Troisième chapitre : une étrange famille

Le 08/01/2017
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par HaiKulysse
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Rubriques / Le Carnet de Moleskine
Troisième chapitre de la rubrique "Le carnet de Moleskine" de notre bon vieux Haiku qui nous conte ici une sorte de prélude à la St-Con en mode "il faut sauver le soldat Ryan (ou pas)". Nous sommes toujours plongés dans un monde chaotique d'après guerre où les crocos sont devenus nos amis et avec qui on peut faire des barbecues tout en fumant sa clope, pénard. Ah oui, j'oubliais le passage incestueux entre un frère et une soeur qui pourrait en exciter certains. En tout cas, je savais qu'Haiku avait des problèmes psychologiques mais je n'avais pas mesuré l'importance des dégâts que pouvait faire la drogue. On attend donc la fin de ce récit très palpitant (humhum).
J’avais grandi en me cachant de leurs ailes de cachemire safran, c’était devenue une vraie corvée de sortir à l’air libre ; le Monde du Dessus appartenait entièrement aux Alligators du Projet Shadoks 427. Pourtant, notre petite fête annuelle ne pouvait se passer de bois et de combustibles qu’il fallait chercher En-Haut. Et j’avais été bien sûr chargé de cette corvée laborieuse et dangereuse avec mon frère qu’on appelait La Teigne. Alors qu’on était en large infériorité et que leurs cris nous parvenaient déjà d’un vieux tronçon d’autoroute désaffectée, inutilisée depuis des lustres, La Teigne me nargua en grillant, disait-il, une dernière cigarette : il ne voulait pas la gâcher étant donné que le tabac était devenue très difficiles à récolter, seules quelques expéditions dans leurs champs étroitement surveillés avaient réussi à hisser les ballots de tabac dans les profondeurs terrestres où nous vivions misérablement.
La Teigne n’avait pas peur de ces mutants, mais c’était bien le seul de notre petite communauté d’humain à ne pas redouter leur féroce armée.
Il s’était même assis, pour fumer sa putain de cigarette, sur un tas de cadavres en putréfaction, on pouvait dire qu’il avait troqué son coeur tout sec, haineux contre une trique diabolique ; je crois qu’il surestimait ses forces et sous-estimait bêtement la beauté destructive des Alligators.
On avait presque fini la mission, il ne restait plus qu’à descendre ; il allait bientôt écraser son mégot sur un corps démembré mais le piège se resserrait à mesure que sa folie dure et sans âme prolongeait impunément notre temps hors du Terrier. Cette guerre nous avait conduit à vivre méfiants et cloisonnés mais le frangin n’en avait tiré aucune leçon.
Avec son sourire de vainqueur, il regagnait le trou où j’avais commencé à m’engouffrer quand, soudain, les mâchoires d’un Alligator qui s’était avancé en éclaireur le brutalisèrent. Je n’avais aucune envie de le sauver, de jouer aux héros etc.
Ce jour-là, en préférant donner dans le jean-foutre ou le je-m’en-foutisme, j’étais rentré seul mais indemne de la mission, en entendant encore l’agonie de mon frangin à cent pieds de profondeur et jusqu'au dernier soupir.
Merde quoi ! Je ne voulais pas rater cette Saint-Con qui se préparait tranquillement, presque paisiblement ; les organisateurs m’accueillirent avec des youpi joyeux en voyant mes sacs chargés de bois et de silex.
Pas demain la veille qu’on sonnerait le glas de notre petite fête folklorique !

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Ce matin, encore dans mon lit, la lumière des néons me blessa les yeux, la porte s'ouvrit brusquement : Maman m'apportait mon petit déjeuner en me hurlant que c'était l'heure de se lever ; encore une journée de merde à tirer. J moins 2 avant la Saint Con, tout était normal.
Enfin, peut-être pas si merdique cette journée à condition d'arriver à mes fins : découvrir le secret qui mouillait la culotte de ma soeur, la séduire avec des mots tendres et des gestes crus, jouer les mystérieux, les blasés mais avant je devais lui piquer son journal intime pour connaître ses moindres pensées. J'étais d'avance angoissé à l'idée qu'elle ait déjà un prétendant.

Une trentaine de minutes plus tard je vidais en passant dans la cuisine la fin de mon café infect au fond de l'évier. Etrangement il n’y avait personne.

