Le Bonheur d'être Nu

Le 04/05/2019
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par Clacker
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Thèmes / Débile / Phénomènes de société
"Qui es-tu vraiment, France Guillain ?" est la grave question que ce texte pose d'entrée de jeu et sache, ô lecteur improbable, que si tu te hasardais à répondre que France Guillain est l'auteur du "Bonheur d'être Nu", ouvrage certainement magistral sur le naturisme, et bien tu ne prouverais ainsi que ton incompréhension total de la raison d'être de l'adverbe. Les cheminements exotiques qu'emprunte Clacker pour atteindre à sa conclusion au féminisme contestable se perdent quelque peu dans les vapeurs de cigarette électronique et les brumes de l'alcool.
Un étrange sentiment me malaxe le lobe pariétal, et c'est sur un fond de Bashung lie de vin que je conclus ma lecture d'une saccade oculaire. Comment peut-on sérieusement appréhender Le Bonheur d'être Nu ? Qui es-tu vraiment, France Guillain ? Et surtout, par quels orifices de mon clearomiseur, quels appels d'air sur le drip tip de mon cerveau ? Quand Dieu fait la grève, qu'il attend patiemment la nuit pour se retirer les pépins, s'équeuter les cerises et s'élaguer les niaoulis ignifugés de couches d'écorces successives, des singes sacrés prennent le relai et sortent de terriers plus sacrés encore, des Hanuman inhumains. Ils viennent déterrer puis croquer le crâne de nos ancêtres primates, dansent en cercles de cultures parmi les blés, puis repartent en laissant tout de breloques, en amas et monceaux ritualisés. Au matin, le souffle encore lourd de propylène glycol et les cloisons nasales en dents de scie, les yeux rougis par l'outrage et la vodka-ginseng, les contreforts de Thaïlande nous apprennent à lâcher prise, et à se déshabiller. Si c'est en effet par suite d'une telle vision que Fance Guillain appréhende Le Bonheur d'être Nu, dans un bordel de Pattaya ou sur les rives encombrées de putains du Mékong, avec pour seuls ustensiles une cigarette électronique et un poisson garni d'incisives en or cuisiné au mercure, alors je sais qu'il ne m'est plus interdit de me sentir chez moi.

Pourtant, un peu plus tôt dans la soirée, louvoyant au travers de ruelles transies de relents de mort et parmi des étals saturés de chiens dépecés et de viande de rat, vêtu d'une jupe en cuir d'agneau, je fus pris de vertiges face aux charmeurs de touristes vomissant des serpents à la douzaine, dont l'un d'eux me dit à juste titre :
- Bien sûr que le mauvais goût existe. Il est tellement répandu qu'on y prend goût.
Je n'ai rien trouvé d'autre à faire que de lui laisser mon feutre mou avec deux billets de cent francs CFP.
- Il n'y a pas de vérité première, il n'y a que des erreurs premières, me répéta mon père depuis sont lit métropolitain. Il est évident que j'avais été un fourvoiement originel à l'heure où mon existence dépendait de la queue propulsive d'un spermatozoïde et de celle de mon géniteur, mais rien ne m'empêchait d'accomplir ma destinée d'affirmation fondamentale, sinon vérité, au moins tentative de ligne de fuite à travers une vague notion du temps.
Et c'est à Nantes, dans un appartement de la périphérie, que le truchement s'opéra :
- Je suis un sale petit pervers, maîtresse Inès.
- Dis-le encore.
- Je suis un sale petit pervers.
Genoux au sol et complétement nu à l'exception d'un bandeau de velours opaque sur les yeux, poignets entravés dans les sangles d'une installation amovible fixée au plafond, je bandais comme un diable.
Ma maîtresse pour une durée précise d'une heure trente me retourna une claque du dos de sa main gantée de cuir. Puis, délicatement, elle me caressa les côtes avec une badine.
- N'oublie jamais de préciser que je suis ta maîtresse lorsque je t'ordonne de parler, me susurra-t-elle de sa voix douce et haut perchée.
C'était la première fois que je recourais à de tels services, ce qui faisait officiellement de moi un novice dans l'art du sadomasochisme. Je décidai de sauter le pas à la suite d'une lassitude grandissante à écumer les différents sous-genres des sites pornographiques dont sont désespérément accrocs les hommes de ma génération. La vue de pratiques violentes et exotiques m'avait pendant un temps permis de retrouver un peu d'excitation, mais la routine avait rapidement repris ses droits. Je m'étais donc mis en quête d'une escort-girl rompue dans l'art de rompre les hommes.
Elle avait un visage à la peau acnéique et un cul parfaitement moulé dans le cuir de sa jupe en agneau. Sous ses coups de fouet, j'entreprenais Le Bonheur d'être Nu.

