02. Entretien d'embauche #SaintCon2016

Le 10/04/2016
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par Lilidroopie
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Thèmes / Saint-Con / 2016
Texte en compétition dans le cadre de la #SaintCon2016. Cette nouvelle traite du harcèlement sur le lieu de travail et en particulier du harcèlement sexuel, probablement un des pires et sans nul doute le plus grossier. Il s'agit pourtant toujours des mêmes causes : l'emprise d'un supérieur hiérarchique sur un candidat ou un subalterne, l'autoritarisme, l'abus de pouvoir, les menaces, des propositions de connivence indécentes. C'est aussi un irrespect total de la loi, des rapports contractuels qui nous lient. Le pet au casque d'un pervers narcissique et moral qui laisse la libre expression à ses fantasmes, sans le moindre verrou, sans la moindre considération de ceux dont il détruit les vies. Plus c'est gros et plus ça passe ? Diviser pour mieux régner ? Tous les archétypes du connard de base pas subtil pour un sous y passent ici, cependant parfois derrière les a priori se cache purement et simplement la réalité. Un bon gros con dont la combustion fait plaisir à lire. Cette année, l'auteur des textes demeure anonyme jusqu'au verdict des votes pour ne pas les influencer. Tant qu'il reste des textes à publier, il vous est toujours possible de poster une ou plusieurs contributions pour briguer le titre de Grand Inquisiteur de l'Ordre de Saint-Con.
Son père lui a toujours dit « L'indulgence est la première des vertus ». Va pour l'indulgence, même si le Directeur d'Exploitation l'a fait poireauter un bon quart d'heure à l'accueil.
Entrez, mademoiselle, je vous en prie.
Pamela pénètre dans le bureau de Patrick Boulgakoff. Il la jauge des pieds à la tête avec un sourire satisfait.
Allongez-vous, dit-il en tendant la main vers un canapé dans un coin de la pièce.
Pardon ?
Elle écarquille les yeux. C'est qui, ce gros con ? se dit-elle. C'est quoi cette question ? Aussitôt, il fige sur son visage une moue goguenarde, et lui fait un clin d’œil.
Je plaisante, bien sûr. (Il secoue son index dans sa direction) Vous savez, mademoiselle, l'humour est de mise dans cette entreprise. Il va falloir vous y faire, si vous souhaitez rejoindre notre grande famille.
Famille, mon cul, pense Pamela. Néanmoins, alors qu'il lui prend le bras pour l'accompagner à la chaise qui fait face à son bureau, elle se laisse guider et s'assied. L'homme est obèse, adipeux. Il souffle en contournant son bureau, et pose les fesses dans son fauteuil dans un bruissement de coussin qui ressemble à un pneu qui se dégonfle. Il ouvre un dossier jaune, en feuillette quelques pages, l'air soucieux.
Vous avez un BTS de secrétariat, c'est bien ça ?
Il ne prend pas la peine de lever son regard vers elle et continue à consulter les feuillets.
C'est bien ça, oui.
Bien ! (Il referme le dossier d'un coup sec, la regarde en souriant et croise ses doigts) Vous êtes disponible dès maintenant, si j'en crois votre lettre de motivation.
Absolument.
Il se recule dans le dossier du fauteuil, les doigts toujours croisés et cligne des yeux. Dans son visage gras, son regard n'est plus qu'une fente incisive à travers laquelle il tente de faire passer une intention autoritaire. Il fait partie de ces personnages qui sont persuadés que leur position sociale leur confère une forme d'intelligence supérieure dont ils sont dépourvus. Mais, par la force des choses, ils ne peuvent pas le savoir. En d'autres termes, il se la pète grand chef.
Voulez-vous boire quelque chose ? dit-il soudain en faisant pivoter le fauteuil devant une desserte où le whisky se mêle au gin et autres spiritueux.
Je préférerais un café, s'il vous plaît.
Voyons, mademoiselle, pas de ça entre nous ! (Pas de quoi ? se demande Pamela) J'ai par devers moi un excellent Bourbon qui ne demande qu'à être partagé.

