Eau Javellisante ou Poisson-Scie Gentleman

Le 27/09/2017
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par Clacker
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Rubriques / La Ruche
Clacker nous gratifie d'un septième volet de sa rubrique très attendue, "La Ruche". Pour rappel, à Mandeville en Louisiane des évenements très troublants tendent à prouver que le vice individuel améliore la société et que la vertu collective devient un chantage et un abus de pouvoir de la masse. On entre dans une phase post burn-out de la ligne storytellique et la trame scénaristique s'en trouve entrecoupée de nombreux glitchs WTF. Pour moi c'est une sorte d'antithèse du film "No Country for old men" des frères Cohen. Le Grand Méchant est mort et tous les personnages restants partent totalement en vrille comme si un équilibre universel venait d'être perturbé et que le trop plein de vice et méchanceté éliminé devait être redistribué dans la psyché de tous les protagonistes encore en vie. La fin paroxystique dans le domaine du WTF se trouve probablement quelque part entre un pétage de plomb de l'auteur, du pur foutage de gueule, une critique subtile des storyverses lynchiens et incluant probablement aussi toutes les réciproques à ce que j'avance. Clacker nous teste-t-il ? Clacker se teste-t-il ? Peu importe. Le tout est très plaisant et totalement déconcertant relativement aux épisodes précédents alors mêlons-nous de ce qui nous regarde et profitons de ce nouvel opus tout en en réclamant un nouveau. Envoyons des pétitions à faire signer à Caroline de Haas sur Change.org s'il le faut. Message complémentaire de l'auteur : "Précision : J'ai écrit ce nouvel épisode en écoutant ça en boucle https://www.youtube.com/watch?v=C1GhNWS3yN8 (qui pourrait très bien être le générique de La Ruche, d'ailleurs, soyons fous, osons le cross-média)" Alors : oui, soyons fous ! (plus beau slogan du monde)
La nuit verte est tombée sournoisement sur Mandeville en même temps qu'un brouillard dense, les néons jaunes et bleus de la ville basse forment des halos épâtés dans l'atmosphère, aveuglants et menaçants, et rien ne bouge là-dehors, sinon la cavalcade d'une harde de chiens errants dans le lointain flou.
Si l'on colle une oreille contre le goudron de la rue, on peut entendre une mélodie étouffée. Elle se déplace en même temps que l'eau bleue des égouts, parmi les boites de lait et les chaussures et les conserves et les cartons en dissolution, elle serpente et devient progressivement plus audible et plus claire à chaque kilomètres en suivant le courant, et au bout d'un long voyage sur l'eau javellisante, l'on arrive à sa source. Ici, l'égout fait un coude et il y a un large renfoncement où se trouve du matériel d'entretien dans des casiers en fer. Ici, des bougies ont été disposées en cercle autour d'un monceau de déchets et de détritus grand d'au moins un mètre. Contre ce trône en décomposition repose un homme à tête de corbeau, en costume de ville usé et trempé - il est littéralement assis dans les ordures -, posant le pied contre une enceinte d'amplificateur de guitare-basse d'où s'échappe la fameuse mélodie. Il déguste un whisky bas de gamme à même le goulot dans la pénombre étrange de l'endroit, marmonnant quelques paroles inaudibles de temps à autre et ignorant royalement les deux alligators adultes postés à ses côtés, calmes et immobiles comme de fidèles chiens de garde. Ici, les ombres portées sont fascinantes.
"... résultats de cette étude réalisée par une société privée qui démentiraient les accusations de malformations chez les fétus polymorphes.
(le présentateur se retourne vers une deuxième caméra, prenant un air encore plus sérieux que précédemment)
-Nous vous parlions déjà en début de semaine du cyclone tropical qui prend forme dans le golfe du mexique, eh bien sachez que selon les prévisions de nos experts, il se dirigerait en ce moment vers les côtes de Floride. Un plan d'évacuation est prévu pour les habitants de la pointe de la péninsule.
(Il porte une main à son oreille et garde le silence un instant, pendant une demie-seconde on peut lui voir un curieux rictus, puis il prend un air d'une gravité extrême)
-Un flash spécial : on m'informe à l'instant du décès du magnat de l'immobilier Parsifal Van Dyck, dont le corps aurait été vraisemblablement retrouvé au petit matin dans un appartement insalubre de la ville basse. Les conditions de la mort sont encore floues, mais des témoins sont entendus par des inquêteurs et nous devrions en savoir plus dans les prochains jours.
