09. Les pingouins et le mangeur de verre. #SaintCon2016

Le 13/04/2016
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par CTRL X
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Thèmes / Saint-Con / 2016
Texte en compétition dans le cadre de la #SaintCon2016. Cette année, l'auteur des textes demeure anonyme jusqu'au verdict des votes pour ne pas les influencer. Excellente nouvelle qui aurait méritée d'être relue pas son auteur pour corriger quelques petites fautes avant d'être postée. Humour de haute volée et respect des traditions séculaires de la Saint-Con. Exemplaire, donc. Un récit avec des ruptures qui font sens et lui confèrent une aura charismatique. Tranche de vie, tranche de jambon : à vous de choisir. Prévoir de bien s'échauffer les zygomatiques avant de se lancer dans cette aventure de lecture de laquelle vous ne sortirez pas complètement indemne. Au final l'impression d'être le rescapé d'un attentat au gaz hilarant. Rappelons qu'il vous est toujours possible de poster une ou plusieurs contributions pour briguer le titre de Grand Inquisiteur de l'Ordre de Saint-Con, avant le 17 Avril.
Saint Con 2016.
Bonne fête à tous.
Il est 23h57, et je jouis.
Voilà ce qui se passe.
Mon fils n'est pas encore capable, semble-t-il, de se rendre seul à pied jusqu'au quartier Kronenbourg, où se trouve l'antenne locale SOS Médecin. Je lui ai pourtant dessiné un plan au feutre sur l'avant-bras, attaché son carnet de santé autour du cou et même glissé une boisson isotonique dans son sac à dos en mousse Lapin Crétin. N’empêche, c'est à huit bornes et il n'a que quatre ans. Bref, nous parlons d'une petite merde sans ambition. Je suis donc bien obligé (la mère du gosse menaçant de passer un appel gratuit à une notre avocat-conseil) de charger l’enfant fiévreux sur ma bicyclette et de pédaler comme un vulgaire sportif à travers le mauvais crachin d'un dimanche désespérément en dessous des valeurs saisonnières. Mon môme, j'ai oublié de lui mettre des gants, pour commencer. Je l'entends hurler dans mon dos : « Papa-mes-mains-papa-mes-mains-mes-mains-papa-que-n-ai-je-donc-vécu-que-pour-cette-infamie ! ». Du reste, moi aussi je peux gueuler :  « Fous les dans tes poches, Mozart ! ». « Ah ouais, pas con papa... », il me fait.
Bref, c'est pas du tout cette histoire là.
Pas du tout.

Je veux dire : nous sommes quand même arrivés chez SOS putain de Médecins, et puis, après avoir lu un article fort bien troussé s’intéressant à la fibromyalgie névrotique compensatoire et les troubles du canal carpien chez les cavaliers mongols ambidextres, un ancien garagiste serbo-croate a fait semblant d'améliorer le pronostic vital de mon fils. Le toubib en question lui a prescrit, en somme, un spray pour le nez (que nous n'irons pas chercher de toute façon, pour cause de pharmacie de garde Dieu sait où et non-remboursement du produit en question) et c'était déjà l'heure des foutre le camp...
- Carte vitale s'il vous plaît.
- La voici.
- Je vous mets du Doliprane, peut-être ?
- Non ça va, je vais simplement gifler le gamin jusqu'à ce que la fièvre finisse par tomber.
- Disons une boite.
- Albert Scweitzer de mes deux, va...
- Et vous, la pèche ?
- Ah, vous savez... Moi, je suis Charlie, tranquille. Je suce, j'avale et je dénonce l'évasion fiscale. J'ai une santé de fer.
- Méfiez-vous de la grippe elle est costaud cette année
- Retournez dans un de vos sales pays baltes, si vous êtes pas content.

Et non, donc, ce n'est pas cette histoire là, que j'avais en tête.
Enfin bon, maintenant j'y suis presque...

