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Le 07/01/2017
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par Muscadet
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Dossiers / Appel à textes de la Forêt
Première excellente contribution de Muscadet à l'Appel à Textes de la Forêt et vous êtes tous conviés à suivre son exemple. Inspirés des livres de Jack London, postez vos nouvelles de bourlingueurs aux gueules cassées, prêts à partir au bout du monde sur un coup de tête, à la ruée vers l'or, en clandestin ou sur Blablacar, à la chasse aux aurores boréales ou simplement pour collectionner les MST. Aujourd'hui vous aurez le plaisir d'entrer dans le cerveau de Bernard Lavillier. Des légendes aztèques rapportent qu'il aurait inspiré la genèse de la collection du guide du routard ainsi que le business model de Couchsurfing puis AirBnB avant d’entamer la brillante carrière musicale qu'on lui connait. Atteint gravement à son ego par la fameuse chanson des Fatals Picards à sa gloire, il semblerait qu'il se soit installé dans un paisible T3 de la banlieue tourangelle. D'ailleurs, une question me taraude : Bernard, t'habites à combien de kilomètres de Tours ?
J'aurais dû devenir professeur de français comme prévu, j'aurais corrigé les copies avec une attention proportionnée à celle de mes élèves, plaisanté de bon matin en salle pédagogique, arboré décontraction et fatalisme pendant les conseils de classe trimestriels, pris une revanche sur mon adolescence, tancé les terroristes nains de l'expression, rédigé un recueil humoristique contenant les « perles » de mon auditoire analphabète et satisfait ; j'aurais probablement été un enseignant marginal dans ses méthodes, soutenu par quelques iconoclastes discrets et faisant soupirer les autres.
Quelques avertissements du rectorat et une aventure litigieuse dans le cadre professionnel, avec ou sans dépôt de plainte des parents, m'auraient finalement écarté de la carrière et je me serais retrouvé en sursis mise à l'épreuve, peut-être avec un bracelet électronique à plus de cinq cents mètres d'un établissement scolaire, ou en maison de repos tourangelle pour court-circuités de l’Éducation Nationale, en tout cas armé pour écrire un premier roman sur mon approche de l'adversité.
Un plan modeste et sans paillettes sur le principe, sans doute un peu plus édulcoré à l'époque de son élaboration.
Au lieu de ça, j'assume le rôle de disc-jockey de ma copropriété. J'ouvre en même temps que la boulangerie, cinq heures trente, parfois plus tôt, pour faire revivre Simon & Garfunkel, thermostat six sur les enceintes.
Je mérite d'être un peu heureux aussi.
Elle s'est mariée à un élagueur qui fait du canyoning en été et du snowboard en hiver. Ils ont au moins un enfant, de quatre ou cinq ans d'après les photos. Un élagueur du conglomérat Serpe, sans rire, les spécialistes du délierrage et du débroussaillage en nacelles automotrices, ce qui a dû lui permettre de prendre de la hauteur sur les événements contrairement à moi, qui étais beaucoup trop ivre du matin au soir pour faire un prétendant sortable. Si j'ai perdu dans les grandes largeurs face à un sportif avec une tronçonneuse, c'est simplement parce que j'étais déjà déprimant à mourir et sans ambition, et que je ne m'améliore pas puisque j'ai mis près de trois ans à changer les ampoules défectueuses du bureau. Je l'ai fait hier, comme pour amorcer une révolution.

Qu'on vienne m'expliquer ce qui m'empêche de prendre un avion pour la Thaïlande, disons la semaine prochaine selon les offres Last Minute. Mon passeport sent le livre neuf. Je laisse Century21 me voler douze pour cent de la maison, j'occulte le drama concomitant et je m'installe sous la canopée avec une locale non-pute ou presque qui me fera des yeux de biche pour un investissement risible. Devenant trop vite gourmande, je lui ferais savoir que les rizières sont pleines de ses remplaçantes.
De quoi tenir une vingtaine d'années sans excès, une maison en bois à peu près salubre pour les standards, avec un deck pour l'apéro et un jardin tropical sur le modèle cubain : Hemingway en beaucoup moins productif et sans ces conneries de boxe, mais avec le rocking-chair en bois de bananier. J'écrirais quelque chose de terrible là-bas, avant de succomber à une fièvre contractée pour cause d'intolérance au latex. Une véritable étoile filante.
Qu'au moins ces quinze dernières années m'aient servi à emmagasiner assez de corruption pour ne pas m'en soucier, qu'à tout le moins il y ait une finalité, un bonus particulier pour la persévérance, une récompense ou un atout spécifique venant célébrer le parcours, et dont les autres sont privés, sans quoi ce serait une parfaite escroquerie.

La montée des escaliers est à l'amour ce que les sites de réservation sont au voyage. Mes intentions sont claires, et plutôt agressives : je veux porter des bermudas exotiques en Février et demander à la vie ce qu'elle a à y redire, pour voir un peu la gueule qu'elle fera. Eh oui, les gens malheureux se rebiffent aussi, il y a contestation.
Á ce sujet, on se félicitera du fait que mon aigreur trouve son exutoire dans la dépense, les tribulations ou l'écriture, et non dans la prise d'otages, le crime ou le militantisme. Les victimes que je n'ai pas faites ne savent pas tout ce qu'elles me doivent.

