Ce cher Charles Baudelaire !

Le 02/02/2019
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par HaiKulysse
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Thèmes / Obscur / Fantastique
En pleine levée de fonds, HaiKulysse met des billes dans le capital de la Zone et obtient une minorité de blocage. Voici son programme pour l'avenir du site exprimé à l'aide d'un rétroprojecteur rouillé.
Un plan serré dans la pénombre montre des insectes striduler follement au fond des bois ; régulièrement il revient à côté de cette souche de bois mort où sont assis un homme et une femme vêtus en tout et pour tout de robes de bure noires alimentant un vaste feu de bois. Des larmes tièdes commencent à couler le long de leurs joues jusqu’à leur bouche avant de sécher sans hâte.
A quelques mètres autour du feu brûlent cinq grands cierges noirs. Un observateur attentif remarquerait peut-être qu'ils ont été disposés à l'extrémité des cinq branches d'un pentacle mais la caméra ne s'attarde guère sur le plan d'ensemble, lequel souligne en revanche la rondeur d'une lune blanche, l'épaisseur des feuillages à l'arrière-plan et la hauteur des arbres alentour.


Peu après et en toute honnêteté on ne distingue plus grand chose sur l’écran ; les spectateurs ayant presque tout perdu de la magie des lieux.
À la fin, la caméra s’attarde sur des gens au supermarché qui vont s’acheter du vin, et, dans le rayon librairie, sur des individus qui lisent de la poésie ; et pour la vertu, pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps, on n’a pas trouvé d’acteurs ; on a quasiment tout pris à ce cher Charles Baudelaire.

La caméra ne s’arrête pas en si bon chemin, elle filme à présent un cercle d’alcooliques anonymes partageant leurs nouvelles expériences, bonnes ou mauvaises, en cercle assis sur des chaises...
De mon côté, je suis au fond de la fosse noire, hospitalisé par des chimpanzés qui veulent apaiser ma souffrance. Pourtant, je ne souffre pas. Je passe mon temps à chercher de grosses pierres à peu près plates pour construire mon abris.

Les gens autour de moi sont fascinés par la mort, s’enivrant sans trêve et leur sang suinte noir et épais de vin, de poésie ou de vertu, bref tout ce qui me manque. J’ai leurs têtes courbées face à ma porte, ils me jurent fidélité en tant que vassaux et j’ai, sous les yeux et sans rien faire une horrible armée de mercenaires sur le point d’en découdre pour moi seul.

Un autre jour où je suis debout avec des airs d’ibis sur une patte, je mets fin à leurs supplices et aucune goutte de sang n’est versé ce jour là. L’industrie du vin est morte, la poésie inexistante et la vertu oubliée dans les oubliettes.

Je réalise que nous produisons tous le même rêve et que nous ne sommes pas éveillé, un peu comme dans la matrice. La nuit va se dissiper heureusement. La fosse noire va connaître les premiers rayons du soleil, et, se rapprochant petit à petit, il vient tout balayer l’océan infini de l’amour inconditionnel.

Les peuples joyeux vont être libéré par le feu. Le feu sacré de la Saint Con. L’humanité n’est plus ce qu’elle était avant : un ramassis de larves égoïstes ; l’humanité va chanter son dernier chant, mais ce n’est pas un chant funèbre : c’est un jazz soul emprunté à un Chet Baker loquace avec des gens qui lui déplaisent !

Déjà la fosse noire se prépare à accueillir en son sein le bûcher festif.
(A ce moment du récit la caméra opère un travelling et retourne sur un flash back où l’on voit un enfant dans son lit malade d’un exorcisme ; et l’exorciste en question passe la porte de la chambre. On devine sous les traits durs et secs de l’exorciste qu’il est lui aussi malade de son quotidien et que sa joie de vivre ancienne n’est qu’un lointain souvenir.)

Entre les quatre murs froids de mon abris souterrain, le film finit par la vue panoramique d’un  rétro-projecteur illuminé par les lueurs crépusculaires du bûcher.

Entre les quatre murs froids aussi, l’espace devient comme l’écho d’un huis-clos et un long vagabondage des Esprits brûlés vifs s’amorcent. Des fantômes aux faciès déformés, plombés, blêmis, incendiés, qui ont quitté leur masque profitant de ce moment de purification.

La caméra repart aussitôt dans les bois de Nottingham où l’on peut voir une matrone se déshabiller, un gars perdu se maquiller comme Monroe, et une mystérieuse actrice qui ne connaît pas son rôle, elle-aussi paumée dans ce décor.

L'histoire du film, son histoire à voir sur tous les écrans de cinéma de la ville, continue dans la rue : chaque spectateur étant invité à filmer, à l’aide de son smartphone, les incidents générés par le feu de la Saint Con.

Les damnés brûlent sans conscience. Ils descendent les enfers, baignés d’une douce lumière crépusculaire.