D'insondables révélations au premier degré

Le 11/06/2020
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par Clacker, PhScar
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Rubriques / Le courrier des lecteurs
Clacker et PhScar relancent la rubrique du courrier des lecteurs. On y apprend beaucoup de choses intéressantes comme l'explication du pseudonyme de PhScar et à priori sa filiation avec le fameux Lewis (briser la vitre et lire le texte pour comprendre la blague) Un roman d'amitié qui s'élance comme un oiseau pas une histoire d'amour vacances qui finit dans l'eau (message pour faire revenir Dourak)
@PhScar

Très cher (trop bref) épisode amoureux de ma vie, responsable d'un poème à mon encontre qui continue de me faire frémir le bulbe rachidien chaque fois que j'y songe un tout petit peu, je vous lis depuis un certain temps avec un intérêt grandissant et je voulais en passant par le courrier des lecteurs vous interroger plus en amont sur votre propre personne, votre nom rigolo de méchant de dessin animé, votre toilette intime...
Alors, vous qui n'êtes jamais basique, ni trop acide dans vos commentaires, et certainement pas neutre comme certains osent parfois le clamer à qui veut bien l'entendre, d'où vous vient ce pseudonyme qui n'a, avouons-le, aucun sens ?
Autrement, pouvez-vous nous renseigner quant à la marque du gel douche que vous utilisez ? Deux-en-un ? Deux petites serviettes ou une grande ?
Vous avez des animaux de compagnie ? Si oui, lesquels ?
Où trouvez-vous l'inspiration pour vos textes et surtout vos commentaires toujours très à propos, inspirés, distingués, d'un sérieux percutant, d'une cohérence à toute épreuve ?

Une dernière chose, ça ne vous pose aucun problème moral de jouer avec le coeur des gens, de le titiller avec une aiguille à tricoter, finalement de le déchirer en petits morceaux, puis de le recoller à l'envers, et de le gonfler à l'hélium et d'en faire un ballon que vous donnez au premier enfant qui passe, tel un mesquin harceleur de rue prédateur sexuel en goguette ? Pas le moindre petit remord ? Êtes-vous un dangereux sociopathe ?

Je te déteste, tu m'as anéanti.

Votre plus grand fan,

Clacker

P.S : Réponds-moi.

P.P.S : Réponds-moi je t'en supplie. On peut tout recommencer.
@Clacker

Mon très cher Clacker,

C'est avec un grand plaisir que je prends le temps de répondre à votre courrier, lequel a éveillé mon intérêt par la pertinence et le nombre pair de ses questions. Permettez-moi donc de les prendre une à une, et par derrière aussi (je dédie ce zeugma jeanmariebigardien à un mien collègue qui a un nom avec plein de consonnes).

"D'où vous vient ce pseudonyme qui n'a, avouons-le, aucun sens ?"

C'est très simple. Il s'agit d'une sorte d'hommage à Marthe Mercadier, à sa passion pour les chats et pour les sports mécaniques. D'ailleurs comme vous le savez, elle a régulièrement été accusée de triolisme avec Christian Estrosi et François Fillon, mais cette immonde calomnie n'était que l'oeuvre d'une bande de jaloux méprisables.

Non je plaisante, bien entendu, même si l'histoire est jolie. En fait je m'appelle Philippe Scarole, à l'école déjà les copains se moquaient de moi et me jetaient des cailloux sur la tête. J'ai rapidement compris que ce serait très difficile d'obtenir le prix Nobel de Littérature avec un nom de salade. Aucun éditeur ne prendrait un tel risque. Cette profession a déjà beaucoup souffert de la confusion entre Primo Lévi et Marc Lévy, alors il est temps de les laisser panser leurs plaies.

Bref, j'ai opté pour la contraction "PhScar" qui a de la gueule, je trouve. Et puisqu'on parle de plaie, cette référence évidente à la blessure, à la cicatrice (qui se dit "Ph" en anglais), à la lésion, est profondément porteuse de sens. Quand je parle de lésion, je pourrais, naturellement, évoquer la lésion d'honneur, pour le collègue dont j'ai déjà parlé et qui est un fan avoué de Jean Roucas, mais il ne faut pas abuser des bonnes choses comme dirait l'avocat de Marc Dutrou.

"Pouvez-vous nous renseigner quant à la marque du gel douche que vous utilisez ?"

J'ai déjà mentionné mon enfance malheureuse, mais ne vous méprenez pas sur mon niveau social : Maman possède les trois quarts de la région Poitou-Charentes et un lopin de terre dans la campagne kirghize où elle fait pousser quelques patates, ça lui fait une sécurité pour ses vieux jours, parce qu'avec sa petite retraite c'est difficile vous comprenez. Donc la considérable fortune familiale me permet de bénéficier d'un certain standing au niveau des ablutions.

