Le sabot du diable

Le 05/02/2017
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par Muscadet
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Thèmes / Polémique / Système
Prétextant le thème littéraire classique du voyage, Muscadet fait s’affronter Nietzsche et Kant. Visez plutôt l’épée à deux mains, une arme exigeante, clivante, ingrate, loin des fleurets des duels bourgeois et de leurs premiers sangs d’apparat. Je ne vais rien souiller mais sachez que les concepts sourdent, s'encastrent dans les dents des vaincus et des jouisseurs, percent la rétine pour qu’enfin vous regardiez au lieu de voir, et ce dans une langue déliée, qui sait où, quand et comment frapper, lacérant les mantras satisfaits des eunuques à lunettes, qui phagocytent débats télé, amphithéâtres bondés et fnac qui le sont tout autant. Muscadet est votre meilleur ami et il vous hait. Aimez le miroir qu’il vous tend pour qu’enfin vous viviez, toujours aussi seul mais libre à tout jamais.
Je regarde toujours la carte en temps réel de la météo internationale sur TV5 Monde et il faisait seulement sept degrés à Damas, ce qui est inacceptable pour un reportage. Je cherche un point de chute qui puisse m'extraire de ce marécage brumeux et du climat qui ralentit le temps.
En outre, et contrairement aux carottes fraîches, la précarité ne rend pas aimable. C'est pourquoi j'obéis à une règle simple en évitant les destinations où la valeur de mes lunettes est supérieure au salaire moyen, comme Madagascar ou le Venezuela.
Vous aviez déjà chaussé vos Ray-Ban pour un texte auto-bronzant depuis l'une des agglomérations maussades d'Europe de l'ouest où l'hiver balaie votre enthousiasme de son implacable blizzard, regrettable lectorat à la naïveté confondante. Vous vouliez lire du cocotier et de la langouste, friands d'évasion à peu de frais et de rocambolesques péripéties à la San Antonio.
La sanction tombe et ce sera encore la France, pour vous dresser le caractère.
Si vous voyiez votre tête.
J'ai opté pour ce pays redoutable en basse saison afin de me retrouver, comme on dit dans les stages de développement personnel ou sur les inquiétants forums de dépressifs du calibre de Doctissimo. Se retrouver, c'est d'abord savoir d'où l'on vient et qui l'on est. Sur la question des origines, je suis remonté très loin par souci du détail, plusieurs millions d'années en arrière, et j'ai demandé à Friedrich Nietzsche de bien vouloir faire le point. Nous y reviendrons.
Quant à l'identité, mon tempérament, mes goûts et prises de position ont souvent été considérées comme traditionalistes par les plus compréhensifs de mes interlocuteurs, masturbatoires par les plus freudiens, nihilistes par les plus critiques, agnostiques par les plus pieux, réactionnaires par les plus militants, et invasifs par les plus polonais.
Il fallait donc que j'en aie le cœur net, raison pour laquelle j'avais l'intention de vous emmener à Vichy, dans l'Allier. Un stratagème taquin et fabuleux qui comportait la visite d'un bassin à poissons migrateurs repéré durant ma documentation, les cures thermales évidemment sur le thème du ressourcement, deux blagues dans le cadre de la loi Pleven de 1972 sur l'absence de musée de la collaboration, tout un lot de remarques pertinentes sur la gastronomie locale, la situation économique de l'Auvergne et les grands écrivains inconnus qui avaient marqué l'histoire de Vichy.
Finalement j'ai été contraint à l'abandon du projet : le bassin aux poissons migrateurs n'ouvrait que de Juin à Septembre. C'était le pilier de mon texte.
Du coup, on n'a plus le choix, on est obligé de partir pour Èze.


*


« Pourquoi on est obligé ? »
, couinerez-vous.
Parce que c'est là que Nietzsche a écrit Ainsi parlait Zarathoustra, sous le soleil d'hiver.
« C'est loin, Èze ? »
Près de Nice. Il y aura beaucoup de policiers, on sera au calme.
« Quand est-ce qu'on s'arrête ? »
On ne s'arrête plus. Nous prenons de grandes décisions ici.