Engagés sur le chemin du retour, bien que nous envisageâmes un instant avec mon merdeux de tout plaquer pour boucler un tour du monde en vélo d'occasion sans jamais regonfler ce putain de pneu arrière, sur le chemin du retour donc, j'entends le gamin s'exclamer « Eh papa, t'as vu ? Des pingouins ! Y'a des pingouins, tu les as vus ? Eh, Papa ! » Les chieurs, si tu leur réponds pas un truc, même en cas d'hallucination manifeste, ils sont capables de se cramponner à tes couilles pendant des mois alors j'ai dit « Tu tripes, garçon. Aucun pingouin ne serait assez demeuré pour venir se perdre ici. A part ton con de père, éventuellement » « T'es un pingouin, toi ? On est des pingouins, nous, papa ? » me demande-t-il, faisant preuve d'une certaine logique malgré tout. « Pas de pingouins, point final. C'est l'Alsace, ici, tu sais. Cigognes et ragondins. Racisme ordinaire et vin blanc sec. Zéro pingouin.» « Mais si, regarde, les pingouins » insiste le drôle. Attention, c'est là que ça devient un tantinet choupinou. Je finis par comprendre l'origine de la confusion. Nous venons de passer devant un cimetière américain. Qu'est-ce qu'il fout là ? Bonne question. Disons que vous demanderez ça à une connasse de l'office du tourisme un jour ouvrable, entre 14H15 et 16H30 puisque vous êtes à ce point fascinés. Un cimetière américain, ce sont des rangées de petites croix blanches, toutes identiques, alignées à la perfection, sur de la belle pelouse de golfeur. Si vous voyez pas le rapport avec une bande de pingouins sur la banquise, c'est que vous n'êtes sans doute pas prêts à être père, tout va bien. Paix et félicité à vous, bande d'enculés. Maintenant je continue si ça emmerde personne.

« C'est pas des pingouins, ça, Kasparov » je lui dit. « Ben merde c'est quoi alors ? » il demande. Je pourrais répondre « Tais-toi maintenant s'il te plaît, papa est dans un faux-plat » ou « Soigne un peu ton langage fils de pute ». C'est à dire que je pourrais botter en touche, vu qu'on est pas fondamentalement obligé d'imposer la vérité crasse à un nabot encore incapable de se rendre à pieds chez son médecin-croate-traitant. Mais ce n'est pas l'idée que je me fais de l'éducation. Alors, je tourne pas autour du pot, comme le ferait sans aucun doute n'importe quelle salope de pédopsychiatre auvergnate, non, je dis : « C'est un cimetière, voilà. T'es content,  Chateaubriand ? ». « Un cimetière, c'est pour faire quoi ? ». Je me doutais bien que ça suffirait pas, alors : « C'est un endroit exprès pour enterrer les gens, une fois qu'ils sont morts. Pour chaque croix, un destin brisé, tu captes ? ».
« Mon papi, il est là, au cime-terre alors ? ».
Les enfants sont des enflures sans vergogne à l'hygiène nasale discutable, croyez-moi.
Mon vieux s'est foutu en l'air il y a quinze ans de ça, pour tout vous dire. La vie lui était devenue insupportable. Ou quelqu'un avait mangé tous les Golden Grahams, on n'a jamais bien su. Enfin peu importe. Le gosse est au parfum depuis longtemps. Nous avons été contraints de jouer cartes sur table vu qu'il manquait toujours un cadeau à Noël et que les enfants sont doués pour sentir ce genre d'arnaque. En ce qui concerne l'aspect « pendaison à un vieux câble électrique », malgré tout, on préfère attendre son huitième anniversaire. « Non, il est pas là, ton papi ». Silence sur le siège arrière. Ça cogite sec. « On peut prendre ma pelle et l'enterrer au cime-terre, demain, alors, mon papi ? ».

La situation devient complètement foireuse, étant donné que mon père a été incinéré à mille bornes d'ici, et que nous avons dispersé les cendres le jour même, à l'époque, car on est pas du genre à laisser traîner les démarches administratives dans la famille. « Ton papi, on l'a pas enterré » je dis. « Ah. Ben il est où, alors ? » Ils sont désarmants, ces mômes. Pour ne pas dire casse-couille. Tu peux les enfumer sans aucun problème à propos du lapin de Pacques mais essaie de la leur faire à l'envers question macchabées et tu verras. « On l'a brûlé, papi, c'est pour ça ». Je me rends bien compte que je suis certainement en train de répandre le terreau d'une névrose carabinée sur les épaules de mon enfant déjà victime de sinusite, mais qu'est-ce que je pourrais répondre d'autre ? Je refuse de propager ces conneries de métempsychose foireuse ou de paradis artificiels.