Ca se passe en gros de la manière suivante : quelques dizaines d'éphèbes nubiens versent du lait d'ânesse dans une vasque gigantesque, disons 200 mètres carrés loi Carrez, je m'immerge complètement nu et je barbote pendant quelques heures. Ensuite, les éphèbes préparent les guppies. Ce sont de jolis petits poissons multicolores, on les sort de l'eau pendant quelques instants pour les asphyxier, juste avant que je m'extraie de ma macération. Je m'étends alors sur un tapis de soie sauvage et les guppies sont déposés un à un sur l'intégralité de mon corps humide. Les petites bêtes happent désespérément la moindre trace de liquide, des milliers de bouches minuscules caressent frénétiquement ma peau et la sèchent en quelques minutes. Ca demande tout de même pas mal de logistique, ce qui fait que je me lave tous les trois ou quatre ans. Pour faire simple, on va dire tous les 29 février.

"Deux-en-un ?"

Je pratique en effet la double pénétration en club amateur. J'en suis assez content, le niveau est élevé pour un établissement de banlieue parisienne, et il y a une certaine mixité sociale qui permet de faire des rencontres intéressantes. On sympathise, on s'invite à des barbecues, on garde les animaux ou on arrose les plantes des uns et des autres, bref on peut dire que ça crée du lien. Oui, on peut dire ça.

"Deux petites serviettes ou une grande ?"

Une grande, bien sûr. A peu près de la taille d'un suaire, avec mon portrait imprimé en 2D. C'est mon côté un peu bling-bling, j'avoue.

"Vous avez des animaux de compagnie ?"

J'ai deux paresseux, que j'ai appelés Tomate et Farsi. Tomate parce que ça me fait penser à tout ce qui est matériel de piscine, skimmer, filtre à sable, liner, etc. et Farsi parce que je trouve que cette langue est fascinante de subtilité et de poésie, même si je ne la comprends absolument pas.

"Si oui, lesquels ?"

Je ne comprends pas cette question, elle manque de contexte. Il faudrait être plus précis : de quoi parlez-vous ? Je comprends qu'il s'agit de plusieurs objets, mais c'est à peu près tout.

"Où trouvez-vous l'inspiration pour vos textes et surtout vos commentaires toujours très à propos, inspirés, distingués, d'un sérieux percutant, d'une cohérence à toute épreuve ?"

Tout d'abord, permettez-moi de vous féliciter pour la pertinence et la lucidité de votre question, c'est impressionnant à votre âge. Ceci dit, c'est une question difficile et passionnante. Avez-vous remarqué qu'on parle souvent d'une "source" d'inspiration ? Ce terme me semble tout à fait inapproprié. Quand je pense à une source j'imagine un mouvement continu, dans une direction précise, le transport de matière d'un point à un autre. Appliquée à l'inspiration littéraire, cela signifierait qu'elle est une sorte de message entièrement constitué, compact, déplacé puis reçu de l'extérieur par un esprit tout prêt à le recevoir.

La réalité est bien différente ! Je pense plutôt à un bain, une macération lente et progressive, dans laquelle l'esprit, presque inconsciemment, reçoit des myriades de signaux atténués, discrets, avares de signification. Après un temps qui peut être long, par une sorte de magie créatrice, la somme de ces interactions infimes produit une discontinuité, un jaillissement, deux plaques mentales se rencontrent et refusant l'une à l'autre l'espace convoité se chevauchent brutalement par une rupture de symétrie bidimensionnelle dont on trouvera la théorie détaillée dans Steven Weinberg, "The Quantum Theory of Fields" (3 vols), Cambridge University Press, et de ce frottement non désiré exsudent les étincelles d'un commencement de texte. Parfois une simple phrase. Quelques mots. Un signe de ponctuation, mais c'est assez rare. Donc, je vois l'inspiration comme un processus d'immersion osmotique. Putain c'est bon ça, c'est profondément porteur de sens.

- Vous êtes passionnant, je vous écouterais pendant des heures...

J'en suis conscient, mais d'un autre côté ce n'est pas vraiment vous qui parlez, puisque je suis en train de répondre à votre courrier en écrivant un texte, et non en dialoguant avec vous, alors d'accord on pourrait considérer que c'est une figure de style, mais je pense que ça s'apparente plutôt à du foutage de gueule, et je vous prierais donc de cesser ce type d'interruption.

- D'accord, mais vous ne m'ôterez pas de l'idée que votre prose est d'un niveau bien supérieur à celui du taux de natalité du Bhoutan.

