Le Bandit manchot et le gendarme couché

Le 15/03/2017
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par Méthylène
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Thèmes / Polémique / Société
Dans cette courte fable somme toute déjà plus qualitative que sa précédente offrande zonarde, Dame Méthylène nous parle de problématiques bien actuelles, à savoir le storytelling et la vérité, la vraie, avec un grand Q. Fin mot de l'histoire : ce qui compte n'est pas tant la vérité, mais de comment on la raconte, la met en scène, bref, de comment on parodie le réel pour en faire une pâte attrayante qui comblera trous moraux et inconstances de l'âme. Rien de nouveau sous le Soleil de Râ donc, on autopsiait déjà le sujet en réajustant sa toge, mais simple rappel champêtre à base de jeux de mot catégorie Haikulysse et autres allitérations.
En impeccable costume blanc cintré sur une chemise noire entrouverte, il avait de l’allure, une allure à la gitan, avec chevalière en or au petit doigt. Mais à la main gauche, seulement. A droite, la manche pendait, vide.
Il laissait entendre à qui le voulait bien qu’il avait perdu son bras droit lors d’un casse mouvementé, qui se serait achevé, pour lui, avec un joli magot dans la senestre mais une balle de 7x65 dans le biceps. « Impossible de la faire retirer à l’hosto. Ils auraient mandé les condés. J’ai laissé faire en serrant les dents mais la gangrène s’y est mise et, finalement, c’est le véto qui me l’a coupé. C’était ça ou j’y passais… »
Un soir, l’élégant quoique peu symétrique lascar décide de s’accorder un plaisir. Il se rend au casino, se choisit une machine à sous et prend sa place dans la rangée de joueurs. Regard hypnotisé, énorme seau sur le genou, on les croirait télétransportés en ligne depuis un multiplexe…
A force de perdre, notre homme finit par gagner la sympathie de son voisin, guère plus veinard. Leur seau vidé, ils scellent au bar leur camaraderie naissante.
Au deuxième whisky, le manchot ne se fait pas prier pour raconter à son comparse, intrigué, les fabuleuses aventures du bras droit disparu. « C’est que j’ai fait l’Afghanistan. Dans la Légion. Un soir qu’on progressait en furtif, à plat ventre dans la poussière, j’ai sauté sur une mine antipersonnel. Le cul que j’ai eu ! Ni la caboche, ni le buffet ; que le bras droit en viande hachée ! »
Apprenant, au verre suivant, que l’autre est gendarme, le bandit se félicite de n’avoir pas servi son histoire de braquage. L’autre cependant n’a pas l’air redoutable, qui avoue ne quitter que rarement son plumard pour dépenser sa pension au casino. « Un gendarme, mais un gendarme couché ! » le chicane le Chico, et sur ce, l’entraîne au café de son quartier, où c’est la fête, avec tous ses poteaux, les bonnes femmes et les marmots.
A l’heure du crime - ou du petit Jésus dans la crèche, selon comme on entend la chose - parce qu’il a, sans doute, quelques grammes de trop, une version moins romantique de l’histoire échappe au truand : à cause d’un ralentisseur pris un peu vite, il aurait fait quelques tonneaux, assis à la place du mort. « J’avais le bras à la fenêtre, pour fumer sans déranger… »
Manifestement, la variante retombe à plat. L’assistance qui, l’instant d’avant, se pressait, avide, autour de lui, s’éparpille alors, déçue.
Si l’on peut tirer une morale de cette histoire de bandit manchot et de gendarme couché, c’est que la vérité n’est jamais sûre, et qu’une farce bien épicée fait mieux recette que nature.