Son père lui a toujours dit « L'alcool est ton pire ennemi ». Pas sûre que ce soit le pire.
Non, vraiment, Je vais m'en tenir au café. Je vous remercie.
Quel dommage... Nous aurions pu rouler sous la table, vous et moi. (Devant la mine stupéfaite de Pamela, il se reprend) JE PLAISANTE, bien sûr. Comment pouvez-vous imaginer une seule seconde que je puisse profiter de ma position pour obtenir des faveurs de votre part ? (La jeune fille reste muette, aussi il poursuit en frottant les paumes de ses mains l'une contre l'autre) Faveurs qui, par ailleurs, serait très appréciée par ma... (Il marque une pause), par ma DRH. (Il rit en rejetant la tête en arrière, tel une jeune donzelle qui se pâmerait devant ce qu'il imagine être son sceptre royal qu'il est en train de masser d'une main experte à travers le tissu de son pantalon) De l'humour, mademoiselle, de l'humour.
Il tourne son fauteuil vers la desserte et se verse un nouveau verre de whisky. Puis il se retourne vers Pamela.
Montrez-moi vos mains.
Pardon ?
Montrez-moi vos mains. Il faut que je vérifie si vous serez à même de pianoter sur le clavier de l'ordinateur.
Pamela se demande si elle a affaire à un pervers ou à un vulgaire porc. Mais ce poste, il est super bien payé. Elle mise sur le vulgaire porc doublé d'un connard patenté et lui tend ses mains, paumes sur le dessus, doigts serrés.
Permettez ?
Sans attendre sa réponse, il lui prend la main droite et écarte les doigts un à un. Un filet de bave coule de sa lèvre. Pamela le regarde, dégoûtée, et tente de retirer sa main. Il la retient un moment, puis la laisse s'échapper.
Vous avez les doigts tout à fait aptes. (Il avale une gorgée de whisky) Aptes, répète-t-il en suspendant son souffle.
Pamela ne moufte pas. Mais qui est donc ce gros porc lubrique ? Patrick Boulgakoff reprend soudain une posture directoriale.
Je suis le DIRECTEUR d'Exploitation de cette entreprise. Mon assistante personnelle m'a quittée, alors que sa période d'essai n'était même pas terminée. (Il ricane) Grand bien lui fasse. Elle ne trouvera jamais une place comme celle-ci, avec ce salaire. J'ai donc BESOIN de quelqu'un qui la remplace avec COMPETENCES. (Il pose son verre et se caresse le menton). Vous me semblez avoir toutes les compétences nécessaires, dit-il en se penchant pour regarder sous son bureau. Où ais-je mis mon dossier vert ? (Il se penche un peu plus) Ah zut, je ne le trouve pas (Il se maintient dans cette position jusqu'à ce que Pamela réajuste sa jupe sur ses genoux, puis se redresse). Charmante. Vraiment charmante. NOUS ALLONS FETER CA ! Un petit verre de whisky ?
Non vraiment. Mais si je pouvais avoir un café, je...
Il fait pivoter son fauteuil vers la desserte, se verse un verre et, malgré l'opposition de Pamela, lui en sert un également.
Ça ne vous fera pas de mal. Au contraire. Ça vous débouchera peut-être le trou du cul. (Il lève les mains en signe de reddition) JE PLAISANTE !

Son père lui a toujours dit « Femme qui rit, femme dans ton lit ». En l’occurrence, elle ne rit pas.
En quoi va consister mon travail ?
L'homme a le regard glauque.
Cette entreprise, fondée par mon très cher père - Dieu tout puissant ait son âme et qu'il le protège des mécréants - a toujours fabriqué de l'outillage. J'entends par là des boulons, des vis et des clous. Et toute sorte d'autres petites choses dont je n'ai strictement rien à cirer. La seule chose qui m'importe, c'est de palper du pognon. Je suis assez clair ?
Oui.
Pamela est tétanisée.
Votre travail va donc consister... (Il boit une gorgée de whisky et claque sa langue) Ce viski est excellent, dit-il en regardant son verre. Où en étions-nous ? (Il pose deux doigts sur son front, l'air de réfléchir profondément) Ah voui. Le pognon. (Il tente de se lever, mais se rassoit. Il secoue son index en direction de Pamela). Vous ne voulez vraiment pas boire votre visky ?
Non, merci.
Il tend la main, s'empare du verre qu'il lui a servit et le descend cul sec.
Votre travail va donc consistuer, pardon, CONSISTER à me faire gagner du pognon.
De quelle manière ?
En faisant bosser ces fainéants d'ouzriers... d'ouvriers. J'ai sué sang et eau pour en arriver là, et c'est pas ce jeune con de dézégué... de délégué zindical, qui va me faire chier avec ses négoziazions... négossassions... NEGOCIATIONS ! BORDEL !
Pamela se fait toute petite. Elle se rend bien compte qu'il n'y aura plus aucune information à recevoir de ce personnage. Mais elle ne bouge pas. Et subrepticement, enregistre la conversation sur son téléphone portable. Boulgakoff continue sa diatribe.
Déjà qu'ils nous prennent en otages dans le métro avec leurs putains de grèves ! Enfin, personnellement, sachez, mademoiselle, (Il lui fait un clin d’œil), que j'ai une voiture de fonction (Pour fêter cet aveu qui le met en valeur, il se ressert un verre et avale une nouvelle gorgée en fermant les yeux), alors le métro avec tous ces prolos, je m'en tape. Je m'en astique le jonc. JE PLAISANTE !
Il plonge la main dans un tiroir et en sort une boîte de cigares.
Un petit cigale ? Euh (Il secoue la tête, les yeux fermés) Un petit cigare ?
Elle secoue la tête sans mot dire.
Ah ben non, hein ! Les gonzesses, ça fume que des clopes, ou alors rien du tout, quand elles sont bouchées du cul ! Zêtes bouchée du cul, mademoiselle ? Comment y s'appelle le président des states, là ? Kilton ? Ouais, Kilton. Comment il lui a mis sévère à la Monica Zeblinski-mes-couilles, avec son cigare ! AH AH AH !
Pamela se dit qu'il est en train de friser l'apoplexie. Elle ne sait plus ce qu'elle doit faire. Sortir du bureau et prévenir la sécurité ? Ou bien attendre patiemment qu'il finisse par s' effondrer pour s'enfuir en douce ? Après tout, le poste lui est acquis, elle n'a rien à perdre. Alors, elle reste assise et elle l'écoute.
Cliton ! Voilà ! Y s'appelle Cliton ! Comme ton putain de clito, dit-il en se renfrognant.
Il se ressert un verre. La bouteille est presque vide. Pamela demeure impassible. Il la regarde, soudain muet. Et puis il se lève.