« Le coup tordu par le néon vert, j'aurais dû prendre un somnifère. » J'entendis alors les paroles de Bertrand Cantat sortir du lecteur cassette dans la chambre à coucher de ma soeur. Ainsi en jetant un coup d'oeil à travers la porte entrebâillée, je vis qu'elle n'était pas à l'intérieur. C'était le moment ou jamais.
Il y avait une photo de Lily Labeau collée sur son journal, j'enfonçais une autre cassette -L’amour à trois de Stereo Total- m'allongeais sur son lit et commençais à lire :
« A toi qui me lit du fond de ton terrier minable, à toi mon frangin boutonneux, je suis la dernière réincarnation de Nathalie 0.0 étant programmée pour brûler sur le bûcher de la Saint-Con qui va taper cette fois furieusement dans le registre du paranormal. C'est une prédiction de la Déesse des galipettes, que je représente en cette ère sombre pour les humains, une nouvelle page va s'écrire...
« Au lieu de t'infiltrer lubriquement et dangereusement comme un reptile rampant dans ma chambre, ta fameuse curiosité aurait dû pour une fois être rangée au placard, maintenant lis ce qui suit, cher frère, tu vas enfin savoir d'où tu viens, pourquoi tu existes etc. Toutes tes questions existentielles vont enfin trouver leur finalité.
« A une époque, troublée donc favorable, Michel - un homme à fière allure- a inventé une sorte d'ordinateur ultra-sophistiqué regroupant tous les textes de lazone.org ; rangés en différentes catégories, ces récits ont été réappropriés afin d'instrumentaliser leurs auteurs qui, par la suite, ont intégré docilement le célèbre Projet Shadoks 427.
« Avant de mourir frigorifiée dans sa tente, la grande prêtresse Nathalie, alors qu'on ne distinguait même plus le fond noir et ténébreux de ses nerfs optiques au fond de ses yeux, a enfanté ; fruit de son union charnelle avec le grand et majestueux Michel. Le bébé a survécu, porté à l'hôpital le plus proche par le guide de haute montagne qui accompagnait l'expédition.
Touché sans le savoir par la folie de son Grand Mégalo de paternel, l'enfant déséquilibré a grandi dans les souterrains d'un monde en ruine ; il s'appelait, mais tu le savais déjà inconsciemment, La Teigne, que tu prenais pour ton frère.
« D'après l'arborescence des fichiers et de ce capharnaüm corrompu à l'intérieur de l'ordinateur de Michel que je possède encore, je me suis rendue compte que la situation incontrôlable, ingérable virait aux cafouillages fantomatiques ; ayant perdu le mot de passe de cet ordinateur, j'ai besoin de toi, cher frère, pour hacker la machine verrouillée.
« C'est pour ça que je t'ai laissé la vie sauve : toute la communauté humaine qui demeurait sous terre a été massacrée ce matin après ton petit déjeuner et tu n'as rien vu ni entendu, encore ensommeillé et puis ça s'est fait tellement vite ! Je vois encore ces pauvres hères tournoyant autour de moi, me suppliant de leur faire grâce, le sang tourbillonnant au fond des cavités rocheuses ; maintenant, écoute je vais te transmettre la consigne : tu vas sortir de cet endroit nauséabond, jonché de cadavres. Tu vas remonter Au-Dessus et me rejoindre -n'aie pas peur des alligators, je les gouverne d'une main de fer. Je suis dans la cité la plus proche -une dizaine de kilomètres vers le nord-ouest- sur de hautes tribunes placées en cercle : c'est une arène où le bûcher de la Saint-Con est prêt à être allumé. Ce sera facile, tu verras, tu seras guidé par mes fidèles mercenaires.
« En revanche, si tu ne veux pas m'aider, si tu préfères ne pas te distinguer de la masse servile, alors tu crèveras comme un chien ; rappelle-toi je ne t'offre que la Vérité : viens et on te déposera une couronne de laurier autour de la tête, tu seras le roi des rois et notre règne dépassera bien plus que la simple galaxie. Nous serons des Maîtres et des Tyrans incontestés, alors ramène-toi et ne te dégonfle pas ! »
Autant dire que la lecture de ce journal m'avait littéralement et profondément troué le cul.