Il s'agit d'un plan pharaonique durant lequel nous irons d'abord sur la promenade des Anglais, constater l'atmosphère locale, puis manger une salade en début d'après-midi sous un climat tempéré dans l'une des criques ocres abritées du vent qui serpentent vers Monaco. Enfin, ce sera une marche de longue haleine pour crapahuter sur les hauteurs d'Èze et fouler du pied le village maure niché au sommet de l'à-pic vertigineux qui surplombe les différentes baies céruléennes, et nous emboîterons alors le pas de Friedrich qui a dû souffrir une misère pour accéder à ces rues pavées qui tortillent aujourd'hui entre les habitations ancestrales et les palaces de trois cents à mille euros la nuitée.
Du moins, il s'agissait, d'un plan pharaonique, puisque j'ai dû l'avorter en raison de la seule ligne TGV qui proposait un temps de déplacement révoltant de près de neuf heures, j'en ris encore, jusqu'à destination. En outre, je n'ai jamais apprécié le style dialectique de Christian Estrosi : sa langue de bois en écorce d'olivier est insultante pour l'esprit et il est mielleux comme un vendeur de berlines.


*


Décidément, nous jouons de malchance, acculés face à l'adversité.
Je sais que vous êtes déçus de ne pas partir en vacances comme je l'avais suggéré, mais essayez de voir les choses autrement : nous savons tous depuis les légendes grecques jusqu'à L'alchimiste de Coelho que les aventuriers qui courent le monde finissent par trouver l'épilogue de leur périple à domicile. Pourquoi perdre un temps précieux, la vie défile aussi vite que la crédibilité des candidats à la présidentielle, alors bouclons la boucle sans autre forme de procès.
A présent, et comme je ne veux pas vous perturber avec un topo exhaustif, nous allons procéder différemment et faire contre mauvaise fortune bon cœur. Je vais vous demander de fixer intensément un portrait de Nietzsche, n'importe lequel, pendant quelques secondes.
...
Maintenant voici ce qu'il vous dirait si vous lui demandiez un résumé de votre statut :
« Vous êtes un sous-singe doté d'une conscience détraquée qui s'illusionne sur lui-même »
C'est sa manière de vous expliquer que vous êtes faible, conditionné au respect de l'ordre social, entretenant des chimères, bien éduqué, et par conséquent mal éduqué ; il ajouterait sans doute en vous laissant planté là quelque chose comme : « L'espèce est tout, l'individu n'est rien » de son regard de violeur impénitent.

Pour Friedrich, tout est sujet à dérision. Nous nous inventons des buts existentiels, des modèles à suivre, des doctrines à respecter, incapables que nous sommes d'affronter la vraie vie, froide, hostile et dégueulasse, celle de la conservation de l'espèce où seule la volonté peut nous affranchir des mythes. Dans le but de survivre aux loups, mais aussi à nos propres travers dans un monde par définition chaotique, notre esprit conscient de sous-animaux grégaires et notre imagination ont fait des miracles. Nous avons bâti non seulement des édifices mais aussi une flopée de concepts, intellectualisés et assimilés par la répétition, auxquels nous nous sommes efforcés de croire par nécessité du corps.
Nietzsche est le cavalier déterministe de l'apocalypse qui entre dans le saloon du siècle d'un coup de santiag dans la porte battante, dézinguant à tout-va dans un enchaînement digne des grands classiques : le pianiste de la morale s'encastre dans le clavier, la serveuse de la religion tombe à la renverse avec son plateau, le shérif des lois dégringole de la balustrade à l'étage, le mercenaire de la honte s'affale dans les chaises, le croque-mort des coutumes en lâche son bock de bière, le banquier de l'hypocrisie saute de l'autre côté du zinc, le barman du libre-arbitre lève les bras en agitant son torchon, les fermiers du suivisme se cachent derrière les tables, Platon et Aristote avalent leur barbe.
C'est un carnage déconseillé aux mineurs, vraiment.