(Puis fixant avec attention son prompteur)
-Et pour clore ce journal, nous vous rappelons que nous fêtons aujourd'hui la journée mondiale du bonheur. Notre équipe a réalisé un micro-trottoir dans les rues afin de recueillir vos idées pour faire de cette journée particulière un souvenir inoubliable. Gary Galbanny et Marianne James...
(sourire figé du présentateur avant que l'image fasse un rapide fondu sur la Place au Miel de la ville haute de Mandeville)"


-Ca tient pas debout.
L'officier chauve se fend d'un sourire mauvais. Il se penche, pose les mains sur la table et reluque pesamment Cassandre, recroquevillée sur la chaise d'interrogatoire. Il cherche à capter son regard, mais elle est ailleurs. Son corps est bien ici, malade et régulièrement parcouru de spasmes, mais son esprit continue à lui repasser le film des instants qui ont suivi le meutre. Elle revoit le ciel plombé de nuages vert-de-gris comme un couvercle de cuivre céleste dans la nuit, et elle halète sous la lumière bleue du néon du magasin en face des fenêtres de son appartement.
Carnaval entre et sort de Cassandre, il la soulève et la soutient contre le mur de l'appartement, par les hanches, et joue du piston avec son énorme pine d'hybride Corvus dans le con de la séminale, qui bêle doucement, visage impassible. Ce n'est que par pur réflexe professionnel qu'elle enserre les flancs de l'animal de ses jambes nues, restée en état de choc psychologique et ne parvenant toujours pas à décoller son regard du cadavre d'homme-bouc au pied de son lit. Le corbeau burine comme un beau diable, il met à profit la décharge d'adrénaline que lui a procuré le meurtre de Van Dyck.
En effet, sitôt son forfait accompli, il s'est naturellement tourné vers Cassandre, comme pour la prendre à témoin et pouvoir attester à deux de la réalité de l'évènement. Mais avant de pouvoir dire quoi que ce soit, il s'est laissé subjuguer par la pose lascive de la prostituée, assise au sol, jambes écartées, transie d'abandon, et il s'est brusquement jeté sur elle, a agrippé à pleines mains les poches de son pantalon de cuir et lui a retiré sans ménagement. Il l'a soulevée sans forcer, et a entrepris d'ouvrir la voie.
Profitant donc de cet instant privilégié, d'une voix entrecoupée de respirations il lui croasse à l'oreille :
-Si tu me dénonces, je reviens... sans prévenir... et je te découpe en morceaux.
Cassandre ne réagit pas, alors il lime avec plus d'ardeur encore, et, sous une saccade de bruits de chairs s'entrechoquant sèchement, il reprend, le bec collé à la petite oreille :
-Ce type méritait son sort. Alors écoute-moi bien. Tu diras ce que tu veux aux flics, mais invente un bobard dans lequel je ne figure pas. C'est bon ?
La jeune fille acquièsce presque imperceptiblement. Carnaval s'énerve et met un grand coup de piston en prenant son élan :
-C'EST BON ?!
-C'est bon ! répond-elle dans un gémissement.
Le policier chauve claque des doigts devant le museau de Cassandre. Elle revient à elle dans un sursaut.
-Je veux bien croire que tu l'as pas tué, reprend l'officier.
Il pose ses doigts sous le menton de la séminale et lui relève la tête pour l'obliger à le regarder.
-T'es à peine capable de tenir debout. Je te vois mal faire le poids contre un bestiau comme Van Dyck. Mais j'ai quand même l'impression que tu nous racontes des conneries avec ton prétendu voleur, là.
-Deus ex machina, dit l'officier à casquette.
Le chauve prend la casquette par le bras et ils sortent de la pièce.
-Arrête de sortir tes punchlines de mec raffiné, c'est une pute, et camée avec ça. Soit elle nous ment pour protéger quelqu'un - son dealer ou son mac, par exemple -, soit elle était tellement à la ramasse qu'elle a rien capté de ce qui s'est passé dans son propre appartement.
-En attendant on a rien contre elle. La porte a été fracturée de l'extérieur, et on a retrouvé des traces de sang d'une troisième personne sur Van Dyck. La personne en question n'est pas dans nos fichiers. Et puis, des voleurs, c'est pas ce qu'il manque dans la ville basse. Sans plus de piste, on peut pas la garder.
