Deadpool est cool

Le 13/10/2017
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par Lunatik
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Dossiers / Foutre le bordel !
Sous ses airs d'histoire absurde, Lunatik- nous propose en réalité une love story à faire s'effondrer des mythes comme Romeo et Juliette, Héloïse et Abélard, Tango and Cash, Procter and Gamble. Vous serez étonnés de voir à quel point le viol des copyrights de Marvel Comics est subtilement assumé. Préparez-vous pour un grand rollercoaster émotionnel donc, des rires très forts, puis des larmes par torrents : un vrai simulateur de bipolarité cyclothymique au final. Prenez vos médocs. La Zone point org décline toute responsabilité en cas de lésion neuronale suite à la lecture de ce texte. Je l'ai unilatéralement classé dans le dossier "Foutre le bordel !" même si je ne pense pas que l'auteur ait répondu à l'appel mais c'est l'effet que la lecture fait à mes pauvres petites cellules grises. Double pouce en l'air.
Le ciel nocturne est encombré de nuages comme des glaires en suspension. Le pont est crade, vétuste, boueux ; les haubans grinçants, le tablier lézardé, les piliers tagués. Et dessous, je parie que ça pue l'eau croupie et les feuilles en décomposition. Tout une métaphore de mon corps.
Après avoir vidé mes poches et légué leur contenu au chauffeur, j’ai retroussé mon pantalon pour ne pas le pourrir en descendant du taxi. On a tous ses coquetteries. Trois cent douze euros, six tickets resto, un tube entamé de Lexomil et un patch morphinique, pour une course de vingt minutes. Le mec était ravi, il n’a même pas fait mine de s’inquiéter pour moi. Pourtant, on se connait maintenant, c’est pas la première fois qu’il me dépose ici. J’aurais pu espérer de l’étonnement, voire une pointe d’intérêt ou de sollicitude. Mais il s’en branle, comme tout le monde.

Il a redémarré en trombe et j’ai légumé sur le bord du trottoir, sous le crachin glacial, à compter les bagnoles, en attendant que le trafic meure. Mes godasses ont pris la flotte, mon slip Deadpool me rentre dans la raie.

J’essaie de me rappeler ce que je fous là, à cette heure indue. J’ai peur du vide, de la nuit, du froid, des gens, de moi ; sans toi j’ai peur de tout. Quarante-neuf véhicules sont passés depuis que je fais le pied de grue sur mon pont. J’ai attendu le cinquantième, avec un espoir idiot. Histoire d’avoir un compte rond. En vain. D’habitude, on atteint la soixantaine, pourtant. Aujourd’hui doit être spécial, je me demande si je dois y voir un signe.

La pluie a cessé, les nuages se barrent, la nuit s’éclaire. Je jette un oeil par dessus le parapet : de la roche, du caillou, des trucs vachement acérés. Je n’ai aucune envie de finir les tripes éparpillées trente mètres plus bas, ma cervelle et ma morve plein la caillasse. La mort, c’est dégueulasse. Même Jesus s’est chié dessus en clamsant, même Cendrillon s’est fait bouffer la chatte et les yeux par les asticots.
Je vérifie ma carte cadeau fanée : c’est bien ce pont, pas de doute, avec lequel j’ai rendez-vous pour mon anniversaire. Quelle idée à la con, de m’offrir un saut à l’élastique. Pourquoi pas un manteau en peau de limace retournée ? Ou un vol vers Pluton en classe éco ? Décidément, tu m’auras tout fait.
C’était beau, nous deux, hein ? Malgré tes plans débiles (je suis acrophobe, bordel !), et avant toute cette merde, je veux dire. Avant que tes veines ne charrient de l’encre noire, et qu’il n’y ait assez d’eau dans tes poumons pour se lancer dans la pisciculture. On aurait pu élever des carpes koï, et regarder fleurir les nénuphars dans ton ventre, en s’embrassant sur fond de blues. J’aurais posé ma tête sur ta poitrine pour écouter les clapotis de ton coeur s’échouant sur tes côtes. J’aurais usé mes doigts sur ta peau écumante. On aurait navigué loin, mon capitaine, malgré la houle. Je t’aurais dit je t’aime, comme tout le monde, sauf que moi j’y aurais cru.
Finalement, on a préféré croire en la médecine, les pilules, les rayons, les poisons pour guérir. Encore une idée à la con, tiens.

Pour la première fois, j’ose enjamber le parapet. Mon baptême du feu, après tous ces pèlerinages. Pure détermination, mode warrior ON.
Je regarde en bas, à la faveur du clair de lune. Quand même, c’est putain de haut. J’entends un sourire dans ta voix :

— Sans déconner, chaton, c’est pas sérieux. Tu ne peux pas sauter en slip Deadpool.
— Je crève comme je veux, c’est tout ce qui me reste.
— T’as quatre-vingt-trois ans : pense à la tronche du légiste.
— Je m’en bats les moufles. Toi, t’as décampé la lune à l’air, sans me consulter.
— J’avais une sonde dans le cul, tu ne voulais pas que je porte un string en dentelle par dessus ?
— Fais pas semblant de ne pas comprendre.
— Et toi, fais pas de connerie. Ne te barre pas comme ça, pas déjà.
— Déjà ? C’est de l’humour ? Ça fait neuf ans, sept mois, six jours sans toi. Et c’est toujours à vif, là-dedans, bien saignant à coeur. Je ne supporte plus les nuits solitaires, l’étreinte des draps glacés…
— Mets un pyjama, c’est moins radical.
— … et ce vide, tout ce vide autour de moi, à l’intérieur, partout.
— Il est quatre heures du mat’, trésor. Je t’en prie. Rentre nettoyer ton dentier et changer de slip.
— Non. Deadpool est cool.
— Ouais, mais il est dead.
— Précisément.

J’ai fermé les yeux et j’ai sauté en me bouchant le nez, comme à la piscine municipale.
J’ai atterri dans tes bras, avec un bruit de fruit trop mûr sur l’asphalte.
Tu m’as viré mon slip. Ta bouche est chaude, ta chair est souple. Tu m’as tellement manqué.