L'assortiment (une Saint-Con peinarde et relativement bon marché)

Le 26/04/2021
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par Dourak Smerdiakov
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Thèmes / Saint-Con / 2021
Flemmard assumé, l'auteur confesse d'emblée avec désinvolture se livrer à la facilité en faisant appel à des professionnels pour réaliser la majeure partie du travail et, bien qu'une faute avouée serait à moitié pardonnée selon la sagesse populaire et en toute invraisemblance théologique, chacun se pourra fabriquer un jugement sur la question à la mesure de sa magnanimité et de la qualité de sa défécation quotidienne.
C'est un peu minable, mais j'ai cédé à la facilité. Fatigue, déprime, manque d'inspiration, abus d'alcool, flemme ? Tout cela à la fois, sans doute. Toujours est-il que je me suis fait livrer un assortiment de cons à domicile. Le tout proposé avec deux lance-flammes pour le prix d'un, vous conviendrez que c'est irrésistible. Une Saint-Con peinarde et relativement bon marché. Peu de chances de finir Grand Inquisiteur, mais je n'aurai pas l'air trop ridicule cette année.

Service impeccable. La cage est déposée la veille, par grue, dans le jardin, recouverte d'une grande bâche, car j'ai demandé l'option surprise au déballage. Les lances-flammes sont bien sûr dans un colis à part, hors de portée des cons, déjà montés et prêts à servir. Une hôtesse de l'air accorte et en chômage Covid vous improvise une démonstration muette de la façon de s'équiper ; à la fin de sa séance de mime, elle vous est offerte par la maison en apéritif, chaude comme la braise. Je me serais bien taper ses restes fumants tellement elle était bonasse avant et consentante après, mais il paraît qu'ils sont en général réclamés par la famille. Franchement, qu'est-ce que ces gens-là peuvent bien en faire ? Ces pratiques sont malsaines et ce pays part à vau-l'eau.

Le samedi dix avril, je me suis levé tard. J'avais pris un bain la veille en tentant la méthode Claude François, et j'étais tellement propre que mes draps s'en souviennent. Je suis allé réarmer le disjoncteur et j'ai fait du café. C'est en le buvant que je me suis souvenu de la date et de la présence de mon assortiment de cons dans le jardin. Sur le coup, ça m'a plus déprimé qu'autre chose. Je me suis demandé si des gens pensaient à moi à l'occasion de la Saint-Con. J'ai supposé que non, et je crois que ça m'a fait plus de mal que de bien.

Après le café, je suis allé me vider aux toilettes de tout ce que je pouvais. Autant dire que j'ai gardé mes tripes et tous autres organes plus ou moins putrescents dont la nature a jugé bon de nous constituer, ainsi que mes divers parasites ou éventuels symbiotes. J'ai chié, aussi, mais rien de très consistant.

J'étais peu motivé. J'ai pensé à inviter les voisins. Leur adolescente commence à me faire bander, et puis j'aime le spectacle des familles malheureuses.

- Allô, voisin ? ai-je demandé quand il a décroché son fixe.

- C'est Cunégonde, m'a-t-il été répondu après quelques secondes d'hésitation.

- Bonjour, ma belle. Tu déchires ta race, tranquille, je te kiffe trop grave. Chill, conne carnée. Tes parents sont là ? Ce serait pour vous inviter à une petite crémation de Saint-Con...

La petite salope avait déjà raccroché. L'éducation moderne... C'est pas à Jalalabad que ça arriverait, des choses pareilles. Ça m'a foutu un coup au moral, et j'ai remonté un casier de bières de la cave avant de sortir dans le jardin et de me planter devant ma cage à cons. Je me suis démerdé comme je pouvais pour retirer la bâche et j'ai reculé de quelques pas pour admirer la scène.

De prime abord, ce n'était pas glorieux. Une douzaine de quidams standards des deux sexes étaient occupés à se protéger les yeux de la lumière du jour. Ils avaient l'air plutôt frais. Je me suis demandé depuis combien de temps ils connifiaient là-dedans, et s'ils avaient pu commencé à se reproduire. C'est à ce moment-là que la possibilité d'un danger m'a effleuré l'esprit, et j'ai décapsulé ma première bière à titre apotropaïque.

- Ça va, là-dedans ? j'ai demandé.

Ç’a été comme un signal que ces enfants de pute auraient guetté pour s'autoriser à beugler tous en même temps comme des cochons dans une foire à la saucisse.

