Insomnies et Intestins

Le 16/01/2018
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par Clacker
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Thèmes / Obscur / Introspection
Vibrant hommage que ce texte de Clacker au Ventre de nihil. Des kilomètres de tripailles déroulés pour faire un gros scoubidou textuel, à n'en point douter, un bide annoncé de toute évidence. Mais pourtant, non, ça claque à chaque phrase, ça déchire, ça fouette comme un vent d'Est qui se lève alors que rien ne le laissait présager. Ce texte est chaudement recommandé par notre sponsor, le charbon du Belloc. Attention, à lire en se pinçant les narines. Bien sûr classé dans le thème Obscur et introspection par pure ironie.
T'as l'impression que tu vas pouvoir t'endormir, seulement quand effectivement tu éteins ton ampoule et que tu poses ta tête toute déconfite sur l'oreiller, t'as tout un tas de mouvements qui prennent possession de ton corps, ça commence dans le ventre, comme si que tes entrailles allaient se mâchonner entre elles, et puis tu lâches des gaz typiques du mec dans son cercueil, en te courbant comme une crevette, ça sort comme un courant d'air dans un long couloir, d'une longue traite, et t'as même un peu le sentiment que tu respires moins bien qu'y a trente secondes, devant cette idée tu te dis que pour te concentrer sur ta respiration en pleine conscience comme dit ton psy ça va être coton, pourtant t'essaie un peu, juste le temps de te remettre à penser à tes intestins qui se font la malle, et c'est là que ça commence dans la tête.
Dans la tête ça commence par ressembler à des reproches que tu adresses à des tas de gens, comme ça, certains que tu connais, d'autres pas du tout, tu les accables et les maudis en te disant que c'est de leur faute si tu dors pas et que t'as un mauvais transit. Tu maudis tu maudis une bonne vingtaine de secondes, et puis en fait tu te dégonfles - ton ventre aussi -, tu te dis que c'est injuste de les crucifier alors qu'ils ne pensent même pas à toi en ce moment, qu'ils doivent être en train de manger des saloperies devant une série télé phénoménale, ou bien de se sucer les nichons et de baiser à tout rompre, ou bien de bouger leur culs serrés d'élastane sur de la musique d'aujourd'hui en buvant de la vodka-orange ou je sais pas quoi, ou bien qu'ils sont comme toi, à se courber comme des crevettes dans le wok en s'imaginant que les autres gens sont responsables de leurs hémorroïdes et qu'ils font des trucs géniaux que personne ne saura jamais.
Finalement t'as même plus envie de leur en vouloir, t'en as après toi avant tout. Tu t'en veux parce que t'as pas les couilles comme des melons, et quand tu jettes un oeil au synopsis de ta vie tu te dis que personne paierait pour aller voir ton film. Alors tu te racontes des craques un moment, tu reviens un peu sur tes pensées en tentant de te regonfler l'égo à énumérer les trucs chouettes ou dingues que t'as fait ces dernières années, un ou deux machins te font marrer, tu penses à des filles qui t'ont rendu la vie un enfer sublime, t'as presque envie de sourire dans l'oreiller en te demandant ce qu'elles deviennent, si elles continuent de faire des sculptures avec leurs cheveux et de péter au lit, si elles dorment dans les bras de types qui te ressemblent ou bien si elles les étranglent avec leurs jambes nues qui piquent un peu. Et voilà que tu t'es remis le bourdon, tu cafardes en prenant soin de mettre de côté tous les mauvais moments qui ont conduit à des ruptures d'anévrismes, t'as l'impression d'avoir les culs au bout de ta trique, tu t'enveloppes dans le souvenir de la douce chaleur de ces cons maternels et t'as presque envie de leur écrire une foutue chanson, à toutes, un truc épique, avec des violons et des samples de tonnerre qui tournent en boucle, ça s'arrête jamais tellement c'est immense et intense et démesuré.
En fait tu te décourages, t'as autre chose à foutre que de ressasser le passé et puis la musique adoucit que dalle, alors tu lâches une caisse en même temps qu'un soupir, et t'as toujours les entrailles en bout de course, sûr que ça sent la mort là-dessous, tu te dis que tu pourrais faire comme dans les films et te lever, marcher un peu, allumer une clope d'un air torturé en regardant par la fenêtre, et bien sûr tu le fais, c'est ton film après tout, mais par la fenêtre y a que dalle sinon le reflet d'un type qui fume et qui pète simultanément. Tu parles d'un chef d'oeuvre. Tu te dis que tu pourrais écrire un texte comme si que t'étais un écrivain, là, comme ça, en pleine nuit, le type maudit obligé de noircir des pages numériques parce qu'il a la tête pleine comme un oeuf de trucs hypers profonds. Tu pourrais nous faire du Dostoïevski sans problème, pondre un pavé de huit cent pages et le balancer sur le bureau d'un éditeur à cigare tellement subjugué qu'il te ferait entrer directement dans les étoiles, dans les Pléïades, les vraies, mais au lieu de ça tu te tiens le menton devant la vidéo d'un singe qui se masturbe avec une grenouille. Internet ça fait relativiser, et tu laisses tomber l'ordinateur, t'essaie d'aller chier mais y a rien qui vient, et t'ouvres un bouquin mais tu repenses à la grenouille, et finalement tu te dis qu'y a rien d'autre à faire que de retourner dans ton pieux. De toutes façons t'es pas vraiment insomniaque, t'as seulement des problèmes de transit.