Mon voisin le tueur

Le 05/04/2016
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par HaiKulysse
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Rubriques / Quelques éclaircissements
HaiKulysse nous livre la seconde partie qui fait suite à son texte "Matin Dégueulasse" http://www.lazone.org/articles/2766.html Après l'approche vianesque, le narrateur fait muter son récit pour plonger dans une longue description statique comme celles de Francis Ponge. Ce dernier est l'inventeur du ping-pong d'où le terme pongiste et le cousin de Bobley, bien sûr.
Les yeux fermés j'entends le bois qui travaille, les poutres, le vieux parquet, mon corps qui craque. Je regarde les murs et j'y vois des taches épaisses d'humidité : inondations dont je ne suis pas l'auteur, dont les parents ne m'ont jamais parlé, bien qu'elles affluent directement sur mon environnement. Il y a aussi ce bout de fresque arraché au papier peint. Je l'ai toujours connu ainsi, ce cours déstructuré des choses, d'éléments perturbateurs manquants...
Déstructuration sauvage aussi quand je joue le Scentless de Kurt, en gueulant des « Go away » et en laissant glisser ma langue entre les cordes de ma guitare désaccordée comme Jimmy Hendrix pendant un solo.
Je suis aussi bien un ensemble qu’une sous-partie de cette vieille bicoque qui se nourrit de l'immondice odeur de la rivière d'à côté ; cette même rivière qu'on voit sur les cartes postales au bureau de tabac du village, maintenant superflue par trop de déchets, de composants chimiques toxiques. Avec le détergent qu'elle recèle aujourd'hui, sous le soleil, on croirait un arc-en-ciel mort, posé là, sur un tapis roulant et prêt à la découpe.
C'est là aussi, sur ses abords, que la haute police a découvert, un matin dessiné à la craie bleue d'un ciel printanier, la charogne crevée de Vian, le poète du lotissement. Les enquêteurs du Service de Police Criminelle l'ont dégagé des troncs abattus, des branches et des feuilles sèches avant de pratiquer à une autopsie minutieuse et de conclure logiquement à un meurtre abominable. Les empreintes ADN de l'assassin ont été relevé, ainsi j'ai appris par la une des journaux d'aujourd'hui qu'elles appartiennent à mon voisin fraîchement atterris sur le tarmac de l'aéroport de la Cité d'Arkham.

Les points d'impact de balles dans la véranda attestent encore de l'événement qui s'est déroulé dans l'impasse du lotissement il y a quelques semaines : le souvenir de cette terroriste criblée de balles et je ne peux m'empêcher de faire le lien avec mon voisin définitivement acquis à la cause de Daesh. Dans la chambre, le silence est éblouissant. Je pense aux poésies de Francis Ponge, et je m'imagine alors, subitement poussé par l'inspiration, dérivant et décrivant pendant de longues heures une orange minée par le soleil.
En repoussant ma couverture je m'aperçois que, fenêtre ouverte, la rosée l'a trempée. Ma chambre se lasse de moi et voudrait imbiber le monde extérieur, gagner du terrain sur le temps qui putréfie, les lois qui oppriment le poète de Daesh, le système qui m'entretient tout comme je l'entretiens.