Quant à son Éternel Retour du même, j'ai bien réfléchi à la question et je vous le dis sans détour : ce sera non. J'accepte d'être un sous-homme nietzschéen dans ces conditions car revivre mon existence à l'identique un nombre infini de fois, ce n'est pas la définition de l'apaisement ou du bonheur, c'est celle de la torture antique ultime, assimilable au tonneau des Danaïdes ou au rocher de Sisyphe, ou encore au supplice de Prométhée qui se faisait bouffer le foie par un aigle, tous les matins et pour l'éternité. Je choisis la mort sans ciller, camarades.
« Parce que tu es faible. Si tu ne peux soutenir qu'une seule vie, tu mérites de disparaître.»
La ferme, Friedrich. Je te rappelle que des cons me frappaient avec une ceinture à l'internat, pendant que tu devenais philologue en gilet et monocle. Sans parler de tes vacances à Sils-Maria, une des stations balnéaires les plus huppées d'Europe, près de Davos et Saint-Moritz. Sacré philosophe du G8 qui vient me moraliser.
« Tu te perds en invectives, nihiliste incomplet. »
La syphilis t'a transformé la cervelle en gruyère, mon vieux. Autant la Volonté de puissance d'un individu est une théorie solide, naturaliste, évolutionniste et contemporaine de Darwin, qui se justifie par la raison et par la science à plusieurs égards, autant cette fumisterie du Retour dans un univers fini est un délire de souffreteux que personne ne peut honnêtement acheter. Le postulat de trop, Friedrich, tu as été trop gourmand.
« C'est toi qui souffres, regarde-toi. »

Il n'a pas tort sur ce point, en revanche. Je souffre.
Quand j'écris, je poignarde, j'assassine, je ricane comme une petite pute vicieuse en me balançant sur ma chaise, c'est là le ressentiment dont il parle justement, et qui définit ladite faiblesse. Je suis un individu de mauvaise compagnie, chiant comme la mort, mais battu sur ce terrain par les corses et les avocats. Et pourtant, j'ai du bagage.
Cette frustration d'être inachevé, inaccompli dans cette Volonté de puissance, et que la psychanalyse essayera de relier à la pulsion sexuelle vingt ans plus tard, peut rendre dangereux à plusieurs niveaux, d'un danger de fonction sociétale, et pousse souvent à la perversité et au sectarisme. Dark Vador par exemple. Le docteur Gang dans Inspecteur Gadget. Stannis Baratheon. Ou plus tangibles, et plus subtils quand l'éducation et l'époque les y obligent : les auteurs et politiciens radicaux. Tous sont des héros plébiscités qui animent les obsessions du public, non sans raisons.
Si vous vous reconnaissez dans la description, de près ou de loin, n'ayez crainte, frères humains : nous sommes légion. Faibles, envieux et ricanants. Et pour promouvoir notre dépit de ne pas être ce que nous voudrions, nous choisissons dans nos rangs des champions de cruauté afin d'accomplir par procuration notre terrible vengeance sur la vie, et sur ceux qui nous provoquent de leur succès. Parfois par le scrutin électoral, parfois par le culte religieux, parfois par les arts créatifs, la presse et même la loi, mais nous sommes partout à travers nos leaders -réels ou imaginaires- à l'étendard noir, nous avons infiltré tous les segments de la société de ce poison nécessaire.
En réalité, nous jouons même de ce fait le rôle de résistance globale, de test final à la surhumanité décrite par Nietzsche, car ceux qui ont les ressources et la détermination de réussir à s'élever, doivent d'abord affronter notre vindicte et notre insatisfaction appliquées, toutes deux très inventives, pour espérer triompher.
Demandez à Ali Juppé, grand mufti de Bordeaux, il s'en souvient encore.
Les élus sont rares -une poignée de pigeons ambitieux pour des millions de chasseurs en embuscade- car du point de vue adverse, nous sommes à la fois impressionnants par le nombre, et intraitables par l'organisation : les sous-hommes se reconnaissent immédiatement entre eux et savent ce qu'il y a à faire, il y a là un autre instinct de conservation. Néanmoins, et il faut le savoir, ils ne se supportent pas très longtemps : l'effet miroir.
Représentant la plus grande partie de la race humaine, il est impossible de nous cacher, tout le monde savait ce que nous étions, mais cet allemand terrifiant a su poser les mots sur l'évidence. C'est à mon avis la partie la plus valide de la thèse nietzschéenne, qui sur ce volet en particulier, vous arrache les tripes avant de balancer votre carcasse de pantin sur l'autoroute.

