Yog-Sothoth

Le 02/12/2016
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par Cuddle
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Dossiers / Nouvelles lovecraftiennes
Cuddle, dans notre dossier nouvelles lovecraftiennes, s'attaque au mythe de Yog-Sothoth créature du bestiaire des Grands Anciens. Elle demeure dans les interstices séparant les plans de l'existence composant notre univers, où elle apparaît comme un conglomérat de globes iridescents toujours fluctuants, s'interpénétrant et se brisant, et je ne parle pas de Cuddle mais bien du streum. Elle est le maître de l'espace-temps et demande en échange de ses faveurs que la voie de notre planète lui soit ouverte afin de pouvoir la piller et la ravager. En cela, elle est la clé et la porte vers d'autres dimensions. Là par contre, je parle de Cuddle. Encore une fois une très bonne réappropriation de l'univers lovecraftien pour cette seconde contribution à l'appel à textes de Cthulhu, axé cependant un peu plus sur l'action que l'atmosphère. L'hybridation zonarde se rapproche ici plus du coté sombre que du coté déjanté de la force et ce n'est pas moins appréciable in fine.
L’expédition avait duré plus longtemps que prévu. Voilà plus de trois mois qu’ils étaient coincés au pied de la pyramide de Képhren en plein désert Erythréen. Ils n’avaient toujours pas eu l’accord des autorités locales pour y pénétrer et avaient même finis par engloutir la totalité de leur financement.
William jeta furieusement ses croquis sur le sol et s’effondra lourdement sur sa chaise pliante, il était épuisé. À l’intérieur de sa tente, l’air était irrespirable et la chaleur lui collait au corps comme une seconde peau. Il sortit un mouchoir de sa poche et s’épongea le front et le cou. Ses recherches n’avaient toujours pas avancé et aucun manuscrit n’avait été retrouvé. Il soupira de lassitude et repensa à son épouse, Suzanne, qui l’avait enclin à ne pas partir. « C’est de la folie ! Tu perds ton temps, il n’y a rien que de la poussière et du sable là-bas ! » Avait-elle dit avant son départ. À contrecœur, ils avaient repoussé la date du mariage et ils s’étaient quittés fâchés. Cela faisait des mois qu’il n’avait pas eus de nouvelles. Il se demanda si cette expédition au bout du monde n’était pas une erreur. Il avait consacré une vingtaine d’année à ses recherches autour du mythe des Dieux très Anciens et plus précisément à celui de Yog-Sothoth.

Selon la légende, ce dieu, maître de l’espace-temps, avait la capacité d’ouvrir des portes sur d’autres dimensions. D’après ses nombreuses études, le dernier des manuscrits des Dieux très Anciens se trouvaient au sein de la pyramide de Képhren, dans la tombe du roi Lunaire, Khonsou Ier. L’histoire de ce roi Erythréen était fascinante car il était le premier d’une longue dynastie de rois bâtisseurs. Khonsou Ier avait eu l’ambition démesurée de construire des cités majestueuses et luxueuses. Sa soif de pouvoir l’avait contraint à devenir un roi guerrier. Il avait voulu étendre la vision de son propre monde à la terre entière et avait colonisé tous les territoires possibles jusqu’aux confins du monde. La légende raconte par la suite que ce roi lunaire avait été envahi par la folie. La nuit, des murmures venaient lui susurrer qu’il pourrait étendre son royaume par-delà l’espace temps s’il répondait à l’appel de Yog-Sothoth. Khonsou Ier s’était alors enfermé au fin fond de ses appartements et avait rédigé le précieux manuscrit qui lui permettrait de faire venir sur terre Yog-Sothoth. Seulement, ce dernier était mort avant d’avoir pu finir son œuvre.

Alors qu’il s’exaspérait de cette situation préoccupante, Mona, son alter ego féminin arriva essoufflée sous la tente. Il se servit un verre de scotch en la saluant et la dévisagea un instant. C’était une trentenaire dynamique qui n’avait pas la langue dans sa poche. Elle lui tendit fièrement une lettre et il décacheta précipitamment la missive. Il s’étrangla avec une gorgée de scotch et essuya la présente tachée en relisant le courrier sans y croire. Un sourire se dessina sur son visage : « Mona, réunit Walter et Ted car notre expédition prend un nouveau tournant ! »


