Les Sept - Abbadon (2)

Le 26/10/2016
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par Cuddle
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Rubriques / Les Sept
Second volet de la série des Sept par Cuddle. Comme pour le premier épisode, le second reconstitue la biographie d'un personnage ou tout du moins retrace la manière dont la vie d'un homme a basculé pour se conclure par une renaissance. Il s'agit d'un médecin atteint d'une sorte de malédiction et qui développe certains pouvoirs qui se déclenchent bien malgré lui. Je pense déjà avoir dépassé la ligne jaune du spoiler aussi je n'en révèle pas d'avantage à part peut-être l'étrange impression que j'ai eu : On a du mal à faire la connexion avec l'époque que je supposais médiévale du premier volet, ça pourrait tout à fait se dérouler de nos jours. Il est certes fait allusion à une guerre, à des pandémies, mais elles pourraient se dérouler à n'importe quelle époque. Cependant c'est assez réjouissant de s'écarter de l'approche traditionnelle de construction des univers d'heroic fantaisy pour ouvrir la possibilité d'une uchronie voire (soyons fous) peut être une intrigue globale qui se déroulerait à plusieurs époques différentes comme dans le dernier film des frères Wachowski, Cloud Atlas. Souhaitons si c'est le cas à Cuddle de trouver une bien meilleure inspiration pour que le tout soit plus cohérent que le films des réalisateurs de Matrix. Invitons-la aussi à ne pas déguiser l'acteur Hugo Weaving dans les plus improbables et ridicules accoutrements. Certes, ça lui allait bien dans "Priscilla folle du désert" mais ce n'était pas une raison pour en abuser. Oui, à dire vrai ce qui m'intrigue, c'est le fait que le médecin de notre histoire ait sauvé des vies dans son glorieux passé puisque comme tout le monde le sait, au Moyen-Âge, les techniques médicales, telles la saignée, avaient plus de chance de vous refiler le tétanos que de vous guérir de quoi que ce soit. Par ailleurs, dans le genre de l'Heroïc Fantasy pour contourner et mystifier ce fait historique incontestable, les auteurs ont souvent recours à la facilité en injectant de grandes doses de magie et autres sortilèges dans les caracs de leurs personnages, ce que Cuddle ne fait pas jusqu'à présent. Tout cela est donc bien intriguant et on attend avidement la suite.
Il s’appelait Abbadon. Abbadon le destructeur. Il avait la particularité propre de faire naître des maladies incurables chez les hôtes qu’il côtoyait.
Mais ça n’avait pas toujours été ainsi, il avait eu, autrefois, une vie paisible. Il venait de l’Ouest, proche des terres de Khartel-Ianus. Ce médecin de renom avait eu une place de choix dans la société mondaine jusqu’à ce jour. Il avait passé les trois quarts de son existence à sauver des vies et voilà que l’ironie du sort le condamnait à mourir.
Son confrère tenta de le rassurer une nouvelle fois mais, il n’y avait rien à faire. Il était condamné et le choc qui le submergeait littéralement était bien trop important pour qu’il soit lucide en cet instant. Pourtant, son ami ne cessait d’insister : «Je suis désolé, même avec un traitement agressif, tu ne gagneras que quelques mois. On peut toujours… ». Mais il ne l’écoutait plus. Pourquoi lui ? N’avait-il pas assez sauvé de vie ? N’avait-il pas assez donné de sa personne ? Complètement ébranlé par cette terrible nouvelle, il se sentit mourir à petit feu. Mourir d’une tristesse infinie. Tout était différent à présent. Il était passé de l’autre côté. Alors que les larmes inondaient son visage, il pensa à son épouse et à son fils, aux instants qu’il ne pourrait plus partager avec eux et s’effondra sur le fauteuil, désemparé. Plus rien serait comme avant. Son confrère ajouta :
-    Abbadon, je sais que cette épreuve va être difficile et…
-    Il suffit. Le coupa-t-il sèchement.
Et alors qu’il se levait pour partir, son confrère lui sera la main. Une chose étrange se produisit alors. Le visage de son ami se creusa brusquement. Ses cheveux tombèrent au sol comme des fleurs fanées. Des cernes et des rides creusèrent ses yeux exorbités par une frayeur sans nom. Et tandis qu’il échangeait sa vie ébréchée avec celle de son confère, Abbadon se sentit renaître. Il serra cette main salutaire encore plus fort. Il ne devait rien rester de lui, il ne devait rien garder de cette chose monstrueuse qui était née en lui. Exsangue, son confrère s’écrasa sur le sol en convulsant. Il ne put détacher son regard de ce corps maladif, difforme et squelettique, qui aurait pu être le sien. Il resta là, abruti par ce spectacle macabre durant de longues de minutes.
Lui avait-on finalement accordé une dernière chance ? Ses prières avaient-elles été entendues ?
Alors qu’il quittait les lieux de manière précipitée, il sut au fond de lui que rien n’était gagné d’avance. Cet état était temporaire, rien de cette chienne de vie ne lui serait épargné, il le savait.

Les années s’écoulèrent, des années tristes et froides. Dès que la maladie refaisait surface, il ne pouvait s’empêcher de lutter. La culpabilité s’effaça avec le temps et un vide sans fond le rongea de l’intérieur. Il comprit très vite que sa capacité à répandre des maladies ne se limitait pas à son mal mais à toutes les maladies qu’il avait pu côtoyer durant son service.
Lorsque la guerre éclata, il s’enrôla avec l’extrême conviction qu’il pourrait sauver des vies et se sauver lui-même au détour d’un affrontement avec l’ennemi. Mais tout ne se passa pas comme prévu. L’omniprésence de la mort engendra une mutation étrange de sa « capacité ». Désormais, seule sa présence suffisait à répandre des maladies autour de lui. C’est ainsi qu’une peste terrible ravagea l’intégralité de son régiment.

Il resta sans voix face aux cadavres qui s’empilaient couverts de ganglions lymphatiques. Il s’assit devant sa tente et continua de regarder ces corps, aux positions étranges, qui gisaient un peu partout sur le campement. Leurs visages étaient cireux, leurs teints jaunâtres tiraient par endroit vers le violet. Certains avaient les yeux ouverts et semblaient regarder le ciel avec terreur. Leurs corps osseux étaient parcourus de pustules boursouflées, certains bubons avaient même éclaté par endroit. Le silence de plomb qui régnait autour de lui était insoutenable. Il se releva, dépité, lorsque son regard se posa sur un cadavre dont les membres étaient gangrenés. Une mouche rouge venait de se poser sur un bout de chair noirâtre et semblait pondre dans la plaie. Un phénomène curieux qui le fit sourire inconsciemment.