Si vous avez sincèrement cru que j'étais prêt à m'embarquer pour la Thaïlande, c'est probablement que vous êtes un noob, et que vous ignorez que mes textes auto-filtrants sont piégés. Vous mériteriez d'y aller pour de bon, et d'y croiser les dealers de la grande couronne parisienne en claquettes, les baroudeurs-embrouilleurs qui tiennent night-clubs glauques et bars criards à lampions sur toute la côte méridionale et les ânes de la classe qui prennent des photos d'éléphants.
Le pays a été banni de la Francophonie il y a deux ans, au même titre que la République Centrafricaine pour vous faire une idée, au motif d'instabilité politique et autres violations de droits universels, ce qui ne décourage pas le tourisme moutonnier à flux tendu.
Les pédophiles distingués de la trempe du frère Mitterrand ou du moins distingué Houellebecq ont abandonné depuis une vingtaine d'années cette jungle sale administrée par les généraux du moment et sa politique de répression de surface du tourisme sexuel, avide d'exposer au monde sa nouvelle doctrine orthodoxe qui ne dupe personne. Vous avez vu Midnight Express, je ne développe pas. Si jamais la référence était trop datée ou stigmatisante pour votre esprit critique délicat, je vous renvoie aux témoignages d'actualité des français qui ont pris quarante ans ou perpétuité pour possession de dix grammes d'héroïne au détour d'un de ces établissements surveillés, et que le dernier gouvernement en date exhibe pour preuve de sa bonne foi réformatrice.
Ai-je vraiment besoin d'en rajouter une couche en vous parlant de la zone de guerre où rebelles séparatistes du nord, agents du Myanmar, et kamikazes islamistes venus d'Indonésie -premier pays musulman mais surtout première base internationale d'Al-Qaïda jusqu'à son éclatement en ordre dispersé et la naissance des satellitaires Al-Nosra et autres Boko Haram-, chacun suivant son propre agenda, sont entrés en compétition au leaderboard des bilans humains -?-.

Je n'y suis pour rien si le terrorisme est un peu partout en ce moment, lorsqu'on sort de son T3. Jusqu'à ce qu'il refaçonne les capitales occidentales, on ne l'appelait pas terrorisme mais insurrections, génocides, conflits, antagonismes, milices, lignes de front, fusillades, éventuellement attentats lorsqu'il s'agissait d'une ambassade américaine en Somalie ou au Yémen. Mais depuis qu'ils viennent chier sur notre paillasson trade center, ces organisations sont officiellement terroristes.
Sinon je vous fais un texte sans polémique sur le Limousin, mais on y perdra tous.

Donc la Thaïlande c'est non, et nous avons déployé les raisons valables en ce sens. Á l'occasion, si un auteur vagabond de votre connaissance évoque cette destination d'un œil malicieux, vous avez désormais les ressources nécessaires pour lui remettre les idées en place, et que vous pouvez, ou non, accompagner d'une gifle avec le plat de la main, doigts écartés, en partant de loin derrière l'épaule.
Ceux qui savent écument Djibouti, gardez-le pour vous. Son positionnement stratégique et la présence militaire atlantiste dans cette région bordélique qui comprend le merdier érythréen et le tribalisme somalien, alimenté par les prises de position de pays arabes aux fonds illimités tels que les EAU et l'Arabie Saoudite, font de l'enclave de Djibouti une zone-tampon où l'attention se porte davantage vers l'extérieur que sur qui-baise-qui et avait-elle dix-huit ans, tout en fournissant une sécurité physique comme judiciaire plus favorable qu'un trou à petites frappes de type Pattaya. Vous ne pensiez quand même pas que quinze mille soldats concentrés sur un territoire timbre-poste se masturbaient docilement sur leurs couchettes pendant huit mois de mission.
En matière de prostitution masculine et féminine, l'Afrique de l'ouest est le marché émergent, du Sénégal au bout du golfe de Guinée, non seulement parce qu'on y meurt un peu moins vite qu'en Afrique de l'est mais naturellement par son héritage colonial, ses ressources en sous-sol, son industrie touristique et une explosion démographique de pays insensés tels que le Nigéria ou le Cameroun qui pousse des milliers de filles à racoler le français ou l'italien aux abords des hôtels.
Déjà mainstream et peu hygiénique, pour un destin comparable à la Thaïlande, en beaucoup plus édifiant à l'horizon 2050. Triste.

Si vous êtes propre et discipliné comme moi, vous partez aux Antilles. Le tropical civilisé, franco-hispano-anglophone selon les goûts, le doigt sur la couture, avec des gendarmes en chemisette. La région est fréquentable si vous avez assez de jugeote pour balayer les embuscades de tour-operator telle que la République Dominicaine, ou littéralement de pirates comme Lucia ou Trinidad. Cuba est royal si vous cherchez le dépaysement historique, et la Jamaïque, malgré ce qu'on peut entendre, est largement praticable.
Le chauvin authentique ne fait ni une ni deux et embarque pour la Guadeloupe ou la Martinique. Un adage créole dit qu'on ne s'y rend jamais une seule fois dans sa vie, et pour cause, puisqu'on y trouve l'ensemble du package équatorial sans les condamnations surréalistes et la malaria. En cas d'ennui au bout de trois jours ou carence en points d'intérêt, tout est prévu puisque vous êtes à deux heures de Miami ou de Bogota, selon que vous soyez davantage Horatio Caine ou Pablo Escobar.

Je vais quand même garder la baraque, on a refait toute la peinture à Noël.