Ils pénétrèrent dans les entrailles de la pyramide et atteignirent la chambre mortuaire de Khonsou Ier. William eu un pincement au cœur. « Enfin » pensa-t-il avec soulagement. Il fut tout de suite ébahi par la quantité de hiéroglyphes au mur mais son regard se posa presque aussitôt sur le centre de la pièce, là où se trouvait un sarcophage immense en pierre brut. Le tombeau du roi lunaire se dressait devant lui dans toute sa splendeur, il n’avait jamais été aussi prêt d’atteindre son but qu’en cet instant précis. Il se dirigea vers le sarcophage, déterminé, sous le regard médusé de Mona.
-    Mais que fais-tu ? dit-elle interloquée.
-    Enfin, le manuscrit tant recherché. Dit-il pour lui -même.
-    Quoi ? William ?
Mais il ne l’écoutait plus, son esprit était accaparé par un murmure qui émanait du tombeau.
-    William ? Allô ?! On prend quelques prises et on s’en va, on ne doit toucher à rien.
Les murmures s’intensifiaient davantage, l’enveloppant doucement comme une berceuse chaleureuse. Il devait ouvrir le tombeau, il devait posséder ce manuscrit, le toucher, le sentir…Et alors qu’il s’avançait vers le précieux livre, son pied se posa sur une dalle piégée car un bruit sourd fit sursauter tout le monde. Les torches s’éteignirent brusquement, les plongeant dans le noir total, et Walter et Ted poussèrent conjointement un cri d’angoisse. Ils allumèrent à la va-vite la caméra et une lueur verdâtre emplit la salle mortuaire.
-    Mais qu’est-ce que t’as foutu ?!
-    C’est quoi c’bordel ?!
William sortit de sa torpeur et chercha à tâtons le sarcophage. Les murmures devenaient plus distincts, ils l’empressaient d’ouvrir le tombeau alors qu’une odeur immonde de charnier s’en dégageait. Malgré un dégoût profond, il ne put s’empêcher d’obéir aux murmures et de pousser violemment le couvercle qui s’écrasa sur le sol dans un bruit sourd. Soudain, le plafond s’ouvrit en deux et cracha une eau glaciale qui inonda instantanément la pièce, les engloutissant dans un tourbillon violent. Il fut happé dans les profondeurs et sentit son corps se disloquer étrangement. Des tentacules gluants s’agrippaient à ses bras et à ses pieds pour l’écarteler au fond de l’eau. Il poussa un hurlement de terreur et l’eau glaciale s’engouffra avec violence dans ses poumons. Il se débattit comme un diable mais les choses avaient une force surnaturelle si bien qu’elles le démembrèrent aussitôt.
-    William ?!
La voix continua de l’interpeller jusqu’à-ce qu’enfin il puisse avoir le courage de rouvrir les yeux. Il fut tout d’abord aveuglé par l’éclairage et le carrelage immaculé de la salle de bain. Un visage se dessina dans la lumière et il reconnut Suzanne. Nu, dans sa baignoire, il resta circonspect durant de longues minutes. Il ne comprenait pas. Ne comprenait pas où il était et ce qu’il se passait.
-    Ça recommence ! Dit-elle furieuse. Le médecin ne va pas tarder de toute façon, habille-toi !
Elle quitta la pièce et le laissa seul, face à ces incertitudes et son inquiétude grandissante. Pourquoi n’était-il pas en Érythrée ? Était-il en train de devenir fou ? Il sortit de la baignoire et se sécha à la va-vite. Il s’habilla et regarda une fois de plus autour de lui, encore sous le choc. Il était bien dans son appartement du centre de Londres.
Il entendit des voix dans le couloir qui le forcèrent à sortir. Suzanne discutait avec un homme, de dos.
-    Docteur, le voilà. Dit Suzanne.
Lorsque le médecin se retourna, les yeux de William s’ouvrirent en grands comme des soucoupes. L’homme n’avait pas de visage mais une tête en forme de cône noir au bout duquel des tentacules s’agitaient dans tous les sens. William poussa un cri de dément et partit se réfugier dans la chambre qu’il verrouilla à double tour.
-    Docteur ! Il refait une crise, vite !
-    Ouvrez la porte ! Je vais le sédater !
Recroquevillé sur lui-même dans un coin de l’appartement, il pouvait entendre les murmures qui lui susurraient des mots étranges à l’oreille : « Yog-Sothoth est là…Yog-Sothoth est là… ». Les murs de la chambre se mirent à onduler, le sol se déroba sous ses pieds et un vide sans fond l’enveloppa froidement. L’espace-temps semblait se distordre par la seule volonté de Yog-Sothoth.
Mais brusquement, la porte fut défoncée par la créature et la réalité reprit forme. Et alors que le médecin et sa femme le maintenaient avec force pour lui administrer un tranquillisant, de nombreux documents voletèrent aux quatre coins de la pièce. Dans la bagarre, une lettre tachée glissa sous un meuble et personne n’y fit jamais attention.