nez qui retrousse et lèvres qui pincent - et le refus qui pointe à la lisière du mouais-peut-être, n'insiste pas, laisse-moi le temps, je reprends mon souffle et j'arrive.
    « Comprends-moi », se reprend-il ou elle, esquissant l'ombre d'un sourire pâle, « je me ressource, j'étais perdu(e), j'avais paumé mon planisphère, mon agenda, ma boussole, égaré le plan du tram, du bus et du métro, effacé les souvenirs qui marquaient mon ancrage dans ce récit inachevé dont je singe les personnages - tous sans exception - en m'efforçant d'ignorer la voix intérieure qui narre sans discontinuer. Elle ne se tait jamais, cette pute. Elle chemine entre les virgules et pérore, bavasse quand elle croit raconter. Elle ne m'accompagne pas - elle me dévore ».
    J'entends, je pige, je veux bien valider. J'objecte pourtant. Mes yeux guignent vers l'avenir et je marche en avant, les semelles défoncées, sans doute, mais j'ai l'allure lente et assurée.
    Il ou elle grimace une parodie paresseuse de quelque chose d'immonde qui se voudrait sourire. J'y vois de la haine de soi et un crachat pour ma gueule. Un jet de bile acide pour dissoudre mes traits. J'éponge - encore une fois, j'éponge.
    « Et si au moins je suivais, si je me rattachais au wagon, si mes roues défilaient sur ces rails amovibles. »
    Je barre « amovibles » et je propose « statiques ». Il ou elle réfléchit trois secondes, secoue la tête, s'insurge en silence, je rétablis sa version à l'encre sympathique. J'y reviendrai plus tard, si le temps l'autorise et si l'impulsion subsiste.
    « Je dois m'agenouiller quelque part, pencher le corps en avant, ouvrir ma gorge en grand, étirer les coins de ma bouche et vomir les bons moments. Plus que les mauvais, ils s'agrippent à mes membres, les lestent de rancoeur, les enduisent d'une mélasse qui ralentit mes gestes, le débit de ma voix, le train de banlieue de mes réflexions intimes. Je dois m'asseoir ensuite, éviter de bouger. Pas un muscle, un soupir, un tressautement. Je me veux minéral(e), figé(e) dans cette salle d'attente où les revues se ressemblent toutes et où le médecin de famille ne vient jamais me chercher. »
    Je ne dis rien d'intéressant, je ne rebondis pas, ne relance rien. L'histoire du spectateur qui veut voir la fin du film a cessé de m'intéresser depuis trop de temps pour que j'y revienne une fois de plus.
    Il ou elle se fout de mes tympans. Ses paroles se fondront quelque part, dans un mur, dans la terre, dans un voile de vapeur dont il ou elle s'entoure en guise de paravent.
    « Je ne suis là pour personne. Ma vie me dépasse et me piège à chaque instant. Je ne désire plus rien et mes rêves ressemblent à des caveaux peuplés de fichiers à détruire. Je dois lire et trier, et ta seule présence m'enlise. »
    Que la mort te croque en silence. J'ai d'autres vies à explorer.