Vous n'avez pas tellement apprécié le dernier paragraphe ; je vois tout tel l’œil de Sauron. Mais peu importe, je ne vends pas de colliers de bonbons Pez, vous auriez dû vous en douter. En cas de malaise, changez d'aiguillage et prenez la première sortie vers Cyril Hanouna.


*


Très bien, calmons-nous. Nietzsche rend fou tous ceux qui s'en approchent de trop près, le phénomène est connu : bien des crises existentielles sont arrivées, bien des couples ont divorcé, bien des gens sont morts et bien des drames surviendront encore à son contact.
Nous allons opérer une transition plus décontractée avec un autre allemand au front proéminent qui nous aidera, avec rectitude et sérénité cette fois, à faire la part des choses sur ce qui est et sur le sens. La fameuse part des choses.
Mesdames et Messieurs, forts et faibles : Emmanuel Kant, technicien de la pensée, de la méthode et du raisonnement chirurgical, haut paladin en hermine de la transcendance et du devoir inconditionnel, qui donnera la réplique en bonne et due forme à la racaille nietzschéenne encagoulée.
Réglé comme une horloge, Kant invitait un inconnu, chaque jour à midi, à manger avec lui pour s'ouvrir au monde, le monde de Königsberg du XVIIIème siècle, avant de rentrer pour lire et écrire. Disons qu'il avait une vie rangée, alors que je devrais ranger ma vie.

Nous changeons tout de suite de ton. Avec Emmanuel, pas question de batifoler dans les saloons ou de faire le mariole en insultant les hommes de bravoure. Nous nous tiendrons droit et nous répondrons « Oui Monsieur, bien Monsieur », la réflexion sera orthogonale ou ne sera pas, l'âme sera immortelle et la morale, une obligation universelle et désintéressée.
Au contraire du sauvage Friedrich, il veut nous démontrer que l'esprit est supérieur à la nature, c'est à dire que le monde réel est un phénomène, venu non pas des exigences du corps canalisées jusqu'à l'esprit, mais directement de notre conscience intellectuelle pure. Nous ne sommes pas des babouins en costumes qui se lancent des excréments à la figure en créant des start-up et des émissions télévisées pour nous dominer les uns les autres et baiser davantage, que nenni : nous sommes émancipés de cet esclavage, transcendantaux et nous avons une perspective morale à cultiver pour déployer notre potentiel.
Il aurait probablement été favorable à la peine de mort à l'encontre du scandaleux Sigmund Freud, s'il avait survécu jusqu'à lui. Mais avant tout, il veut nous dire le bonheur de vivre au-delà du matérialisme, conscients de notre libre-arbitre, nous faire voir ce qui est invisible, impalpable et lumineux, et fait notre sel, dans cette nécessité suprême qui s'impose à l'homme de raison : la vertu.

Emmanuel nous met face à nos responsabilités d'enfants capricieux, et n'ira pas chercher de justifications préhistoriques pour accepter le chaos et la rage de l'humanité. Il combat les facilités, les manigances et les petits arrangements moraux que nous avons semés sur notre route en nous pensant très malins. Pas de ça ici, on rentre sa chemise dans le pantalon, on enlève les coudes de la table.
Il me rappelle mon beau-père. Un transcendantaliste trumpien avant l'heure, adepte du protectionnisme frontalier au fusil à pompe puisqu'il avait l'habitude de calmer mes velléités de délocalisation par le célèbre avertissement : « Si tu passes la porte dans un sens, tu ne la repasseras pas dans l'autre ». J'avais choisi à l'époque la même option que le PDG des usines Ford dans le Michigan aujourd'hui : la temporisation raisonnable. Car il disait aussi : « Si je t'en mets une, le mur t'en donnera une autre ». Un homme de terroir et de conviction, dont la fonction de radiologue lui permettait de percer à jour la moindre entorse au bon sens, piétiste indéboulonnable et sans le moindre doute, kantien. « La terre est basse ». Il était difficile de lui apporter la contradiction. J'ai dû beaucoup m'entraîner.
Par ailleurs, nous avions des divergences de points de vue. Du perspectivisme : il me voyait autrement que je me voyais moi-même, telle la mouche qui perçoit une table différemment d'un éléphant. Ce n'est pas la même table, ce n'est peut-être même pas une table pour l'un des deux. De la difficulté de communiquer.

