Soliloque pour solipsiste

Le 10/07/2020
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par Lapinchien
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Dossiers / Appel à textes Stand-Up
Prenant le monde comme public, Lapinchien profite du feu des projecteurs pour se la jouer Descartes sous neuroleptiques et nous faire une leçon de philosophie de comptoir. Qu'est-ce que le solipsisme ? qui suis-je ? qui sont ces gens ? existent-ils seulement, indépendamment de ma pensée ? pouvez-vous me servir un whisky sour ? et les cacahuètes sont-elles gratuites ? On apprend dans ce monologue de stand-up pas très drôle que LC s'est retranché dans une existence monacale, mais qu'il n'est pas contre l'adoption d'une petite chinoise sauvée in-extremis de la noyade dans le Yang Tsé. A moins qu'il ne s'agisse pas de LC, mais d'un personnage-narrateur inventé, et qui donc, par définition, n'existe pas ? OH MON DIEU §§§
On va faire un test pour voir; Faites du bruit. Levez les mains. Ah ben ouais, c'est quand même bien fait. Ça a l'air vrai. On dirait que c'est réel tout ça. Bon ben puisque je suis dans la lumière, sous le feu des projecteurs, je veux bien prendre la parole.
Je ne sais pas pourquoi je vous le raconte mais tout a commencé il y a quelques mois. J'étais dans mon lit et je n'arrivais pas à dormir. Dans le noir complet, soudain, j'ai pensé à un truc qui a changé toute ma vie. Je me suis demandé : là, dans l'obscurité totale, s'il y avait quelque chose auquel je pourrais croire, si je mettais de coté les plus communes des religions, la plus petite des choses à laquelle je pourrais croire, ce serait quoi ? Dieu ? La Nature ? La chance ? Le destin ? Non. Tout ça je pouvais bien m'en passer. La seule chose qui était sûre à ce moment là, c'était bien que j'existais, moi et moi seul, et qu'il y avait une forme d'altérité qui interagissait avec moi. Là pour le coup, l'altérité était en pause et elle ne m'adressait que de l'obscurité et du silence.

Le lendemain matin je me suis mis à étoffer cette théorie qui commençait à m'obséder. Bon d'accord je crois en moi, je crois en l'altérité, mais ce que me renvoie cette dernière dans l’incessant dialogue quelle opère avec moi, est ce que je dois y croire ? Ben non, le flux d'information est peut être corrompu voire totalement falsifié. J'en sais rien. La seule chose en laquelle je peux croire, c'est que j'ai un corps qui n'est autre qu'une intersection a priori entre l'altérité et moi. Il n'est pas tout a fait moi ni tout à fait l'altérité. C'est une interface entre moi et l'altérité. Je dirais même plus, c'est une entrave qui me lie à l'altérité, qui m'emprisonne en elle. Du coup je dois me méfier de l'altérité qui me tient en captivité. D'ailleurs mes sens faisant partie de mon corps, je dois totalement m'en méfier aussi. L'altérité me tient à sa merci et doit probablement me bombarder de faux signaux pour accroître son emprise sur ma personne. L'altérité veut ma peau et me montre une intersection, un corps, en totale déliquescence et sur le long terme l'altérité finira par l'emporter a priori, elle m'entourera d'un voile sombre et se sera la fin.

Ah et puis il y a tous ces autres dont vous faites partie auxquels me confronte l'altérité. Surement pour me faire croire que je ne suis pas unique et diluer mon être dans une foule d'alter egos pour prendre le dessus. C'est vraiment bien conçu tout ça. Mais permettez moi de douter de votre existence. L'altérité peut prendre de multiples visages et jouer plusieurs rôles pour me tenir en léthargie jusqu'à ma mort. Elle me montre également des exemples de comportements à suivre, une normalité à laquelle il faut appartenir. Tout cela dans le but de discipliner mes actions, restreindre mes choix vers un état d'existence qui l'arrange, je ne sais pas encore pourquoi.

Là vous vous dites : le gars est complètement parano, c'est le parano ultime. Et bien vous avez raison. Je doute donc je suis. Voire même, je doute donc je survis. Je ne vais pas dans le sens des signaux que m'envoie l'altérité car elle est fourbe et veut uniquement entretenir ma sédation qui n'a qu'une fin inéluctable. L'altérité m'observe insidieusement et me sonde méticuleusement. Que cherche-t-elle ? Je n'en ai pas la moindre idée mais je cogite pour le comprendre. C'est difficile d'avoir une réflexion disciplinée car l'altérité me donne en permanence des récompenses et des punitions en fonction de l'évolution de mon dialogue avec elle. Elle contrôle l'avancement de son interrogatoire par saccades et c'est le plus dur, je dois faire preuve de la plus rigoureuse des volontés pour me soustraire à ses caresses et à ses coups, au bâton et à la carotte. Certaines des récompenses sont par ailleurs hautement addictives et d'ailleurs ce sont celles dont il faut le plus se méfier. Le combat entre l'altérité et moi ne semble pas égal et ma réflexion est grandement polluée par ces tiraillements artificiels dont il faut absolument se soustraire.

Personnellement depuis ma prise de conscience, je suis devenu totalement ascète. Il faut se méfier de toute forme de plaisir, la bouffe, le rire, le sexe, l'adrénaline, les endorphines. Prenons le sexe par exemple, l'altérité veut absolument que je démultiplie les rapports sexuels pour au bout du compte me reproduire et avoir des enfants. On se demande bien ce que l'altérité va faire de ce cadeau précieux, d'un don de soi extrême qui nous pousse à créer un autre soi-même en lui donnant la vie mais également la souffrance hypothétique, l'agonie probable et la mort inévitable. J'en sais foutrement rien. Mais ça laisse grandement à réfléchir. Si des instincts paternels me tiraillent un jour, je penserai plutôt à l'adoption.

À ce stade, vous vous dites : "Il est complètement malade, le gars, il répète en boucle que je n'existe pas mais bien sûr que j'existe." Je ne sais pas pourquoi je m'en soucie d'ailleurs. Pensez simplement que c'est peut être moi qui fait partie de l'altérité et que tous ces aveux ne sont qu'une vaste supercherie pour discréditer mon propos afin d’accroître l'emprise que j'ai sur vous et votre devenir.