La Loi du Talion (4) – « Prie, aime et parle »

Le 10/08/2018
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par Cuddle
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Rubriques / La loi du Talion
Voilà ce qui arrive quand on déserte le site, plus personne pour publier ses propres textes ! Non de dieu, arrive-t-on au bout du bout ? Y'a-t-il encore des gens sur cette planète qui savent écrire et raconter des histoires ou notre société est condamnée à devenir des êtres non-pensants, un peu cons, qui n'ont plus l'intelligence de lire quoi que ce soit ? Pour la forme, une suite de texte que personne ne lira mais qui a au moins le mérite d'être là, de l'héroïc fantasy qui transpire l'influence de mes nombreuses lectures, mais que voulez-vous, je suis un peu con moi aussi.
Mikhaël se réveilla doucement, le crâne en feu. Son visage se contorsionna de douleur, son corps le faisait souffrir intensément. Il lui fallut quelques secondes pour tenter de reprendre ses esprits et réaliser où il se trouvait. Assis sur une chaise, les pieds et les mains liés, il ne put réfréner une panique grandissante. Ses yeux s'ouvrirent en grands quand il vit l'état de ses genoux, troués par deux énormes clous anciens. Il chercha autour de lui quelque chose ou quelqu'un qui pourrait lui venir en aide et se mit à pousser un cri de désespoir. Son hurlement se perdit dans le silence de sa cellule aux murs épais. Le seul faisceau de lumière qui éclairait sa tombe provenait d'une étroite meurtrière plantée entre deux grosses pierres. L'humidité du tombeau était telle qu'une fine couche de mousse verdâtre recouvrait certains pans de murs. L'endroit paraissait en ruine, isolé du monde des vivants. Dehors, le vent semblait hurler sa peine à grands renforts de bourrasques. Il se mit à gigoter sur sa chaise pour défaire ses liens mais ne fit qu'arracher la chair de ses jambes prisonnières. Le sang lui montait à la tête, la sueur perlait de son front à grosses gouttes. Il se sentait mourir à petit à feu dans ce trou où personne ne viendrait le sauver.

Soudain, il entendit le cliquetis d'une grosse clé en fer qui tourne dans une serrure. Des pas lourds qui marchent dans des flaques d'eau. Les battements de son cœur s'accélèrent lorsque la porte de sa prison s'ouvrit à la volée. Que ne fut pas sa surprise lorsqu'il se trouva nez à nez avec un homme de foi. Vêtu de la tête au pied d'une toge blanche, le vieillard avait sur le visage un trait noir qui partait d'une pommette à l'autre, le signe distinctif des fidèles de l'Eternel, les Pro-Androginis. Mikhaël fut soulagé par la présence de cet homme religieux qui devait avoir connaissance de sa personne. Il ne pouvait s'agir que d'un malentendu. Avant même que ce dernier n'ait pu s'exprimer, le prêtre appela un autre homme dans le couloir. Mikhaël n'eut pas le temps de crier que le bourreau pénétrait déjà dans la cellule et abattait son énorme masse sur ses jambes cloutées. L'impact fut tel qu'une gerbe de sang et d'os explosa littéralement sur son visage. Sa surprise se mêla à son cri déchirant et il perdit connaissance quelques minutes. Il fut aussitôt réveillé par une claque magistrale.

- PARLE ! Cria le prêtre.

Et sans attendre le moindre répit, le poing du bourreau s'écrasa sur son visage, broyant la mâchoire d'un coup net. Tête qui vacille. Lèvre fendue. Sang qui explose sur son torse. La boucherie ne faisait que commencer.

- PARLE ! Et tu prieras l'Eternel pour avoir fauté !

Deuxième coup du bourreau qui éclate l'arcade sourcilière dans un bruit sourd. Nouveau cri de douleur. Nouvelle coulée de lave sur le visage. Le massacre pouvait continuer.

- PARLE ! Et tu aimeras l'Eternel pour t'avoir pardonné !

Troisième coup de bourreau qui, cette fois-ci, fait voler une dent. Visage gonflé de sang. Chair qui s'amasse ici et là et qui tire au violine. Mâchoire qui pend étrangement sur le côté. L'homme était méconnaissable, monstrueusement difforme. Le visage du vieux fou de Karthel-Ianus lui revint alors en mémoire. Allait-il devenir un monstre lui aussi ou tout simplement mourir ici ? Le prêtre le ramena durement à la réalité :

- Où se trouve l'armée des infidèles ? Où se trouve l'armée de ton chien de père ?

Il marmonna une réponse à peine audible et le bourreau s'acharna sur lui avec une brutalité sans nom, réduisant son visage au néant. Aux portes de la mort, les coups s'arrêtèrent de pleuvoir brusquement. Le prêtre semblait agacé par cette situation infructueuse. Il poussa la chaise d'un coup de pied et le corps de Mikhaël s'effondra lourdement sur le sol. La fraicheur des pavés en pierre lui fit le plus grand bien. Le prêtre lâcha aussitôt :

- Tu parleras ! Nous reviendrons demain et tu nous diras où se trouve ton traître de père. Que l'Eternel nous garde et nous protège des infidèles car cette prison sera ta tombe !

