Black insects

Le 26/10/2016
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par HaiKulysse
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Thèmes / Débile / Phénomènes de société
Librement inspiré du Noël magique de Stankson selon HaiKulysse, personnellement je n'y vois que quelques références aux tunnels, aux chemins de fer, aux gamins livrés à eux mêmes... Bref, ce texte n'est pas un spin off du spin off de Marvin se déroulant dans l'univers des Bêtes de poisse mais s'inscrit plutôt dans la tradition zonarde du palimpseste. ça ne lui enlève en rien de la valeur au contraire. Autre époque, autres lieux, probablement un monde parallèle. Ici la tranche de vie d'un gars qui avait composé innocemment un morceau grunge dans son garage avec ses potes alors qu'il était adolescent et qui voit son titre devenir un tube d'abord récupéré par les médias pour l'argent puis que les fans par nostalgie se réapproprient avant d'être détourné par des mouvements politiques à des fins populistes. C'est un des textes que je préfère d'HaiKulysse, probablement parce que le plus concret, parce que le plus bassement terre à terre, parce que le moins poétique, parce que le moins OuLiPiste, parce que le moins onirique, parce que le moins cut up de Burroughs. Pourvu qu'il y en ait d'autres dans le genre.
Il y avait encore des solutions d'habitation ailleurs. Cet ailleurs martelé après de longues nuits harassantes avait le don de réactiver cette vieille histoire : la nuit où j'avais vu passer dans un état second des trains de marchandise dans ces tunnels où j'errais.
Il y avait encore des solutions d'habitation ailleurs mais on devait faire appel à l'imagination. J'étais né après la période post-grunge et ma vie jusqu'à maintenant avait été une interminable incarcération dans ces tunnels.
Dans ces lieux, j'avais composé black insects, une chanson avec une mélodie lancinante, déchirante. J'avais longtemps rêvassé, m'étais inspiré des forêts denses de Lake District, des ruines des vieilles bâtisses évangélistes, des maisons de bûcheron aux clous rouillés et apparents avant de m'engouffrer ici.
Une nuit, les flics avec leurs rottweillers, avaient fait une descente pour déloger les adolescents frêles qui squattaient et fumaient dans les tunnels. Il y eut une surrenchère de violence et puis plus rien. Seule la mélodie de black insects résonnait encore, comme le cri de guerre d'une tribu locale, alors véritable esprit des lieux.

A l'air libre, j'aimais raconter aux journalistes que black insects avait été inventé dans un cimetière indien, alors que j'étais en transe : j'avais vécu une enfance éloignée de tout, dont les médias n'avait pas accès, ce qui me permettait de dire un énorme mensonge sans qu'on vienne me faire chier à ce sujet.
En vérité, tout avait commencé à ma majorité : j'étais fou de rage contre tout, contre les psaumes simplistes et dégoulinants d'amour fraternel de mon père, le pasteur du coin, contre ce faux recul bidon que les pétasses affichaient à mon égard, contre le racisme de ma province paumée envers les gens typés...
Bref j'écoutais In Utero en boucle et je me demande encore aujourd'hui comment l'heureux auteur de black insects n'a pas défrayé la chronique à l'époque en massacrant son environnement avec un fusil à pompe.
Aujourd'hui encore, on peut entendre des adolescents frêles, en chemise trop large et jean troué, fredonner black insects en pinçant les cordes de leur guitare pourrie ; et j'ai même appris dernièrement que des connards aux crânes rasés et aux couleurs nationalistes, dans leur pays respectif, se sont réappropriés black insects, la chanson culte de notre groupe, pour en faire un hymne nauséeux.
Au début pourtant, nous étions un groupe de rock, tendance plutôt boueuse : des amis qui s'étaient connus au lycée, plus proches de la laitue humanoïde que de vrais bêtes de scène. Il y avait encore de grands espaces à conquérir.