Ecrire (une scène de dialogue) aux temps du Covid-19

Le 19/03/2020
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par CTRL X
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Thèmes / Débile / Sarcastique
Je commençais sérieusement à m'inquiéter, voire à me scandaliser, mais voici enfin les premiers cas de confinés pas trop finis qui reviennent tromper l'ennui sur la Zone : deux bons textes rien que ce soir. Alléluia, vive le Covid-19. Honneur à l'actualité et à notre quadruple vainqueur de la Saint-Con, on commence par ce dialogue très ctrlxien dont je veux espérer qu'il augure favorablement d'une participation à la Saint-Con 2020 (sauf si respirateur en capsule).
Hier soir, j'étais à ma fenêtre. Je fumais l'une de mes quatre dernières clopes en songeant à la mort par suffocation. Mort par suffocation dans la solitude la plus totale, suivie de funérailles bâclées. Enfin bref, je profitais comme il se peut d'une fin de journée de printemps quand j'ai aperçu une silhouette émerger de la fenêtre du troisième, en face. C'était un type d'une cinquantaine d'années qui semblait avoir tout juste fini de massacrer sa famille au couteau à pain, pour une sombre histoire de télécommande égarée. J'ai donc rassemblé tout mon civisme et j'ai dit : « bonjour ».

- Enfin « bonsoir » plutôt. Pardon. On a tendance à perdre le fil, n'est-ce pas ? Avec ce confinement...

Le type d'en face ne m'a pas répondu. Il n'a même pas pris la peine de me regarder. Mais il s'est mis à applaudir. Mollement. Applaudir n'est sans doute pas le bon terme. Disons qu'il frappait ses mains l'une contre l'autre sans manifester par ailleurs le moindre enthousiasme. Ça ressemblait davantage à la pire chasse au moustique du monde. Le quartier était tout à fait calme, par ailleurs. J'étais confus et un peu effrayé mais il fallait que je finisse ma clope et j'étais coincé là, de toute manière. J'ai demandé :

- Qu'est-ce qui se passe ? J'ai encore fait un truc trop cool ?
- De quoi ?
- Non, je plaisante. Mais, vous... Vous applaudissez. Enfin je crois. Alors, je... Bon, pour tout vous dire, je pige pas. Voilà.
- Il est 20h00, mon gars.

Les relations de cause à effet motivant les actions de mes contemporains m'échappent, la plupart du temps. J'ai l'habitude. Je ne me suis donc pas laissé démonter.

- Je ne comprends vraiment pas. Excusez-moi. Ça m'arrive tout le temps...
- Il est 20h00. Alors, j'applaudis.
- Qui ? Moi ?
- Vous êtes personnel soignant ?
- Non. Je crois pas, non...
- Vous faites quoi dans la vie ? Vous êtes pompier ? Policier ? Caissier ? Vous êtes fabricant de masques ? Ophtalmologue ?
- Non, rien de tout ça. Je suis auteur de nouvelles.
- Et ça sauve des vies, ça ?
- Haha, non. Pas la mienne, en tout cas.
- Alors allez vous faire foutre et laissez moi applaudir le personnel soignant et tous ceux qui luttent en première ligne dans cette guerre que nous menons face au Covid-19. Parce qu'il est 20h00, là, mec !
- « Guerre » ?
- EXACTEMENT. CÉ LA GUERRE ! ET ONT VA LA GAGNÉ ! SANS DOUTE PAS GRACE A DES GENS COMME TOI, C EST SUR, MAIS ON VA LA GAGNÉ. ET ON EN SORTIRA PLUS FORS!
- Génial. Et vous savez quand on pourra aussi sortir acheter des clopes, du coup ?

Je jouais un peu aux cons parce qu'il commençait à me gonfler, ce type, à applaudir dans le vide et faire plein de fautes de conjugaison, même à l'oral. Sa réponse fut tout à fait à la hauteur de sa détresse grammaticale :

- Vous fumez ! C'est tout ce que vous avez trouvé à faire ? C'est insultant pour tous ceux qui sont en réanimation en ce moment même et livrent un combat farouche contre la mort.
- Pas du tout. Et puis je songeais justement à la mort.
- Vous êtes malade ?
- Non, ça va. Enfin, j'ai un peu le rhume des foins mais je vais m'en sortir, je crois.
- Le rhume des foins ? Estimez-vous heureux, pauvre con.
- Je m'appelle Arnaud. Et je vous signale que c'est très désagréable, le rhume des foins...
- On s'en tamponne.
- Vous savez quoi ? C'est débile, de me prendre de haut, comme ça. Je suis aussi inquiet que vous. Je sais pas quoi faire, ni quoi penser. C'est dur pour tout le monde.
- Ça dépend... ça reste à voir. Vous jouez d'un instrument, vous ?
- J'ai une guitare, ouais.
- Pff...Tout le monde a une guitare. Vous servez vraiment à rien. Moi, je suis DJ. J'ai des platines et j'hésiterai pas à m'en servir.

Un DJ de cinquante an qui ne semblait pas capable d'applaudir en rythme, ça ne présageait rien de bon. Il fallait que j'intervienne.

- Ne faites pas l'idiot. Il y a encore de l'espoir. Apparemment, ils auraient trouvé un antibiotique qui semble fonctionner sur la plupart des...
- J AI DES PLATINES ET J HESITERAI PAS A BRANCHER TOUT LE MATOS POUR SOUTENIR LES INFIRMIERES, LES MEDECINS, LES BRANCARDIERS, LES PILOTES D HELICOPTERES...
- Ne faites pas ça, je vous en prie !
- LES BOULANGERS, LES ACUPUNCTEURS, LES CHERCHEURS, LES ASTRONAUTES, LES MARINS PECHEURS...
- Bordel mais calmez-vous ! Je ne peux pas vous empêcher de diffuser de la musique binaire à fort volume afin de participer aux progrès de la recherche scientifique mais je vous implore de réfléchir aux conséquences de vos actes.
- ET VOUS ALLEZ FAIRE QUOI, VOUS ? ECRIRE UN ROMAN ??
- Des nouvelles ! J'écris des nouvelles ! Merde à la fin...
- ET ALORS ? VOUS AVEZ VU LA GUEULE QU ELLES ONT, LES NOUVELLES, DERNIEREMENT ?
- J'y suis pour rien. On est tous sur le même bateau. Tout ce que je dis, c'est que si on pouvait éviter la pollution sonore...
- CA Y EST TU M AS GAVÉ, LA ! JE VAIS BRANCHER LE MATOS DUCON !!
- Eh ben, tu sais quoi ? Vas y, branche, capitaine courage ! Branche-les, tes saloperies de platines ! Qu'est-ce que tu veux que ça me foute ?J'ai le double vitrage !!

Je bluffais. J'ai jamais eu le double vitrage.

Tout ça pour dire que je n'ai pas beaucoup dormi, la nuit dernière.
Mais pour la première fois depuis des jours, je n'ai pas fait de cauchemar non plus.
Et pour finir, je ne connais toujours pas le prénom de mon voisin.