Le soir, après avoir contemplé dans le miroir les lacérations qui zébraient mon dos et témoignaient d'autant de vaporisations de plaisir dans le drip tip de mon cerveau, installé dans une chambre d'hôtel avec quatre boites de bière pour tout bagage, je ressassai non sans contentement les enseignements que m'avaient apportés mes différents voyages à travers le globe de mon esprit. Je me souvins nuitamment d'une conquête asiatique dont les capacités sexuelles m'avaient époustouflé, encore jeune débonnaire inexpérimenté. La voici :

Kim Sun-Hi ("Or, joie et obéissance"), née en 1993 en Corée du Nord pendant la grande période de famine, dont le nom fut changé en 2011 en Choi Sun-Hi à la demande du nouveau leader suprême, Kim Jong-un. Elle s'est engagée volontairement par patriotisme et sens du collectif à l'age de 17 ans et a subi 5 ans durant les affres de la discipline militaire.

-Mon souvenir le plus prégnant, c’est l’odeur qui imprégnait les matelas.
-On se lavait directement dans un ruisseau, avec la peur de récupérer des grenouilles ou des serpents dans notre pantalon.

En 2015, en stationnement près de la zone démilitarisée, Choi Sun-Hi tente de voler une jeep et se donne pour but de passer la frontière vers la Corée du Sud. Elle se fait intercepter et est condamnée à une mise à mort pour l'exemple. Jetée dans une fosse avec cinq chiens affamés, elle se bat au péril de sa vie et en réchappe miraculeusement, avec de sévères blessures au visage et au torse. L'armée lui reconnaît sa force de combativité et la gracie. Elle réintègre pour deux ans le VIIe corps d'armée, et en 2017 tente une nouvelle fois de passer la frontière... et réussit. Au prix d'une balle dans la jambe.

Avec elle, sous ses étreintes amazoniennes et la force de ses clefs de bras, je ressentais Le Bonheur d'être Nu. Quand je roulais sur le côté et m'essuyais le sexe dans les draps, et quand elle se levait pour aller se refaire une toilette intime, elle avait toujours les mots pour me réconforter :
- Ce siècle est une blague dont la chute est mortelle.
Ou encore :
- Le principal problème du féminisme, selon moi, c'est que les femmes qui se revendiquent de ce mouvement occultent la notion d'évolution sociale. Ces femmes prétendent que l'homme leur a imposé un dressage en vue de les brider et les reléguer au second plan de l'humanité. Donc, les féministes pensent que les femmes sont inférieures à l'homme. Sinon, elles auraient, comme je le prétends moi-même, développé selon la loi darwinienne de l'évolution, des capacités particulières qui leur auraient permis de rivaliser avec l'homme. Or, je pense que les femmes ont effectivement développé des capacités propres à leur sexe leur permettant de s'imposer parmi les hommes, non par la force, mais par la sensibilité, la nuance et un certain goût pour la supercherie et la seduction.
Elle m'avait quitté sous prétexte que je m'alcoolisais excessivement. Je ne peux pas lui donner tort, et pourtant elle ne se rendait pas compte que mon statut, de par ma qualité de buveur, était tout à fait respectable au sein de la société. En effet, l'ivrogne est une nécessité dans les groupes sociaux. Non seulement il sert d'épouvantail, agitant son nez rouge à la face des gens pour leur rappeler ce qu'ils ne doivent pas devenir, mais il stabilise aussi les petits groupements d'amis. Il peut être à la fois cause et résolution de conflits.
Je me suis alors rendu compte que France Guillain allait beaucoup trop loin et qu'elle pensait une chose et en disait une autre. Quand elle parle de comportements suspects au sein d'un groupe de naturistes, et qu'elle affirme que les énergumènes dont les comportements sont suspects sont sévèrement répréhendés par le groupe, elle parle en vérité de ses propres envies qu'elle considère elle-même comme suspectes, assumant certes Le Bonheur d'être Nu, mais jamais son désir de se faire décapsuler par tous les orifices.