Nevrotica 3

Le 14/01/2003
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par Tulia
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Rubriques / Nevrotica
On souffle le chaud et le froid dans cette rubrique (qu'est-ce que c'est que cette expression à la con ?) : un coup très violent et très sombre, un coup comme ici calme et démoralisant.
Elle perdait la raison. Elle le sentait de plus en plus. Au fur et à mesure que le temps passait, ses propos, ses idées, ses pensées, devenaient de moins en moins cohérents. Incapable de réagir, elle se contentait de subir. Elle essayait de ne même plus y faire attention mais tout s'accumulait au fond d'elle-même. Elle devenait de plus en plus susceptible et paranoïaque. Elle se cloîtrait chez elle et ne sortait plus que par obligation ou nécessité.
Sa plus grande contrainte était son travail. C'était aussi la seule chose qui rythmait sa vie. Elle n'avait jamais vraiment apprécié le fait de travailler mais ça tournait carrément à l'aversion et à la phobie. Chaque jour, elle appréhendait un peu plus d'y aller. Elle se savait en sursis, ses supérieurs attendaient le moindre faux-pas de sa part pour se débarrasser d'elle. Elle devait être en permanence vigilante à tout ce qu'elle pouvait faire ou dire. Ca l'épuisait nerveusement. Et plus le stress grandissait et moins elle était capable de travailler efficacement. Elle accumulait les erreurs et les retards, devant travailler de plus en plus tard le soir pour rattraper. Elle trouvait ça insupportable. Et quand elle était à bouts de nerfs, elle partait mais elle culpabilisait de si mal vivre le fait de rester tard au boulot alors que tous ses collègues restaient bien plus tard qu'elle et ne semblaient pas en souffrir le moins du monde.
Elle essayait de se remettre en question mais elle refusait systématiquement le moindre effort de réflexion. Son esprit négatif et pessimiste la poussait toujours à envenimer encore plus sa situation. Elle en souffrait aussi bien moralement que physiquement, ressentant de plus en plus régulièrement des douleurs dans la poitrine et une sensation de mal-être général. La moindre contrariété la faisait craquer.

De retour chez elle le soir, elle se retrouvait seule. Chaque jour elle attendait ce moment avec impatience car elle supportait de moins en moins la présence des autres. Mais une fois seule, elle s'ennuyait et l'ennui la faisait déprimer.
Pour s'occuper, elle préparait à manger mais une fois son assiette prête, elle se rendait compte qu'elle n'avait pas faim. Elle mangeait quand même mais sans y trouver de satisfaction. C'est à peine si elle ressentait encore le goût des aliments. Elle ne se posait même plus de questions, même si la quantité était trop grande pour elle, elle mangeait tout très vite, quitte à s'en rendre malade. Parfois, au contraire, elle ne mangeait pas du tout, elle n'y pensait même pas en fait.
Certains soirs, elle se mettait à boire, toute seule. Ca la calmait pendant un temps mais le stress revenait rapidement et elle se retrouvait systématiquement confrontée à ses idées noires.
Elle se rendait bien compte que tout cela n'avait aucun sens mais elle agissait plus désormais sous l'effet de ses pulsions que d'un quelconque raisonnement. Elle ne savait pas trop combien de temps elle allait encore pouvoir supporter ça mais elle s'empêchait volontairement de ne pas y penser, ne faisant que retarder une échéance qui n'allait plus tarder à tomber.
Elle alternait les moments de calme apparent aux accès de folie furieuse sans la moindre transition logique. Sa propre instabilité commençait à lui faire peur. Ses angoisses la suivaient jusque dans son lit et jusqu'à ce qu'elle s'endorme, elle se torturait elle-même. Mais plus elle se torturait, moins elle trouvait le sommeil, augmentant ainsi sa fatigue physique et par conséquent sa nervosité.

Les jours se suivaient et se ressemblaient désespérément tous. Sa routine quotidienne lui pesait de plus en plus. Elle commençait à penser de plus en plus souvent à tout envoyer en l'air : démissionner de son boulot, revendre son appartement et envoyer tous ses amis et sa famille se faire foutre pour se casser à l'autre bout du monde et tout recommencer ailleurs sur de nouvelles bases.
Mais elle était consciente d'une chose : sa plus grande cause de tourments, c'était elle-même. Quoi qu'elle fasse et où qu'elle aille, elle savait qu'elle finirait toujours par s'infliger sa propre souffrance. Même dans les moments de sa vie où elle aurait pu jouir d'un quelconque bonheur, elle s'en était toujours inconsciemment empêché en se créant ses propres problèmes et en générant ses propres angoisses sur des doutes et des incertitudes.
Alors à quoi bon ? Elle finissait toujours par se résigner et par accepter le fait qu’elle était condamnée à vivre toute son existence de cette façon.