Nouvelles du front

Le 13/01/2003
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par nihil
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Dossiers / Noël de merde
Les courses de Noël un 24 décembre. Ces mots suffisent à faire frémir les plus téméraires. Récit du front par notre reporter. Un article à la Trisophrenia, mais en pas pareil. Logique non ?
PROLOGUE

Ca se présente plutôt mal. Quand tu débarque dans un centre commercial paumé, oublié dans les tréfonds d’une zone industrielle sinistrée (limite en ruines) justement pour être un peu tranquille, et que tu passes trois quarts d’heure à tourner dans le parking pour trouver une place libre, c’est que ton thème astral du jour tire une sale tronche.
ACTE 1

Quand enfin tu repères une place libre à moins de huit kilomètres du centre, c’est pour te la faire faucher sous le nez par une charrette bondée de jeunes mongoliens qui en profitent pour se foutre de ta gueule et bombarder ton pare-brise de crottes de nez. L’air de rien, tu les insultes entre tes dents, serrées en sourire crispé (histoire de pas se retrouver sur parpaings).
C’est mignon un ado, mais ça a l’étonnante capacité de ne rien comprendre à rien et de tout prendre mal. Ceci dit, c’est pas pire que les adultes hein. Et encore moins que les enfants, qui en plus d’être cons ont la fâcheuse caractéristique d’être moches.
« Y a des documentaires animaliers qui se perdent », te dis-tu en contemplant la fascinante démarche chaloupée et les treillis pour obèses des ados en question, qui colonisent progressivement l’asphalte aux abords de leur bagnole, que même toi avec dix ans de salaire tu pourrais pas t’offrir.
Tu résistes au besoin compulsif de renverser un de ces pauvres attardés pendant qu’ils chaloupent élégamment, comme des méduses de toutes les couleurs, devant ton capot. Ils te la jouent provoc, genre : « laisse nous passer si tu ne veux pas d’ennuis », en dérivant lamentablement en direction du supermarché.
Des images de St-Barthélemy s’allument dangereusement dans ta tête quand l’un deux se dirige vers ta portière et toque à la vitre. Tu lui fais coucou de la main, tendu, mais ça ne prend pas.
- Zauriez une cigarette ? ahanne-t’il avec une élocution de matelas d’eau et la même expression faciale qu’un veau marin (voire qu’un veau Marengo). Tu secoues la tête nerveusement, tu ne fumes pas, et il se fout bruyamment de ta gueule en désignant le cendrier de ta voiture, qui dégueule de mégots. Tu commences à expliquer que c’est ta femme qui fume, que tu penseras à la tronçonner pour la punir d’être aussi conne et incapable de vider un cendar, avant de te souvenir que le veau Marengo, ça entrave plus que difficillement le franco-belge. Son regarde de palourde confirme.
Tu te tais, puis soupires. Découragé, tu arraches l’autoradio de son logement et le lui tends avant qu’il ait eu le temps d’en placer une, puis tu décolles en trombe et t’enfuis, honteux de ta lâcheté.