Kant est un pionnier du perspectivisme dans son analyse du savoir, une idée qui sera reprise par Schopenhauer puis par Nietzsche un siècle plus tard, et qu'il exploite pour développer sa position la plus controversée. Car pour lui, espérer, et non croire -un philosophe ne croit pas, il envisage-, l'existence de Dieu est indispensable : sans cette éventualité, point d'espoir, point de morale, et donc point de liberté.
Un postulat qui donne à réfléchir et qui me renvoie à mon éducation catholique, bien avant que je devienne un hippie anachronique et blasé. J'ai d'ailleurs revendu la gourmette de ma communion au poids de l'or, une vingtaine d'euros le gramme, avant de payer la taxe foncière de l'an dernier. Dans ces conditions effectivement, « la propriété, c'est du vol », comme disait Proudhon, l'aphorisme libertaire le plus mal interprété du XIXème siècle.
Mais revenons au nœud du problème, le tiercé dans l'ordre, liberté-morale-espoir du divin : Kant nous explique que le vice étant naturel, la seule liberté qui existe est celle qui consiste à se faire consciemment violence en direction de la morale, au lieu de céder à la tentation, nous distinguant des autres animaux. « Un homme, ça s'empêche », disait le père Camus. Jusque-là, on nage en eaux connues. Enfin, j'avais un ami qui estimait que la liberté consistait à jeter ses bouteilles de bière par la vitre de la voiture en écoutant Radiohead, j'imagine qu'il aurait débattu la question.
Attention au twist : cette morale universelle, présente en chacun de nous, ne provient pas de l'éducation ou de la société, car nous la connaissons par intuition, sans en faire l'expérience ; il s'agit donc d'une raison pure, universelle ou a priori, qui suggère une métaphysique. L'espoir du divin.
Emmanuel ne plaisante pas, je vous l'avais dit, son épée de flammes immole les mécréants.

Évidemment, si la morale n'est pas sociale, nous sommes en plein champ de bataille. Et vous viendrez sans doute contester, brandissant vos petits poings, et chicanant :
« Non, parce que si j'enferme mon enfant à la cave dès la naissance, il deviendra déraisonnable comme un sanglier, donc la morale est acquise. »
D'abord, ne faites jamais ça. Les enfances malheureuses produisent des auteurs irritables. Ensuite, Kant n'est pas un joueur de flûte : il avait anticipé votre argument depuis trois siècles et il a une parade à votre scepticisme. Il se trouve que la morale pure de l'individu devient accessible avec le développement du cerveau, c'est à dire qu'un gosse de deux ans pourrait éventuellement vous crever l’œil avec une fourchette sans éprouver le moindre remords mais pas parce qu'il est amoral par nature, simplement parce qu'il a deux ans et qu'il s'en fout, de votre œil.
En grandissant, en dehors d'une cave afin de pouvoir raisonner et d'éviter un traumatisme menant à la psychopathie, il pourra agir en se demandant si son action est plutôt bonne universellement, c'est à dire pour lui et pour tous en tant que finalité désintéressée, ou plutôt bonne comme on le lui a inculqué : remise en question de l'enseignement, comparaison et choix. Emmanuel appelle cette démarche un impératif catégorique, parce que c'est plus ronflant.
La morale est donc invariable en nous, mais son respect et l'aptitude à y accéder dépendent du libre-arbitre et de l'environnement. Pour Kant, une invariabilité de ce niveau ouvre la porte de la théologie.

Mais Nietzsche la lui aurait claquée à la gueule et lui aurait cassé les dents, c'est certain. Puis il aurait enjambé son corps en commentant sa théorie d'un vers lapidaire, tel que : « Ça boite, ça porte le sabot du diable.»