« C'est pas très gentil de brûler des gens, quand même, hein papa ? » « Gentil ou non, la question n'est pas là, Baby Einstein. Les gens sont déjà morts quand on les brûle. Ils respirent plus. Ils ne font plus de dessin, je sais pas moi. On leur a enlevé les petites roues. Ils sentent plus rien. Et puis qui l'a obligé à se foutre en l'air, ton papi ? Sans testament, que dalle. Moi, peut-être ? J'espère bien que non puisqu'on en parle mais ça me hante quand même, tu sais, les soirs où la connexion Internet déconne »
...
« Enfin, voilà quoi. On a été pris au dépourvu, nous ».
« Je comprends, papa » il me fait.
Putain, le con.
Je m'arrête sur une voie de bus exprès pour l'embrasser. Si je chope un virus, tant pis. Il est beau sous son casque de vélo. Si un autocar nous renverse, ça ne fait rien. Il comprend. « Quand les gens, ils sont morts, on peut les brûler » synthétise mon fils virtuose. « Mais c'est ça, ma gueule ! Bordel mais je t'aime, toi ! ». « Ben moi aussi, je t'ame, papa ». « Et quand ils veulent pas admettre que la terre est plate aussi, on peut les cramer ».
Là, je sens que ça coince un peu.
J'ai été trop exhaustif, probablement.
« Mais enfin la Terre, elle est ronde papa, voyons ».
« Enfin », « voyons », il a un vocabulaire de bâtard, ce gamin. On l'éduque pas particulièrement, pourtant.
« Oui, justement. Elle est ronde. En fait, c'est là que ça devient beau. Dans certaines circonstances, si un connard dit quelque chose qui ne te plaît pas, et s'il continue à le répéter encore et encore, une fois que tu lui as écrasé les couilles entre deux planches à clous, hé bien c'est permis d'y foutre le feu ».
Nouveau moment de flottement.
Deux kilomètres sans histoire.
Toujours cette bruine.
Y'a plus de saison.
Voilà, voilà.
(allez donc sucer des bites en enfer de ma part).
« Papa, et si on brûlait un con avant de rentrer ? »
Ah, la fierté d'un père, dans ces moments là, croyez-moi, ça fait pédaler sans effort jusqu'au premier repaire d'abrutis ouvert le dimanche. Il se trouve, justement, que nous ne manquons pas de PMU dans le quartier.

***

J'assois Masturbin (car ainsi ai-je fait baptiser mon fils, si ça ne vous emmerde pas trop) au comptoir du bistrot et il devient en un quart d'heure la coqueluche de tous les poivrots et toutes les putains syndiquées du canton, ce qui nous offre l'occasion d'organiser une sorte d'audition. Or, il y a ce type, la cinquantaine houellebecquienne, un moustachu maigrichon avec sa chemise ouverte jusqu'au nombril, qui prétend qu'il peut manger un verre contre une dizaine d'euros. Ou une Fiat Punto pour disons un carnet de tickets restaurant, faut voir. « C'est un truc dont le gamin se souviendra ça, Monsieur, n'est-ce pas ? ». « Pour sûr », je lui fais en allongeant un billet de dix. Le moustachu enquille la fin de son demi et commence à mordre à belle dent dans son verre Amstel. « Tu vas voir pourquoi c'est mieux de boire avec une paille, champion » je fais à Masturbin. Le verre se brise entre les mâchoires du type et comme l'autre taré y va de bon cœur, ça se met à saigner, fatalement. Mais bon, notre homme continue à mâcher son verre avec la détermination sourde des authentiques crétins séculaires. Quand il avale, on voit bien qu'il en chie un peu mais tout le monde l'encourage, et sa chemise devient rouge. Le pied du verre a bière, on sent qu'il coince un peu alors le serveur lui pile tout ça sur le zinc avec un petite marteau et le moustachu en termine avec l'ingestion de son verre. « Je sais pas si ça te l'a fait, mais j'aime bien son univers, moi, à ce mec » je dis à Masturbin.

« Dites, il est à quelqu'un ce con ? » je lance à la cantonade. Le serveur s'approche et se penche au dessus du comptoir pour me mettre dans la confidence...


Alerte lecture - Le passage suivant s'inscrit dans la stratégie infomerciale d'une société privée. Les personnages du récit seront employés pour un court instant à des fins publicitaires. Les propos tenus ci-dessous n'engagent par conséquent que l'organisme payeur et en aucun cas l'auteur de fiction se cachant derrière le reste de cette nouvelle. La marque se dégage par ailleurs de toute responsabilité en cas de rupture narrative brutale et/ou mise en péril de la cohérence psychologique de l'un ou l'autre des protagonistes figurant dans cette parenthèse infomerciale (l'auteur ayant accepté contractuellement une rémunération substantielle en échange de cette tribune concédée au sein de son œuvre de fiction). Fin de l'alerte lecture.

