La Noirceur

Le 14/08/2017
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par HaiKulysse
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Dossiers / J'ai fait un rêve
Non ce n'est pas un store vénitien cassé en illustration de ce texte onirique d'HaiKulysse. Les peintures de Pierre Soulages ne représentent rien. Comme de nombreux peintres de sa génération, il aime à dire « qu’il ne dépeint pas » mais « qu’il peint ». « Il ne représente pas, il présente. » Ses toiles s’inscrivent pleinement dans les débats qui animent alors le champ de l’art, autour des liens qu’entretient l’abstraction avec le réel. Il s’oppose aussi à l’idée d'un art abstrait. Selon lui, la peinture figurative est abstraite et inversement. Car la réalité sensible n’est jamais perçue qu’au travers du filtre humain. Certain jurent pourtant que Soulages aurait fait un bon maçon-plâtrier et qu'il a loupé un prix du meilleur ouvrier de France voire une grande carrière internationale dans l'artisanat de luxe. Le style burroughsien conduit aux mêmes polémiques. Certaines mauvaises langues défendraient becs et ongles que les textes haikulyssiens sont réalisés à la truelle, la taloche et au platoir , à base d' un bon gros mortier bien grumeleux. D'autres crient au génie. Il faut se méfier des bonnes langues cependant. Quoi qu'il en soit, après avoir découvert qu'HaiKulysse rêve en mode cut-up, ici on apprend que de surcroît, il rêve dans un MEUPORG où il retrouve fréquemment son pote l'astronaute mort, peut être Youri Gagarine ou Thomas Pesquet ?
J'adhérais, sur une échelle démesurée, à cette noirceur assortissant tous mes rêves.
Qu'est-ce qu'elle pouvait bien m'apporter cette noirceur ? Un traumatisant mode de vie peut-être. Un mode de vie qui, ostensiblement, m'emportait vers le fond.
En dormant toute la journée pour cause d'incompatibilité d'humeur avec les autres, la noirceur me tendait la perche et je me retrouvais ainsi dans ses rêves qui pesaient comme de grosses larves en gestation.
Elle ne proposait aucun retournement de situation mais je pouvais quand même résoudre quelques problèmes en poursuivant ma route ensommeillée pour me confronter à cette noirceur.
Son territoire ? On pouvait le comparer à une cité végétative, dépravée ou possédée.
Suivi par sa lente et inexorable progression, je m'aventurais jusqu'au noyau de la ville. Il n'y avait ici que des profanateurs ou pire des prédateurs. Ils ambitionnaient eux aussi de siphonner cette noirceur, je les entendais jacasser entre eux mais jamais je me mêlais à leur cabale.
Il y avait aussi, pendant les grandes périodes de sécheresse, des crocodiles indomptés et enragés qui prendraient un jour ou l'autre la relève de ces anciens.

Un week-end, en utilisant des barbituriques, alors dans un conduit d'égout engorgé, le spectre du cosmonaute s'était à nouveau incarné. Sans explication rationnelle.
C'était un cosmonaute qui revenait de longues nuits sibériennes irrationnelles.
Il avait longtemps observé la voie céleste qui ruinait les esprits sans raison. À nous deux, on avait communément tracé nos vies de même couleur, de même éclat.

Il était vingt heures quand je m'éveillais ; la noirceur avait libéré pêle-mêle l'abîme stellaire du cosmonaute : en prenant à cette heure mon café, son arôme avait le goût du commencement et de la fin, d'une pendaison à venir. Lorsque j'ouvrais mon calepin, je m'attendrissais sur ces détails séduisants.
Le cosmonaute dont l'origine m'était inconnue et qui se perdait dans ses pensées, terminait chaque week-end en émergeant comme moi d'un sommeil nébuleux.

S'était immobilisé le rêve des noirceurs tentatrices et plus rien n'avait d'importance.