La France bouge, elle voit rouge la la la...

Le 31/05/2016
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par LePouilleux
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Thèmes / Débile / Phénomènes de société
LePouilleux tape dans la #turfu proche fiction (aux éditions OKLM 2017) avec ce scénario très plausible d'une nouvelle révolution française menée par un messie qu'on attendait plus. (Je soupçonne que cet homme providentiel moustachu soit en réalité Dourak Smerdiakov sortant enfin de l'anonymat. Mais chut ! Ne grillons pas sa couverture.) Cette histoire parallèle au multivers de Jack et la Nuit Debout est plutôt drôle et tragique, un peu comme si on avait bifurqué pour suivre Rémy Buisine au moment où Jack le laisse en plan place de la République. D'ailleurs ce serait une initiative marrante si les zonards pouvaient raconter les pérégrinations d'autres personnages croisés dans la nouvelle collective comme une sorte d'univers étendu de la licence.
« Soli-da-ri-té ! Soli-da-ri-té ! Soli-da-ri-té-hé ! »

Les bandeaux bleus et jaunes de BFM TV déroulaient la grande nouvelle : Philippe Martinez venait de se faire libérer par les copains à la prison de la Santé (1).
Je suis remonté vers l'avant du cortège en doublant les vieilles et les vieux de la CGT qui s'agitaient avec leurs brassards rouges et leurs drapeaux du syndicat en guise de bannière de ralliement. Le bruit des tambours cubains résonnait contre les façades des grands immeubles bourgeois. Le tumulte était accru par les slogans crachés en borborygmes inquiétants dans les hauts-parleurs. Quelques SO aiguisaient leurs battes au fur et à mesure de l'avancée. Des silhouettes encagoulées et vêtues de noir se regroupaient un peu partout. Le cortège s'était transformé en une véritable petite armée, troquant ses banderoles contre des fumigènes et des barres métalliques. Les effluves de merguez menaçaient la capitale. C'était un grand foutoir de partout et j'avais déjà trente-mille connectés sur periscope. Ça likait en masse. C'était jour de kermesse ? Non ! C'était jour de Révolution ? Oui ! C'était Grand Soir camarade !

On a préparé la caillasse des pavés concassés la veille qu'on a mis dans une brouette qui traînait là. Une brouette de la DDE. Il fallait que je mette les lunettes de ski pour protéger mes yeux, l'écharpe palestinienne pour la respiration et l'anonymat, et le casque de moto contre les attaques venues du ciel. Moi et mes camarades on ressemblait à des bandits de grand chemin, des « west side boys ». Et puis les CRS en face faisaient pas rigoler non plus. Ils étaient habillés comme au Moyen-Âge. Les chevaliers noirs du Diable avec leur air de boite de conserve et leurs boucliers en plexiglass. On s'est arrêté à vingt mètres de leurs camions blindés. Ils voulaient pas nous laisser passer, ils voulaient pas reculer. C'est sûr que derrière il y avait l'Assemblée Nationale. C'était leur zad à eux, le gouvernement, la dernière encore debout. Le genre de truc qu'ils lâcheraient pas sans verser beaucoup de leur sang dans le caniveau.

« Soli-da-ri-té ! Soli-da-ri-té ! Soli-da-ri-té-hé ! »

Les vieilles et les vieux ont fuient vers l'arrière, les journalistes se sont foutus entre nous et les CRS, et avec les copains on a ramené les munitions. Il y avait trois-cent-mille connectés sur periscope. Le commissaire a crié dans son mégaphone un avertissement qui ressemblait plus à un aboiement. C'était la dernière manifestation de l'autorité entre maintenant et la Révolution sociale. Il s'est prit une averse de pierre en réponse. Il avait le sommet du crâne tout rouge, comme les brassards de la CGT. Il fallait mettre un casque monsieur le commissaire. On était si près qu'on voyait le visage des forces de l'ordre se draper de blanc. De savoir leur chef esquinté c'était déjà signe de défaite pour eux. On a jeté nos cocktails, on a défoncé leurs grilles avec des poteaux métalliques, on a envoyé des poubelle en flamme sur les policiers en civil qui étaient sur les côtés. Sept-millions de connectés sur periscope. Il y a eu des morts. Des deux côtés. Beaucoup de sang comme prévu. La fumée, les gaz, de partout. Les dents explosées, les yeux crevés, les oreilles arrachées. C'était la guerre. La vraie.

Je sais plus comment je me suis retrouvé dans l'Assemblée Nationale. C'était comme monter dans le palais des Dieux. Nous étions le glaive vengeur des Sans-Dents. Il fallait pas faillir à ce moment crucial. Il fallait aller jusqu'au bout. Le salariat allait sodomiser le cadavre du patronat. On a enjambé les dépouilles des CRS et des gardes nationaux qui jonchaient les escaliers monumentaux. Ils étaient morts en braves. En braves, mais en esclaves du Capital.
Les portes du pouvoir étaient inviolables malgré nos assauts. Impossible de rentrer dans le Palais pour le moment. Les camarades sont venus pour nous dire qu'on pouvait passer par derrière. Alors nous les avons suivis à travers les salons tapissés d'or et de lambris luxueux. On y a mit du sang partout par terre, mais c'était pas grave puisque les tapis y étaient rouges.
On a trouvé des députés bien grassouillets, tout apeurés, qui se cachaient derrières les rideaux ou sous les estrades. Ils étaient verts, ils étaient pâles, ils n'avaient plus leur air rougeaud de bourgeois.

« Ça va être ta fête, ai-je dit au plus gros. Tu vas voir ce qu'est la misère. C'était le bon temps pour toi et tes amis, toutes ces garces et ces combines. Tu n'as pas honte d'avoir abusé du peuple ? Goujat va ! »

Puis je lui ai mis une claque sur sa joue flasque. On a bien rigolé à les torturer nuit et jour. Nuit et jour le peuple s'est vengé des méchants qui l'avaient enchaîné. Il fallait pas nous chercher.

J'avais trente-millions de connectés sur periscope ce jour-là.


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Texte remanié du blédard-médiéval.

(1) Son syndicat avait été ajouté à la liste des organisations terroristes quelques mois plus tôt, provoquant une agitation politique sans précédent. La crise énergétique persistait, touchant en plein cœur l'économie. La France était fébrile, menacée de toute part. Elle écarterait les jambes pour toute personne capable de ramener l'ordre, c'est à dire de remplir le frigo et le réservoir d'essence des citoyens en colère. Elle cherchait un Messie. Serait-ce Nicolas Sarkozy, le Napoléon rapetissé avide d'un come-back en bateau à voile sur les côtes du Cap-Nègre ? Marion Maréchal-Lepen, la Jeanne D'Arc catho-compatible ? Emmanuel Macron, le golden-premier-de-la-classe boy ? Jean-Luc Mélenchon, le Gargamel au grand cœur ? Alain Juppé, qui avait la gueule de l'emploi : celui de croque-mort de la République ? Manuel Valls, l'automate républicain à veine saillante ? Non, à cette époque c'était le Temps des Cerises qui se faisait entendre dans nos rues. Et du désespoir était né l'espoir d'un monde meilleur. Personne n'aurait cru que cet homme serait Antéchrist et Sauveur à la fois. Personne n'aurait cru que cet homme serait : Philippe Martinez. Source : Edwy Plenel, Comment nous sommes devenus une démocratie sociale réelle, Paris : éditions OKLM, 2017.