-Ouais... J'me la garderais bien, moi... marmonne le chauve.
Le flic à casquette secoue le visage, puis il entre dans la salle d'interrogatoire et s'avance vers Cassandre :
-On va prendre vos empreintes et un numéro de téléphone, puis vous pourrez partir. Mais on risque d'avoir d'autres questions à l'avenir. Vous êtes le témoin numéro un, alors ne quittez pas Mandeville.

Le temps a été maussade toute la journée, et la faune interlope de la ville basse n'attendait qu'une seule chose pour échapper à la tristesse ambiante, la pluie torrentielle et les orages menaçants : l'ouverture du Filet du Pêcheur, pour danser à s'en déboiter les articulations sur du post-parallaxe dernier cri et boire du surrénal à haute dose. A 21H, l'endroit est déjà bondé, malgré la descente toute récente de la Brigade du Frelon et les arrestations qui ont suivi. Et on peut dire que ça n'a servi de leçon à personne, vu le nombre de Séminaux repérables entre mille qui hantent déjà le lieu.
Cassandre, trempée jusqu'aux os dans son simple jean ultra-serré et sa chemise blanche, tétons gelés pointant sous le tissus translucide, maquillage dégoulinant jusqu'aux seins, perd patience face au videur. C'est un hybride orque, patibulaire et cigare au bec qui ne semble savoir que faire de ses énormes bras musculeux. Il refuse de la laisser entrer pour le seul motif qu'elle ne porte pas de chaussures. La jeune séminale à beau lui expliquer encore une fois qu'elle en a cassé les talons en courant sous la pluie et a fini par les jeter dans une bouche d'égout par manque de patience - laquelle n'est vraiment pas sa vertu première, insiste-t-elle -, le videur ne veut rien savoir. La file d'attente grandit à vue d'oeil derrière Cassandre, et ceux qui la composent commencent à montrer des signes de dangereux enervement, mourrant d'envie d'aller se fouler les chevilles sur le dancefloor. Le videur laisse finalement éclater un sévère et abyssal "NON" qui provoque instantanément le silence sous le parvis de la boite. Devant ce dernier et définitif refus, Cassandre grogne méchamment et crache aux bottes de l'homme-orque, en le fusillant d'un regard noir. Elle se fraie un chemin en sens inverse, parmi la foule, jouant des coudes, et se met à contourner l'établissement. Elle passe un angle et atterrit face à une fenêtre fermée donnant sur les toilettes. Croisant les bras sur sa frêle poitrine, elle colle son front contre la vitre et attend là, sous la pluie battante. Finalement la lumière s'allume à l'intérieur et révèle un hybride poisson-scie en train de déboutonner son pantalon face à une pissotière. Cassandre tape du plat de la main contre le verre, plusieurs fois, et le type finit par tourner son nez de 30 centimètres dans sa direction. Il reste hagard quelques secondes et finit par aller ouvrir.
-Ben alors ? dit-il d'une voix avinée en lui tendant une main secourable.
La jeune fille se contente d'enjamber le carreau sans même le regarder, et tombe à pieds joints sur le plancher vibrant de basses de la boite. Elle dégouline littéralement d'eau, mais ne prend pas le temps de se sécher et ignore le rouleau de papier hygiénique que lui tend le poisson-scie gentleman. Ce dernier proteste vaguement tandis que Cassandre sort des toilettes. Elle parcourt la salle de danse plongée dans une ambiance explosive de flashs de lumières multicolores et de fumée compacte, esquive comme elle peut la foule déchaînée et rejoint directement le bar. De là, elle fait de grands gestes et se fait remarquer par le tenancier, un jeune type à barbichette. Elle lui explique dans le creux de l'oreille qu'elle doit monter au premier étage voir l'artiste qui vit au-dessus, et en profite pour lui lécher le lobe afin d'appuyer son propos. Le barman sourit largement et la fait passer derrière le bar. Cassandre le remercie en lui serrant les couilles à pleine main, puis elle emprunte une porte, et enfin traverse un couloir donnant sur le hall de l'immeuble. Elle gravit l'escalier de bois pourrissant et frappe à la première porte sur sa droite. Juste au-dessus de la sonnette, un autocollant annonce :

MERYL STREEP