La Triste histoire de Jeff le homard #InspirationAmibe

Le 12/05/2016
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par Clacker
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Dossiers / Écrire quand vous avez l'inspiration d'une amibe
Première contribution au nouvel appel à textes et à la rubrique "écrire quand vous avez l'inspiration d'une amibe". Clacker s'y colle avec volontarisme et brio. L'auteur ajoute sur le forum "Je me suis instantanément reconnu dans cet appel à texte. Et le hasard ne m'a pas autant desservi qu'à son habitude." Rappelons que cet attentat OuLiPiste se base sur des règles simples. Une liste de 10 mots vous est arbitrairement et aléatoirement donnée. Il vous faut construire une petite histoire qui tienne la route en rajoutant d'autres mots autour. Les mots imposés à Clacker étaient : "aile, bateaux-vanne, désimlockage, grommeler, miellaison, méfiable, poype, sdsl, souillarde, thermidor" et le contrat est rempli avec panache et prestance. Ici l'histoire de Jeff le homard, un voyage initiatique qui ne finit pas forcément bien mais il se pourrait que Disney veuille en racheter les droits d'exploitation car c'est un conte moral quelque part entre une fable d'Esope, de la Fontaine et une lubie de Gérard de Nerval avec l'absence notable de ruban bleu. Je vous invite tous à participer à cette initiative ludique, pas si évidente que cela, surtout s'il faut pondre un bon texte comme c'est le cas ici. Plus d'infos ici : http://forum.lazone.org/index.php?topic=3575.0
Porté par les battements de son aile restante, Jeff continuait à naviguer dans les égouts de Paris. Il se servait habilement de son épine costale comme d'un gouvernail et filait à une vitesse qui aurait fait pâlir le plus alerte des poissons-chats d'égouts. Il aperçut bientôt des bateaux-vanne en station et manqua de peu de s'assomer contre le premier. Par chance il eut un réflexe inespéré et plongea sous la surface en disposant les pattes et la trompe vers le haut, de manière à éviter la noyade. Ce geste bienheureux lui permit non seulement d'esquiver le premier obstacle, mais aussi d'agripper le second avec ses pelotes adhésives, et par un subtil jeu de pattes il put grimper sur l'engin de curage.
Il prit le temps de se frotter consciencieusement la trompe, agita énergiquement son aile membraneuse pour la sécher. Ceci fait, il tenta un décollage, sans succès. Son unique aile ne le portait plus. Les antennes basses, Jeff se colla sur les parois des canaux et se résigna à ramper au plafond jusqu'à déboucher sur une plaque qui donnerait sur la surface. Chemin faisant, il se prit à penser avec une grande lassitude à ce tragique accident qui avait changé sa vie, et surtout il pensa à Veronica. Douce Veronica qui avait cru en lui jusqu'à la fin, même lorsqu'il avait accidentellement régurgité son précédent repas dans sa bouche à elle.
Il finit par trouver une plaque d'égout, et rassembla le peu de force qui lui restait pour pousser la pièce de fonte sur la chaussée.
Il se trouvait désormais en plein centre de la place Vendôme, et la tête lui tournait de se retrouver ainsi confronté au grouillement de la faune parisienne. Il se traîna jusqu'à un mime enfermé dans une boite invisible et lui demanda poliment dans un français rudimentaire s'il pouvait emprunter son téléphone portable. L'intermittent du spectacle lui expliqua avec force gestes d'excuses que son mobile était en cours de désimlockage. Jeff ne put se retenir de grommeler que "les frenchies c'est toujours le même chose" en traversant la place d'un air morne. Il s'assit sur un banc, près d'une grande jardinière de fleurs en tous genres. Il se passa plusieurs minutes avant qu'un terrible bourdonnement ne viennent sortir Jeff de sa torpeur désespérée. Une dizaine d'abeilles butinaient le parterre à deux pas de lui. Mon Dieu, se dit-il, on est en pleine miellaison ! Il sauta d'un bond et s'échappa aussi vite qu'il le put, sans jeter un seul regard en arrière. En tant que diptère, l'abeille lui était la plus méfiable des créatures du règne des insectes. Une sorte de rivale mieux armée et habile en société. Lui revint en mémoire ses dernières vacances avec Veronica dans le domaine de la Dombes où, sous les chênes d'une poype, profitant de la connexion sdsl de leur gîte et se délectant ainsi du second opus de Jurassik Park en streaming qualité blue-ray, ils furent blitz-kriegés par une escouade d'hyménoptères déchaînés. C'était la pleine miellaison, et Veronica n'y réchappa pas.
Plus maussade encore, Jeff se mit en quête du restaurant le plus cher de la place. Il s'installa et n'eut même pas le temps de héler la serveuse qu'un gros cuisinier lui tomba sur le rable, et ni-une ni-deux, il fut stocké dans un gros bac à crustacés de la souillarde de l'établissement. Il fut servit le jour-même à un couple d'infames parisiens en tant que homard thermidor.