Ils quittèrent sa cellule en faisant le signe des religieux et le laissèrent à demi-mort. Ses yeux gonflés l'empêchaient de voir correctement, il discerna faiblement son corps qui ne ressemblait plus à rien. Incapable d'effectuer le moindre mouvement sans pousser un cri de douleur, il se recroquevilla sur lui-même. Etrangement et ne sachant trop pourquoi, il se mit à prier. Non pas pour lui, mais pour les siens. Pour son père, qui avait dû conduire leur armée combattre l'envahisseur anubéen. Pour son peuple, voué à une mort certaine si la victoire n'était pas au rendez-vous. Et enfin pour son frère, Lucifer, qui avait disparu depuis des lunes. Il pria fort pour lui. Il pria pour que la rage ne le consume pas, pour que les ténèbres ne l'engloutissent pas totalement. Et il s'évanouit ainsi, fatigué de lutter contre la douleur.

Lorsqu'il s'éveilla après de longues heures, la douleur fut de nouveau là, plus lancinante, plus violente encore. Il remarqua que ses liens avaient été coupés, que les clous n'étaient plus dans sa chair mais sur le sol. Ses jambes paralysées ne répondaient plus à ses directives, il se mit à sangloter piteusement lorsqu'il aperçut un homme, assis dans l'ombre, au fond de la cellule. Mikhaël essaya de se redresser mais il n'y parvint pas. L'homme murmura d'une voix grave :

- Je ne t'ai jamais entendu prier aussi fort.

La voix lui glaça le sang. Il fut pris d'une terreur même qu'il faillit s'étrangler. Mikhaël tenta de marmonner quelque chose mais sa mâchoire était bien trop abimée pour cela. Quelques bulles de sang éclatèrent de sa bouche mais aucun son ne franchit ses lèvres. Lucifer se redressa et s'agenouilla près de lui :

- As-tu prié ainsi pour notre sœur ?

Marmonnement. Yeux affolés. Trémoussement.

- Bien sur que tu as prié pour elle. Continua Lucifer pensif. Mais moi ? Ais-je vraiment besoin des prières de ce dieu qui n'en est pas un ? Regarde-toi...Regarde-toi, Mikhaël...Et tu pries encore...

D'un air navré, il observa son frère qui gisait dans son propre sang.

- Je vais te faire une confidence Mikhaël. Ma quête m'a amené vers des contrés lointaines où j'ai rencontré des personnes de talents. Et figure-toi que l'une d'elle m'a prédit que tu entrainerais ma chute. Tu entends ça, Mikhaël ? Toi. Mon propre frère...

Dans un ultime effort, ce dernier se redressa et traina son corps paralysé contre le mur. Il devait s'éloigner de lui, de son aura maléfique. Il sentait déjà en lui l'éveil de quelque chose d'anormal.

- Que dois-je faire, Mikhaël ? Dois-je tuer mon propre frère ou l'aimer jusqu'à la mort ?

Comme un poison, l'aura de Lucifer s'écoulait en lui, il entendit l'appel. L'appel de la mort, de la colère, l'appel qui voulait le corrompre...

- Mettras-tu fin à mes jours, Mikhaël ? Ou serviras-tu ton frère ?

Le sang se mit à bouillonner dans son corps, il allait exploser de l'intérieur. Il devait lutter. Lutter contre le mal absolu. Ce mal qui faisait naître des esclaves et des monstres.

Lucifer s'agenouilla une fois de plus face à lui et tenta de le "signer" du front pour mieux le corrompre lorsque Mikhaël réussit à marmonner un "mmrhm...nn...nno...oonnn". Mais Lucifer avait déjà eut un brusque mouvement de recul. Il restait tétanisé, le regard fixé sur le front de son frère. Sur cette barre verticale gravée dans la chair, signe du méfait des Gouverneurs, fidèles de l'Eternel. Ses yeux s'assombrirent anormalement et Mikhaël sut qu'un cataclysme allait s'abattre en ces lieux. La colère de Lucifer était ingérable, colossale, surnaturelle même. Elle traversait les murs de pierre et de bois, atteignait les hommes et les âmes pour les faire éclater comme des fleurs de câpriers, ravageait tout sur son passage pour réduire la civilisation à néant. Des cris, des hurlements se mirent alors à retentir partout dans la tour d'Oléos. Le démon s'était emparé de Lucifer, il appelait les âmes à mourir dans d'atroce souffrance. Mikhaël se couvrit les oreilles de ses mains ensanglantés et se mit à pleurnicher comme un enfant. De là où il se trouvait, il pouvait entendre les cris de désespoir et de supplication des hommes contraints aux tourments du diable. Il pouvait entendre le son des corps qui se jettent par les fenêtres et qui éclatent au sol dans des explosions monstrueuses. Entendre les cris des prisonniers qui devenaient fous, qui tentaient de s'échapper de leur cellule en fracassant leur corps sur les murs comme une vague sur des rochers. Entendre les pleurs des pensionnaires qui savaient qu'ils étaient les prochains, que la folie est contagieuse et qu'elle n'a aucune limite. Durant des heures et des heures, des cris de fous furieux résonnèrent dans les cellules jusqu'à devenir des râles d'agonie. La mort s'empara alors de la prison dans un silence de plomb, plus terrifiant encore que la tourmente de la folie. Lucifer tourna son regard de braise vers son frère et murmura d'une voix glaciale :

- Continue de prier Mikhaël, tu en auras besoin.

Et il quitta la cellule. Jamais plus, il ne le revit.