06/10 - Jack et la Nuit Debout : il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué

Le 23/09/2016
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par Zone Forum
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Rubriques / Jack et la Nuit Debout
Sixième épisode d'un texte collectif écrit sur le forum de la Zone sous forme de jeu : en tour par tour, chacun peut insérer quelques phrases, un paragraphe, afin de faire avancer cette nouvelle en 10 chapitres élaborés simultanément. Jack et le mouvement se frottent à présent aux forces de l'ordre qui barrent leur progression. Vous pouvez toujours apporter vos contributions aux chapitres 7 à 10 en cours d'écriture. Plus d'info, ici : http://forum.lazone.org/index.php?topic=3556.0
Toute une armée de CRS se dressait cependant devant nos glorieuses troupes. Jack, qui n'abandonnait pas son obsession d'autographe, essaya de jouer les ténia et de s'insérer dans la masse qui, de bleu, vêtue, se laissait progressivement gagner aux idées libertaires des manifestants orgiaques.

Cependant, Kevin, une jeune recrue, n'appréciait pas beaucoup l'odeur de défection qui émanait à présent de la compagnie, il n'était pas là pour conter fleurette aux gauchistes, il n'était pas ici pour qu'une hippie droguée le coiffe d'un collier de fleurs fanées, il n'était pas présent pour assister à ce pitoyable spectacle : Jojo qui enlevait son casque devant deux grosses Femen, et Raymond, son chef qui, lui aussi, baissait la garde. Il était là pour faire le spectacle, pour casser des gueules d'étudiants et voir voler des dents, il était LA COMPAGNIE R2PUBLICAINE DE S2CURIT2 bordel et ça allait saigner.
Il allait faire des exemples et du chiffre comme le lui demandaient le ministre de l'intérieur, le gouvernement, le premier ministre, le président, et les honnêtes gens, pour étouffer une révolte pacifiste dans l’œuf. Il dégaina donc son flashball, et décocha un tir de semonce. Malheureusement il y eut des dégâts collatéraux : 5 types éborgnés se roulaient en boule de douleur. Kevin avait bien indiqué sur son CV dans la section hobbies qu'il avait été champion départemental du Val de Marne 2004, 2007 et 2008, de billard à trois bandes, et aujourd'hui il allait honorer son recruteur en mettant en valeur cette compétence sur le terrain.

Après tout, éborgner des manifestants c'était devenu un running gag au sein de la Compagnie Républicaine de Sécurité. Une application corporatiste était même disponible sur l'App Store et Google Play pour tous les CRS facétieux ayant un esprit RPG grandeur nature. Le développeur de cette application lui avait donné un nom ridicule : "Talion GO" suivi du non moins ridicule slogan : "œil pour œil, dent pour dent, 100%" Derrière la visière de son casque, Kevin se sentait un peu comme équipé d'un Cardboard. Des sensations qu'il connaissait bien l'avaient investi. Le monde n'est qu'un grand terrain de jeu après tout se dit-il. C'était un dresseur chevronné. La nuit il arpentait en casquette les rues de la capitale derrière son Samsung Galaxy à jouer à traquer compulsivement des framboises, des arènes, des monstres, collectionner des trophées, des orbites oculaires en particulier. En face de lui, les manifestants avaient tous muté en Pokemons et la recrue était déterminée a tous les capturer avec son flashball et tout son arsenal de framboises fumigènes.

Kevin s'approcha des blessés et écrasa discrètement les yeux qui avaient roulé sur le pavé. Il faudrait que les médias en parlent en boucle pour faire peur à tous ces hippies de Nuit Debout, qu'il y ait du désistement, que l’engouement pour la démocratie participative devienne une mode ringarde. Il comptait beaucoup sur son cousin David Pujadas pour relayer la directive à ses confrères et assurer le service après-vente de la désinformation par la terreur. Kevin prit furtivement quelques photos des blessés, des gros plan des yeux écrasés, des zooms artistique de faciès défigurés couverts abondamment d'hémoglobine qu'il posta sur son compte Twitter, Instagram et qui illustrèrent l'introduction d'un petit photo-roman qu'il concocterait en live depuis le front sur Snapchat.

Kevin cependant n'avait pas beaucoup d'amis au sein des CRS. Pas grand monde pour le soutenir dans sa mission d'énucléation massive des Pokemons. Sans soutien, sans appui, on devient vite un pariât au sein même de sa propre meute. Un cocktail Molotov sorti d'on ne sait où vint s'écraser sur le loup solitaire. Aujourd'hui dans certains tabloïds racoleurs, on peut lire des thèses conspirationnistes pointant du doigt, Raymond, le propre chef de Kevin, qui aurait projeté l'arme incendiaire à bout portant contre son collègue en beuglant : "ça c'est pour Rémi Fraisse, Salamèche et ton zèle de fils de pute !" Bien entendu les principaux syndicats de la police démentent cette rumeur et font porter le chapeau aux manifestants pour étrangement justifier le comportement du serial-éborgneur. Raymond quant à lui se reconstruit petit à petit dans un centre gérant les burn out de policiers par des stages intensifs commando de tricot et macramé.

Pendant la lente combustion de Kevin, il émanait de lui une bien appétissante odeur de merguez grillée au barbecue. On se serait cru à la Courneuve durant la fête de l'Huma. Les derniers réfractaires au sein des forces de l'ordre avaient le ventre qui gargouillait. Personne n'intervint pour circonscrire le feu et Kevin se consuma intégralement comme un bonze de cire. Certains approchaient même du foyer, montés sur des bouts de bois, qui des Knaki balls, qui des marshmallows. Il faisait soif. L'ambiance feutrée fit resurgir les souvenirs scout de France qui sommeillaient bien profond en chacun des membres des forces de l'ordre sur place. Il y eut de longues conversations philosophiques, des échanges de bisous, Jojo sortit sa gratte et interpréta magistralement l'intégrale de Hugues Aufray.

Et c'est ainsi que les CRS convaincus se joignirent au mouvement pour organiser un gigantesque apéro géant chez le premier ministre.