- C'est un scandale !
- Je rentrais chez moi et...
- J'ai le bras long, moi, monsieur, et je peux vous dire que vous allez le sentir passer.
- ...une femme et des enfants !
- Rendez-nous nos portables !
- Je suis trop dég'.
- Je vais mobiliser tous mes followers, vous allez vous prendre une de ces shit storm dans la tronche !
- Encore un coup de Big Pharma.
- Mais vous savez bien que ce sont les pédophiles soixante-huitards reptiliens qui tirent les ficelles en coulisse.
- Le complotisme est le structuralisme des imbéciles.
- Le Frexit, et vite !
- La peste ou le choléra. Moi, je reste chez moi au second tour.
- Allez l'O.M. !
- C'est le chant du cygne du néolibéralisme.
- C'est la faute à Lapinchien.
- Je ne vous ai pas interrompu.
- Macron, démission !
- À poil, Pomme !
- ...le principe de raison suffisante.
- Un truc avec des molécules.
- L'album de la maturité.
- Non, moi, c'est Grichka.
- Troll moscovite !
- Je connais parfaitement le dossier.
- On est troll-friendly.
- Hé, mec, je peux avoir une bière ?
- Au jour d'aujourd'hui, c'est que du bonheur.
- Ok, boomer.
- Mais qui est la belette ?
- Le code secret de l'univers. Ce livre va changer votre vie. Peut-être.
- ...les plans du patator.
- C'est de l'art moderne ?
- Non, je suis né comme ça.
- J'écris avec mes tripes. Je chie mon cerveau sur le clavier. Je donne tout ce que j'ai.
- En finir avec l'anonymat sur internet.
- Il n'y a pas de hasard, il n'y a que des rendez-vous.
- Sartre n'est pas un écrivain.
- ...se retourne dans sa tombe !
- Et vous aimez travailler en équipe ?

Ils n'étaient pas mauvais du tout, j'en avais franchement pour mon argent. C'était vaguement divertissant pendant quelques temps, puis ça devenait un brouhaha, vite incommodant et vaguement effrayant. Le plus troublant était cette imperceptible mais grandissante envie de se joindre au flot de conneries. J'ai songé que nous fluctuons tous dans un continuum. Bizarrement, ça m'a fait plus de bien que de mal.

- Vos gueules, tas de cons ! j'ai crié.

Vous imaginez si ça a eu de l'effet.

- ...augmenter la TVA.
- Tous les grands écrivains sont de droite.
- Le PHP, c'est de la merde.
- Vive l'O.M. !
- Trouvez tous les subterfuges adéquats !
- S'en sortir par le haut.
- Le gorgonzola est le roquefort des imbéciles.
- Faire mentir le choc des civilisations.
- Asselineau président !
- Je ne connais pas de bon texte qui n'évoque pas le vélo, de près ou de loin.
- Si vous voulez mon avis...
- Quand est-ce qu'on mange ?
- Pomme, à poil !
- Vaut mieux vivre avec des remords qu'avec des regrets.
- Le ciel est bleu, la mer est verte...
- Les monades n'ont pas de fenêtres.
- J'adore les Belges.

J'ai balancé ma bière vide et empoigné le lance-flammes pour le braquer sur celui qui braillait le plus fort, un grand baraqué avec un t-shirt de l'O.M. J'ai ouvert la vanne et tiré sur la poignée. La flamme a jailli, goulue. Les autres ont eu le réflexe de s'écarter mais le vociférant supporter s'est enflammé instantanément en gueulant « Quatre-vingt-treize ! » Il s'est longuement consumé sur le sol pendant que je tentais de comprendre ce choix d'un titre hugolien pour ses dernières paroles.

L'effet de recul était curieusement très faible ; je me suis décapsulé une autre bière tout en gardant l'arme à la main.

Ça les avait calmés. Sans doute pas pour longtemps, mais tout de même.

- Mais qu'est-ce que vous nous voulez ?
- Putain, il l'a cramé comme une merde.
- Pourquoi nous ?
- Qu’est-ce qu’on vous a fait ?
- ...