Franchement, la météorologie ne m'intéresse pas, alors revenons au sujet. Maintenant, la question devient : dans quoi ?

- Hein ?

Dans quoi s'immerge-t-on ? C'est ça la question. Quel est le milieu, le contexte, la situation, l'environnement, qui baigne le littérateur potentiel ? On pense d'abord aux références littéraires, c'est évident, mais ce n'est qu'une petite partie de l'environnement mental. Je précise au passage que la circulaire LNTK-2020.5 de l'Académie Française impose désormais le terme de "parallèle" plutôt que celui de "référence", qui est beaucoup moins géométrique et donc totalement imprécis. Mais c'est un point mineur.

Donc, les références littéraires. Alors je citerais volontiers Philip K. Dick, pas tellement pour son oeuvre, que je déteste, mais pour son nom qui veut dire "pénis" en argot anglais. Et H. P. Lovecraft, bien sûr, pour la même raison. Enfin, je veux dire, son nom ne signifie pas "pénis", attention, j'ai jamais dit ça, il signifie en fait "amoureux d'artisanat", ce qui est pas mal non plus. Par ailleurs il a un visage très allongé, presque une baguette de pain, et ça me rappelle qu'il faut que je passe à la boulangerie sinon je vais me faire engueuler. Enfin je ne sais pas pourquoi mais il me fait penser vaguement à mon imprimante, pour laquelle il faut vraiment que j'achète de nouvelles cartouches. Un homme très pratique au quotidien donc.

- Vous êtes terriblement drôle. Vous avez connu Max Pécas ?

On est mariés depuis soixante ans, vous êtes incroyable de lucidité. Mais passons plutôt à votre question suivante.

"Ca ne vous pose aucun problème moral de jouer avec le coeur des gens, de le titiller avec une aiguille à tricoter, finalement de le déchirer en petits morceaux, puis de le recoller à l'envers, et de le gonfler à l'hélium et d'en faire un ballon que vous donnez au premier enfant qui passe, tel un mesquin harceleur de rue prédateur sexuel en goguette ?"

C'est un scandale. Il faut arrêter avec cette histoire que je joue avec le coeur des gens. C'est encore une ignoble calomnie répandue par des concurrents qui me veulent du tort. Mais je ne suis pas Marthe Mercadier, moi, je ne vais pas me laisser faire comme ça.

D'abord je donne mon affection à tout le monde, et en quantités égales (j'ai un mesureur-doseur à la maison, c'est un très bel objet), j'en veux pour preuve le bisouillage systématique qui est, on peut le dire, un peu comme ma signature. Ensuite je n'ai jamais repris mon amour après l'avoir donné, je ne sais pas qui vous a raconté un truc pareil, c'est complètement faux, je suis totalement fidèle en amour, en amitié et en covoiturage. Enfin cette affaire c'est quand même l'hôpital qui se fout de la poutre dans l'oeil du cyclone. Au contraire, c'est les autres qui jouent avec mon coeur, maîtresse, je les ai vus à la récré et j'ai bien noté tous leurs noms. On me prend de haut, on se moque de mon TDM, on me pousse au suicide et il paraît que ça réjouit tout le monde, on vote pour moi à reculons en se désespérant, on dit que mon humour est pourri, et j'en passe ! Je vous préviens, j'ai les preuves, j'ai tout un dossier.

Donc personne ne m'aime ici, c'est rien de le dire. On me crache à la figure comme si j'avais pété dans la soupe ancestrale d'une communauté vieillissante, fermée et endogame, qui sous couvert de littérature décalée consacre l'essentiel de son absence de talent au paluchage réciproque et à l'autosatisfaction maquillés par la couche épaisse d'un cynisme démodé et vulgaire, qu'agite seulement l'occasion raréfiée d'exercer comme seul plaisir un mépris grossier et dépourvu de style pour tout individu qui viendrait déranger les éructations poussives de ses intellects périmés. En gros, quoi.

D'ailleurs je vais vous révéler une petite information : j'envisage de quitter à jamais ce lieu inhospitalier. C'est dommage, au début c'était bien, mais il faut savoir tourner la page.

"Pas le moindre petit remord ?"

Heu... ah oui tiens, en effet, il m'en reste un peu entre les dents, là. Je vous laisse deux minutes, je m'occupe de ça et je reviens. Désolé, hein, mais c'est pas très ragoûtant.

"Etes-vous un dangereux sociopathe ?"

Je suis le miroir de ton âme. Et quand tu regardes longuement l'abîme, l'abîme regarde aussi en toi. (Frédo, un pote à moi).