Serveur : Ne me dis pas que tu n'as jamais entendu parler d'Uber-con... ?
Protagoniste 1 : Uber-quoi ?
Serveur : Uber-con ! La plate-forme numéro un de mise en relation directe, de particuliers à combustibles.
Protagoniste 1 : Ça a l'air Uber-sympa... Comment ça marche ?
Serveur : Un jeu d'enfant, sur la vie de ma mère. Grâce à une simple inscription en ligne, Uber-con te donne accès à la totalité de son réseau de cons à travers le monde (plus de deux millions de références disponibles)
Protagoniste 1 : D'accord, mais moi, je ne sais jamais qui choisir... Parfois, j'ai l'impression que tous les cons se ressemblent...
Serveur : Pas d'inquiétude ! Grâce à son expertise et un algorithme de recherche ultra-perfectionné mis au point par la NASA en corrélation avec la base de données des administrateurs de blogs culturels, Uber-con te propose une sélection de cons qui TE ressemble.
Protagoniste 1 : Uber-Génial !
Serveur : Oui. Et en plus, les Uber-cons sont élevés selon les principes de l'automédication et de l'école à domicile, à l'aide de jouets en bois récupérés dans des brocantes. Ils sont donc garantis sans pesticides, pour une combustion intense et vraiment délire !
Protagoniste 1 : Hé bien, moi qui pensait brûler ma main cette année, on peut dire que tu m'as convaincu sa mère la pute...
Serveur : Pour la Saint Con, un anniversaire, une demande en mariage, le tournage d'un film français, un enterrement de vie de garçon, un sacrifice rituel ou tout simplement, une bonne soirée entre amis, Uber-con livre votre con, chez vous, sans frais supplémentaire et en 48 heures !
Protagoniste 1 : C'est si simple que j'ai envie de me branler devant tout le monde, ici même.
Serveur : Oui. Et jusqu'au 31 mars, pour l'achat d'un Uber-con, profitez d'une remise de 25% sur un trajet en Uber-canoë, le nouveau mode de transport Uber-délire, à travers toute la France, ou presque (voir conditions particulières en agence). N'attendez plus !


Cette discussion avec l'employé de bar m'a flanqué une migraine carabinée, sans que je parvienne à comprendre au juste pourquoi ni quoi qu'est-ce. J'ai le sentiment de m'être fait défloré le cervelet sans consentement préalable. Quoi qu'il en soit, je décide d'embarquer le sinistre mangeur de verre avec nous, en lui décrivant la Fiat Punto qui traîne justement dans mon garage, en rade depuis 1987, n'attendant plus qu'un être d'exception se la goinfre par un après-midi pluvieux. « Je commencerai par les phares arrières. C'est la partie noble, sur les Fiat ! » trépigne l'Uber-con abandonné au bar. « Vous allez vous régaler, sans aucun doute » je lui confirme, en rassemblant nos affaires et récupérant mon fils d'entre les bras tatoués d'une toxicomane kurde de 43 kilos sentant l'urine de chat.

***

Mon garage, si vous voulez savoir, c'est juste un box et d'abord : j'ai jamais eu les moyens de me payer une bagnole. Même pas une saloperie de Fiat. J'ai quarante ans, pas de Rolex non plus et en ce qui concerne ma vie, il faut imaginer une sorte de long métrage de Ken Loach, tourné en super huit, selon les principes élémentaires du Dogme. Par ailleurs, je vous chie à la raie.
Notre nouvel ami Amstelophage est présentement ligoté à une chaise, sous la lumière hostile d'un spot de chantier.

On devine encore, au plafond, les traces noires laissées par les précédentes éditions de la Saint Con. Ça me fait plaisir de pouvoir à nouveau foutre le feu à un abruti, finalement. Voilà ce qui est bien avec les enfants : ils vous offrent l'occasion de célébrer d'anciens rituels que vous pensiez à jamais oubliés. Noël, Pacques, La Saint Con, le festival des Eurockéennes, le salon du fistfucking de Rouen.

