Lieu commun n°23 : Il faut choisir son camp

Le 19/05/2016
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par Mill
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Rubriques / Lieux communs
J'ai attendu fébrilement 10 jours entre la publication du dernier Lieu Commun de Mill et ce nouvel opus à la saga. Premièrement parce que ces billets d'humeur sont précieux et il faut que je me calme dans mon empressement à les écouler, empressement qu'il est possible de corréler avec mon enthousiasme cela-dit. Deuxièmement parce qu'il n'en reste plus beaucoup et qu'il faut prendre le temps de savourer les bonnes choses. Il y a quelques jours, c'était la fête du manichéisme sur la Zone. L'admin masqué (dont tout le monde soupçonne qu'il s'agit de Dourak Smerdiakov) avait encore sévi sur les messages en page d'accueil en déclarant : "Soyons binaires, le monde est noir et blanc, il y a des gentils et des méchants, bonheur total ou dépression aggravée, à vous de choisir : MAIS IL N'Y A PAS DE DEMI-MESURE !" Ce texte de Mill confirme la tendance de notre contemporanéité, qui s'appuie de plus en plus sur la cooptation et la prescription des particuliers, à cliver les gens en deux camps quelque soit le domaine de réflexion, qu'il s'agisse de politique, du choix de sa religion ou son Cola préféré. Les argumentaires, les attaques et les contre-offensives sont directement téléchargées dans nos tronches par le biais du storytelling marketé dans les pubs, les discours militants et les chaînes info qui n'ont jamais été objectives. D'ailleurs, on choisit sa chaîne info en fonction de ce qu'on a envie d'y entendre et surtout pas pour être dérangé par des idées de l'autre bord. N'empêche c'est plus facile qu'on nous mâche le boulot intellectuel pour s'empoigner avec ses collègues à la machine à café. Au moins on peut dire qu'on se range à l'avis de telle ou telle célébrité. Aujourd'hui les débats sont des batailles de Pokémons et on invoque tous les leaders d'opinion qu'on collectionne comme s'ils étaient les gardiens des champs désertés de nos consciences.
Choisis ton camp, camarade.

L'heure est aux factions et aux cartes nominatives. On manque de supporters, de pom pom girls et de porteurs de banderoles. Chaque échange est un débat, une prise de bec et un positionnement. Tu peux bien tenter de fuir, escrime-toi donc à te taire ou à parler dans le vent. Hésite tant que tu veux, sois girouette et volage, deviens qui tu désires mais botte en touche, marche à l'ombre de tes refus, de tes absences et de tes pauvres pirouettes. Tes interlocuteurs t'appellent sophiste ou béotien, brasseur d'air frelaté ou causeur de salon. Tes oscillations passent pour des atermoiements, des lâchetés provisoires ou des bassesses, au contraire, parfaitement ancrées dans ta personnalité de réceptacle ambulant. Les idées te traversent et tu n'en saisis aucune tant que tu te défends d'agir dans l'un ou l'autre sens.
Alors choisis ton camp, compagnon.

Choisis ta droite ou ta gauche, évite le centre et le juste milieu puisqu'il faut choisir vraiment. Choisis le tout à l'égout et l'électricité, la connexion ultra-rapide et le téléphone sans fil. L'alternative, c'est le Moyen-Âge, la préhistoire et la barbarie. Va donc élever des chèvres dans le Larzac, va traire des vaches maigrelettes et bouffer des graines et des racines en suçant des cailloux, en refusant tout vaccin, tourne le dos au progrès, à tous les gadgets inutiles que t'apporte la vie moderne. Roule à vélo ou en voiture, mais ce sera l'un ou l'autre.

Choisis ton camp, citoyen.

Tu es avec nous ou contre nous. L'étranger n'a pas sa place dans notre communauté. Il s'intègre lentement, s'insinue dans nos quartiers, recrute des voix, des bras, des âmes. Il nous veut morts ou esclaves, soumis à sa religion et il n'existe pas de demi-mesure. Défends-le si tu veux, sois notre ennemi, en conséquence, sois leur cheval de Troie, leur pion et notre traître en puissance.

Choisis ton camp, créature.

Microsoft ou Apple, Gibson ou Strato, slip kangourou ou boxer, Beatles ou Stones, Oasis ou Blur, OM ou PSG... Choisis parce qu'il faut vivre et qu'il faut tuer pour vivre, peu importe que la mort soit réelle ou symbolique. Israël ou Palestine, homo ou Manif pour tous, blanc ou noir, rock ou rap, système ou Dieudonné, Marx ou Friedman, Keynes ou austérité.

Choisis ton camp, vieille chose.

Hamburger ou bio, blockbuster ou film d'auteur, choisis toujours entre deux extrêmes, choisis de quoi frapper et dézinguer. Sucré ou salé, pastèque ou melon, merguez ou chipolata, ketchup ou mayonnaise, moutarde ou harissa, cochon ou hallal, haschich ou cocaïne.

Choisis ton camp, mon ami, ou sombre à jamais dans le cloaque des fourmis qui avancent sans faiblir vers le grand gouffre.

Ca tombe bien, j'ai l'adresse du précipice. J'irai quand j'aurai le temps, par un chemin de traverse où j'espère te retrouver.