ACTE 2

Toujours tenir compte des signes. Cette mésaventure avait largement de quoi te faire rebrousser chemin, mais tu t’obstines, en bon cartésien. Tu l’auras voulu. Tu es venu acheter un agenda 2003 orné de photos de bébés pour ta sœur et un cd-rom du Louvre pour ta maman. Pour Noël. Et ce, le 24 décembre. Folie furieuse que de tenter ça.
L’intérieur du centre commercial, c’est un peu un genre de guerre civile qui ne veut pas dire son nom. En pire, puisque ici, tout le monde combat tout le monde. Aller acheter un agenda avec des photos de bébés et se retrouver en pleine guérilla urbaine, ça surprend un peu quand même. Dire que tu croyais ce centre commercial en voie d’abandon… C’est carrément la fourmilière ici ouais. Tout le monde court dans tous les sens en hurlant frénétiquement, ça s’agite, ça panique, ça fighte dans tous les coins, des gens d’allure convenable s’entre-déchirent les vêtements en s’arrachant le dernier technogadget débile à la mode, d’autres entraînent leur femme en pleine crise d’hystérie à cause d’un énorme « 50 % » qu’on vient d’afficher sur une tête de gondole avec des coffrets de parfums à la con. Pas de quoi s’énerver, quoi, d’ailleurs y en a déjà plus, comme ça le problème est réglé.
Faut pas perdre de vue qu’une foule, ça reste très con, mais une foule excitée par l’imminence d’un réveillon mal préparé, là ça devient carrément dangereux. T’en es à te dire que t’as eu tort d’être venu les mains dans les poches, de pas avoir prévu cotte de mailles ou fusil de chasse pour dissuader toutes ces mégères qui te bousculent pour te passer devant dans l’escalator.
Il y a une espèce de grande librairie à l’étage, où tu penses pouvoir trouver ce que tu cherches. Au pire tu te rabattras sur des bouquins de photos ou n’importe quelle connerie qui te tombera sous la main en cas de pénurie ou de problème grave type explosion d’hystérie au rayon cd-roms ou agendas, mais bon, ta maman adore le Louvre et ta conne de sœur refuse de voir un seul truc dans son appart qui arbore pas de ces ridicules photos de bébés d’Anne Geddes. Faut croire que les hormones c’est encore moins contrôlable que la coke…
Seulement, quand tu voies l’amas informe de viande qui s’agglomère devant la librairie, tu manques renoncer. Y a des obstacles infranchissables, mais toi en tant que héros du quotidien, tu décide que celui-ci n’en fait pas partie, pauvre fou, et tu te jette dans la mêlée.
A l’intérieur c’est carrément l’émeute. Tu subtilises discretos un agenda ne contenant aucune photo de bébé sur un présentoir, c’est toujours mieux que rien et faut pas trop en demander dans ces conditions. Tu le planques sous un pan de ton manteau pour éviter que deux-mille fous furieux ne te tombent dessus pour te le piquer. Le rayon cd-roms a par contre le gros inconvénient d’être situé au fin fond de la librairie, et l’équivalent de la population d’un petit pays t’en sépare. Tu décides courageusement que ta maman devra se contenter d’un bouquet de fleurs, il y a un fleuriste en bas de chez toi, et tu cours vers les caisses pour échapper à ce flot de consommateurs psychotiques.
Tu as un peu de mal à faire comprendre au vigile de 250 kgs qui vient de t’alpaguer que tu ne cherchais pas à voler l’agenda que tu caches. Heureusement, il est plutôt intelligent et tu t’en tires avec seulement un bras cassé, une broutille quand on considère que tu viens d’échapper à une des batailles les plus sanguinaires du début du XXIème siècle : les courses de Noël du 24 décembre 2002.
Trois caisses ouvertes, environ 7000 personnes qui attendent. On se croirait dans un camp de réfugiés albanais. Heureusement que tu as bu un soda dans la voiture tout à l’heure, tu feras sans doute partie des tous derniers à mourir de deshydratation. Cette idée te rassérène et tu t’installes à coté d’un homme qui dort appuyé contre un pylone, aligné dans une autre file que la tienne. Il sent ta présence et après un mouvement de panique, et s’étant assuré que tu ne lui as gaulé aucune de ses emplettes et que tu ne lui as pas pris son tour dans sa file, il prend un air soulagé.
- Pfiou, y a du monde aujourd’hui hein ? dit-il d’un air extenué.
- Je ne vous le fait pas dire. Je n’était jamais venu ici, c’est très fréquenté habituellement, cette boutique ?
- Ca dépend des jours… Avant-hier c’était la folie, encore pire qu’aujourd’hui.
Tu ricanes :
- Vous auriez ptêt du faire tous vos achats d’un coup avant-hier, non ?
Il sourit douloureusement :
- C’est ce que j’ai fait. Ca fait deux jours que j’attends de passer à cette caisse. Mais bon faut dire que je suis pas très costaud, j’arrête pas de me faire gauler ma place dans la file par des plus balaises ou des plus nombreux. Y en a même qui amènent des chiens… On fait une alliance ? A deux on sera plus forts !
Tu t’enfuies de cet asile de fous en laissant derrière toi l’agenda que tu avais réussi à grapiller. Que les charognards se délectent de ce maigre butin.

ACTE 3

Fou de joie de t’être sorti vivant de cette grand-messe holocauste, tu te précipite chez le fleuriste en bas de chez toi. Le fait de ne pas y voir la moindre file de clients hysteros te rend soupçonneux, mais tu hausses les épaules en te disant que comme tout vétéran revenu du front, tu as tendance à paranoïer. Hélas tes doutes se confirment lorsque tu entre dans la boutique dévastée et totalement vidée.
Tu fais un bond de coté en apercevant le canon d’un fusil à pompe qui émerge du guichet, au fond de la boutique, pour se braquer sur toi. Une voix brisée sort de derrière :
- Allez-vous en, qu’est-ce que… Qu’est-ce que vous voulez ?
- Bonjour euh… J’aurais voulu deux gros bouquets de fleurs.
- Y a plus rien ici, ils ont tout pris, laissez-moi tranquille !
- Ah mais merde, grondes-tu soudain excédé, faites un effort, j’ai un reveillon dans une heure moi. Regardez, je suis blessé, glapis-tu en agitant ton bras plié dans le mauvais sens en direction du guichet. Je reviens du centre commercial et c’est carrément la guerre, là-bas, soyez compréhensif !
Un visage marqué et peureux sort lentement de derrière le meuble.
- Vous avez été « là-bas » ? Et vous en êtes revenu ?!
- Vous allez m’aider ?
- Désolé, je ne peux rien faire pour vous, voyez vous-mêmes, ils ont tout emporté y compris les présentoirs. Y a même trois routiers qui m’ont pris ma femme pour l’offrir à un de leur collègue. J’attends le ravitaillement dans quelques jours, enfin à condition que le convoi ne soit pas attaqué en cours de route, mais d’ici là, rien.
- Je peux payer cher…
- Bon écoutez, je veux bien vous cédez un cactus-nain à 3000 euros, mais c’est bien parce que vous êtes correct. Je le gardais pour le manger au cas où les renforts mettraient du temps à arriver avec les provisions ou se feraient stopper en traversant les lignes ennemies. Je vous le laisse, je me débrouillerai.
- Vous êtes trop bon !
- Ouais… Je vais finir par me faire avoir à force, mais tant pis, au moins j’irai au paradis.

EPILOGUE

Ta sœur est morte piétinée par 2000 consommateurs furibards dans les tranchées piétonnières du centre-ville, et ta maman a été internée à la suite d’une tentative désespérée pour acheter une bûche trois heures avant le réveillon. Entreprise stupide s’il en est. Tu passeras le réveillon en tête à tête avec le cactus. Plus de famille, plus de cadeaux à offrir…Tu t’en sors plutôt pas mal, finallement !