- Une mort horrible.
- Mais pourquoi ?
- C'est un malade !
- C'est un pervers narcissique.
- Laissez-nous sortir !
- Salaud !
- Gopnik !
- Enfoiré !
- Gauchiasse !
- Assassin !
- Antenne 5G !
- Mondialiste !
- Nazi !
- Belge !
- Pédosataniste !
- Pervers narcissique !
- Voleur de points-putes !
- Il faut l'attirer près des barreaux.
- C'est les jeux vidéos, tout ça.
- Socialo-communiste !
- Oui, allô, bonjour madame, excusez-moi de vous déranger, je vous appelle de la part des Lasagnes du Cœur.
- Creuser un tunnel ?
- ... maintenant et à l'heure de notre mort....
- Les Russes vont nous sauver.
- Putain, t'as un portable, mais qu'est-ce que t'attends pour appeler les flics, connard !
- Mort aux vaches ! À bas l'État policier !
- Mais on est membre de l'OTAN.
- L'État a le monopole de la violence légitime.
- Quelqu'un connaît le morse ?
- Les sonnets, c'est de la merde. Je ne respecte que les ballades.
- Parler de violences policières est antinomique.
- Vos lasagnes ont été livrées chez la voisine ?
- … le concept grec d'hybris...
- Antinomique ta mère.
- ...le meilleur des possibles parmi les compossibles.
- Le Frexit, bordel !
- Le pragmatisme anglo-saxon !
- Une hôtesse de l'air, on dirait.
- Le complexe militaro-industriel.
- Vous n'êtes pas sans savoir...
- Un troupeau de ponettes.
- Mais prenez lui son portable ! Vous êtes tous débiles ou quoi ?
- Juste une petite bière, quoi, allez, mec...
- Et sinon, en dehors des lasagnes, vous savez que nous proposons aussi des carbonnades flamandes ou du vol-au-vent ?
- … tu meurs de soif ou bien tu bois des bulles...
- Une caméra cachée ?
- PERVERS NARCISSIQUE !
- Et donc, c'est du e-commerce ou du e-business ?
- Président, montre-nous tes couiiiiiilleees...
- Dévolution ! Jacobinisme de merde !
- Il faut raison garder.
- J'ai son portable !
- Quelqu'un a une scie à métaux ?
- Quand on veut, on peut.
- … la loi Pompidou, Giscard, Rothschild de 1973.
- J'y crois pas, il vient de vider la batterie !
- Les heures les plus sombres de notre Histoire.
- Mon couteau suisse...
- Le principe anthropique fort n'est qu'un avatar pseudoscientifique du Dessein Intelligent !
- En poussant tous ensemble sur les barreaux ?
- ...plein de lames différentes, mais pas de scie à métaux. Quelle arnaque !
- Élire un délégué syndical pour défendre nos revendications légitimes.
- On fait la grève de la faim.
- On forme un S.O.S. devant la cage avec nos fringues !
- À poil, Pomme !
- À poil, Darmanin !
- J'ai été délégué de classe, une fois.
- Je m'étais endormi la nuit près de la grève...
- Je veux mourir en faisant l'amour !
- C'est comme dans Independance Day.
- Mon royaume pour un phoque !
- À faire pâlir tous les Marquis de Sade...
- Je vous arrête, moi, c'est Igor.
- Tout est chaos...
- C'est comme dans Cube.
- Un vent frais m'éveilla, je sortis de mon rêve...
- ...tous mes idéaux, des mots... abîmés...
- C'est comme dans le Vieux Fusil, il y a un lance-flammes.
- Bon, qu'est-ce qu'on fout ? J'ai pas envie de crever.
- À faire rougir les putains de la rade...
- Grichka ! Prends-moi toute !
- Putain, on va tous crever.
- Je vois de la lumière noire.
- Tout est pour le mieux...
- Frère, il faut mourir.
- Je vais t'aimer ! Je vais...
- Igor, tu es fou ! nous ne sommes pas seuls.
- ...t'aimer d'amour !
- Je te dis que c'est du e-commerce.
- Ô nations ! je suis la poésie ardente.
- ...je vais t'aimer !
- ...dans le meilleur des mondes.
- PERVEEEEERS NARCISSIIIIIIIIIIIIQUE !

C'est là que j'ai entendu un bruit derrière moi. Les braillements et l'agitation frénétique et copulatoire de mes cons m'avaient complètement hypnotisé. Je suis sorti de ma fascination et je me suis retourné.

Mon sens des bonnes affaires m'avait perdu : Cunégonde, la fille des voisins, pointait sur moi mon lance-flammes de réserve. J'allais m'embraser d'un instant à l'autre ; il s'agissait de trouver des mots nobles et dignes de l'auguste circonstance pour conclure mon existence de merde.

- Suce-moi la bite, salope ! Ai-je bafouillé.

On n'est pas toujours inspiré. La bien brave petite m'a laissé le temps de mieux faire.

- Euh... STANDARD AU POUVOIR ! ANDERLECHT À L'ABATTOIR !

J'ai bien senti que je m'enfonçais. Mais elle, joueuse, attendait toujours. Je me suis décidé à aller jusqu’au bout du rôle et j’ai pris une grande aspiration.

- À POIL, POMME !

J'avais beuglé ça comme un malade. Qui était Pomme ? Aucune idée.

Puis j'ai tenté le tout pour le tout.

- Allez, donne-moi ça, tu ne sais même pas t'en serv...

Paupières, ouvrez-vous, allumez-vous, prunelles...