La terrible vengeance burroughsienne !

Le 18/02/2017
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par HaiKulysse
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Thèmes / Fight / Critiques de sites
Vous n’êtes pas sans savoir qu’Haikulysse a dernièrement lancé une OPA sur La Zone. Manoeuvre désespérée d’un loup solitaire à la dérive ? Que nenni, car derrière cette transfusion quasi-quotidienne de collages sémantiques se cache en réalité la Corporation Burroughs. Et CETA oblige, la Zone risque fort de se voir maltraitée en bourse et rachetée pour une poignée de porte, dans l’ultime but de devenir l’espace d’expression d’une étrange multi-nationale 6.0, où PGD, DRH et ouvriers ne sont au final qu’une seule et unique personne, qui tapote sans fin, colle et retapote encore, afin de cramer définitivement les derniers synapses qu’ils vous restent, tuant ainsi et pour toujours cette délicate catin de littérature, qui depuis trop longtemps nous trompe en prétendant toucher du bout des doigts le sens de toute existence. Et pour ceux qui pensaient ne lire qu’une succession d’aléatoires puzzles, Haiku enlève son masque tel le méchant dans Scooby-Doo, redresse l’échine comme Keyser Söze, tissant des liens entre ses oeuvres, et notamment sa toute première offrande zonarde, Elephant Man Syndrome, Cheval de Troie dégoulinant. Tout était là, depuis le début, sous vos yeux blasés, mais il est désormais trop tard.
Une terrible vengeance burroughsienne allait s'opérer dans l'ombre.

La nuit ressemblait à la peinture d’un moine castré. Sans émotions ni parjure, une nuit fugitive et stridente. Je sentis monter en moi un sentiment de mélancolie gluante. J’avais comme un blues qui me peignait le cœur en mauve. J’avais besoin de dormir. J’avais besoin d’une cigarette. J’avais besoin de la présence réconfortante d’une double dose de rhum paille. J’avais besoin de poser mes mains sur le cul d’une femme réelle. Je voulais dessiner l’architecture spirituelle d’un ordinateur.
Je ne sais comment ni par quel moyen, mais je me trouvais maintenant assis à mon bureau, une cigarette se consumant dans le cendrier, un verre de rhum à moitié vide dans une main et une enveloppe pleine de photos floues en noir et blanc, où l’on devinait vaguement une scène classée X ; de ma machine à écrire avait giclé une feuille ou l’on pouvait lire :
« Les forces spirituelles guident nos pas, nous franchirons tous un jour l’espace reliant l’existence aux ténèbres, nous n’aurons plus besoin de mains ni de jambes ni de cœurs qui battent, j’entends le cormoran des limbes appeler mon nom… On dit qu’un roi perd son royaume quand il perd la vue… »
Il y avait d'abord, bouillonnant d’unité monstrueusement et densément littéraire, cette nouvelle idée de Cornélius l’Architecte De Tous Les Récits, aussi troublante qu'un film comme la grande bouffe, qui avait comme pris feu en ce 17 février 2015. Son prodigieux dénouement avait été longuement différé par d'étranges phénomènes. S’articulant autour du seul survivant de l’Elephant Man Syndrome, le journaliste et narrateur Cornélius, un enchevêtrement de fils électriques partiellement organiques et télépathiques avait donné naissance à ce monstre des égouts interurbains. Une sorte de teratopoupon projeté dans le passé à Lyon qui transmettait par voie sexuelle le parasite filaire.

Tout avait commencé ainsi : en ce 17 février 2015, Cornélius s’affairait à régénérer sans cesse son organisme en nourrissant sa machine à écrire des larves intestinales de ce vers mutant ; après maintes fanfaronnades, une corporation d'étudiants avait ordonné la formation d'une force spéciale d'assaut ne comprenant que des volontaires pour assaillir lazone.org et Cornélius à sa tête, avait été envoyé dans ce monde pour accomplir une mission vitale ; son champ opérationnel : l'écriture automatique et le cut-up de Burroughs.
Alors que des élèves anônnaient leur latin irraisonnable dans la salle de classe à côté, l’équipe de Cornélius avait inventé une machine informatique qui désagrégeait peu à peu cet espace de la toile virtuelle en casant régulièrement sur leur page d’accueil la prose, découpée en cut-up, de la corporation. L'ordinateur collectait aussi, à l'aide d'une méthode heuristique, les textes des authentiques zonards en les remplaçant par des images classiques tirées des comics de huit pages d'autrefois. Etant donné qu’ils ne voulaient pas collaborer avec le Projet Cornélius, ils disparaissaient dans les ténèbres, leur écran d’ordinateur se clôturant sur une image qui ressemblait à une tâche de purée produisant un tas d'onomatopées merdeux ou honteux.

La Cora-Hummer 7 s'appliqua aussi à refaçonner intégralement la politique éditoriale du site en hissant au pouvoir quelques membres de la corporation. Cette année 2015, alors que la production haletante de la Burroughs C-H 7 avait été lancée sur le marché mondial de la grande consommation, avait été magique ; elle avait aussi réanimé le spectre des tickets numérotés des grandes périodes de rationnement pour se réapproprier ce système : si vous vouliez une connexion Internet potable mais surtout un identifiant et un mot de passe pour vous introduire dans la Secte, il fallait faire une lettre de motivation prouvant votre adhésion fervente au Parti, auprès des autorités en place et posséder ce nouveau genre d'ordinateur.
Ainsi une kyrielle de zonards se perdant dans les mortifications passéistes de leur suffisante infériorité avait subi l’influence subversive de plein fouet : ils furent anéantis et leur poussière devint des cendres pour leur grande et adorée Saint-Con, des scories et des failles directement jaillis de l’ancien monde.

D'ailleurs, la plupart des participants de la Saint-Con se contentaient à présent d’une version hautement fumeuse : résultat nébuleux d'une pléthore de presse-papier encombrant, de timeline surréaliste, de cartographies élucubratoires, de traitements de textes limités à un langage châtié et d’autres logiciels aux interfaces incompréhensibles…

L'artisanat industriel de Cornélius avait même percé le mystère de la vie ; les consommateurs-lecteurs conquis allaient encore débourser jusqu'à leur dernier kopeck pour avoir le dernier cri de la Corporation Burroughs : pour l'instant à l'état de maquette, ce plan quinquennal devait, d'après les théories du Très Haut et Très Saint Architecte Cornélius, désactiver le maigre périmètre virtuellement et extrêmement cartographié des dissidents ; ce maquis corrompu et oxydé où ils s'étaient faufilé pour se soustraire à une terrible mort aussi bien cérébrale que réelle.