Masturbin est très appliqué. Il tient le chalumeau entre ses petites mains et passe la flamme sur toutes les parties du corps de la victime sur lesquelles il peut déceler des poils. Nous avons commencé par les cheveux et les sourcils, en chantant bêtement « Chauffe ton con, chauffe le bien, brûle-heu tous ses poils pubiens ! Chauve le con, roussit bien, cram'le jusqu'aux intestins... ». Ces grands yeux émerveillés, les gosses, ça vous chavire le cœur. « Masturbin, écoute. Maintenant, brûle-lui ce qu'on appelle les globes oculaires, là, voilà, les yeux, tu vois ? Comme il se débat ? Ça lui fait pas mal. C'est parce qu'il est content de jouer avec nous. Ça sent pas très bon, non. Je sais. Tu t'en sors bien. T'es un grand. Maintenant, pousse-toi. Papa va arroser le Monsieur avec un truc. De l'essence. Écarte toi un peu si tu veux pas que papa te brûle sans faire exprès. Écarte toi j'te dis, putain de merde ! Ils sont assez fondus, là, les yeux... Sois sage, maintenant »
Chauffe ton con, chauffe le bien, brûle-heu tous ses poils pubiens...
Encore une chanson qui va me coller aux basques pendant des jours.
Je vide mon jerrycan de sans plomb sur la tête du pauvre type. « Il est tout mouillé, maintenant, hein Papa ? ». Trempé, même.

Putain ! Ça me le fait encore. Je veux dire, le frisson, vous voyez ? Cette vieille fête de beaufs parvient encore à m'émouvoir. Ce doit être le côté « transmission de relais », « Hakuna Matata », « le grand cycle de la vie », je sais pas. Mon fils et moi, on est serrés dans un coin de la pièce, une boite d'allumettes à portée de main, à deux mètres de notre Uber-con bien ficelé. « Attends ! », je dis. Et je cours ôter le bâillon. Faut que ça gueule, un peu, sinon c'est pas pareil. Moi, ce sont surtout les cris, qui me restent, quand je repense à mes Saint Cons, enfant. Les cris des professeurs de sciences naturelles, des employés de banque, des joggeurs, des diététiciennes, des amies de maman, des maître-nageur, des lectrices de Elle, des joueurs de MasterMind, de mes camarades de classe obèses, des chanteurs de karaoké, de nos animaux domestiques, aussi, parfois, les années où on arrivait pas à mettre la main sur un con, ça arrivait, on roulait pas sur l'or.

Sans son bâillon, ça y est, il hurle, notre mangeur de verre. Masturbin n'est pas rassuré. Je lui dis que tout se passera bien, qu'il est en train de devenir un Homme, qu'il faut gratter le bout rouge de son allumette sur la partie rugueuse de la boite et la lancer aussi loin que possible, vers le Monsieur assis, qui crie, pour qu'il s'arrête de crier, et qu'après ça, oui, tu pourras avoir un petit dessin animé si tu veux, Masturbin, le dessin animé des Minions, voilà, on s'en branle, maintenant enflamme ton con, mon fils et souviens-toi que t'étais avec ton père, ton père qui n'a pas de Rolex, pas de bagnole, pas d'ambition et pas des masses de chance dans la vie, mais enfin, ton père quand même, qui est bien content d'être dans ce box avec toi aujourd'hui, et qui en chialerait presque, de brûler ce con avec toi, et qui t'aime fort, Masturbin, on a pas grand chose mais on est ensemble. Gratte ton allumette, fils et regardons le Monsieur cramer. Je pleure pas, non. C'est l'essence qui me pique les yeux, sans doute.
Crac.
Crac...
« Gratte plus fort, Masturbin ! »
Crac !
Frooooooouuuuummm !
En plein dans le mille. Il est doué, ce petit.
Et l'autre qui gueule, et gueule.
Et gueule.
Et de moins en moins fort.
Et puis plus du tout.
Jusqu'à ce que l'on entende que les faibles crépitements des bulles de graisses qui éclatent, sous sa peau.
« Whoua …..», fait Masturbin.
Et puis il dit : « Je voudrais mieux La Reine des Neiges, en fait, comme dessin animé, d'accord papa ? »
Comme ces moments sont fugaces.
Comme j'aurais pu penser à installer un système de ventilation dans ce box, aussi...
On sort de là en toussant de concert.
On laisse l'autre terminer sa combustion tout seul.
Et on rentre chez nous.

« Qu'est-ce qu'il avait alors, ce môme ? » demande la mère.
« Rien qu'une sinusite », je dis.
« On a vu des pingouins, maman ! » dit Masturbin en embrassant sa mère sur la joue.
« Pourquoi ce gamin sent le pneu cramé? » demande-t-elle.
Masturbin et moi, on se regarde, on sourit, et on hausse les épaules.
C'est un secret, maman.

Et ce soir là, je l'ai bien enculée à sec, ma petite femme.