Son père lui a toujours dit « L'homme bourré, tu lui mets une petite claque, et il tombe ». Alors elle attend.
Il vient devant elle et descend sa braguette.
rgarde, t'en as jamais vu des comme ça. (Il sort de son pantalon un sexe fin et long qui peine à s'ériger) Attends, lui dit-il, y va se réveiller. (Il secoue l'appendice avec frénésie. Il y met tout son cœur) Là, ça vient. (Il reporte son regard sur Pamela) T'as vu ? Comment elle est melle, ma mite... Comment elle est belle, ma bite, hein ? T'en veux ? Tiens, suce.
S'il avait été un gentleman, il aurait rajouté salope. Mais il n'en fait rien. Il continue à se secouer la nouille sous les yeux ébahis de Pamela, le portable toujours allumé. Puis il retourne s'asseoir, visiblement mal en point, ferme les yeux et s'endort la bouche ouverte.

Son père lui a toujours dit « les preuves, c'est pas pour les couillons, faut s'en servir ». Elle n'en aura pas besoin.
Le quinze décembre 2015, alors que Pamela est en poste depuis une dizaine de jours, elle reçoit un coup de téléphone de l'hôtesse d'accueil.
Des messieurs de la Cour des comptes voudraient voir monsieur Boulgakoff.
Je descends, Catherine, faîtes-les patienter, s'il vous plaît.
Les experts de la Cour des comptes, après avoir reniflé une augure nauséabonde, exigent un audit et plongent en apnée dans les comptes de Patrick Boulgakoff.

Que de la merde.

Inexpliqués ? Vingt-cinq milles euros de matériel informatique. Dix-mille euros de frais de bouche. Juste deux-mille euros de whisky, une bagatelle. Le summum ira à son paroxysme lorsqu'ils découvriront que cent mille euros, à la louche, auront financé un cartel de prostitution qui livrait en France, pieds et poings liés, des enfants en provenance d'un orphelinat de Thaïlande.


Son père lui a toujours dit : « si c'est un feu de papier, jettes-y une casserole d'eau ». Ah ben non.
Le vingt-sept décembre 2015, entre Noël et le Jour de l'An, Patrick Boulgakoff allume un cigare, après quelques whisky dûment mérités. Il est quinze heures et il vient de rentrer d'un déjeuner copieux. Il se dit qu'une petite sieste serait tout à fait bienvenue. Aussi, il s'enfonce dans son fauteuil, laisse choir son cigare dans la corbeille à papier, et sombre aussitôt dans un sommeil bienfaisant.

Le feu embrasera la totalité de l'entreprise. Fort heureusement, les salariés seront sauvés, bien qu'aucun plan de sécurité n'ait été mis en place au préalable. On retrouvera, dans son bureau, le corps calciné du directeur d'Exploitation.

Le père de Pamela, cet homme sage, lui disait tous les soirs en rentrant de l'usine où il était employé « Mort aux cons. Si tu as une chose à retenir, c'est juste ça. N'oublie jamais, fillette ».