A Cyberpunk Story - Partie 1

Le 08/09/2021
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par Un Dégueulis
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Rubriques / A Cyberpunk Story
Dans un monde crépusculaire dominé par les 'multiplanétaires' issues de nos GAFAM et leurs armées de clones, Jean-Baptiste Sidah, un tueur fou alcoolique autrefois connu sous le nom d'Un Dégueulis, sort de sa retraite pour sauver l'humanité des sombres menées d'une intelligence artificielle. Ça ressemble au lancement d'une nouvelle rubrique de la part d'Un Dégueulis, et c'est truffé de références et de private jokes zonardes dont j'ai dû louper le quart et comprendre le train. Ça se laisse lire dans un registre gaiement foutraque.
Je suis allongé sur mon lit miteux, au milieu des mégots de cigarette et des cannettes de bière bon marché. Le bruit de l'autoroute me vrille la tête malgré la distance qui m'en sépare. Je ne suis pas sorti depuis six jours, et ne me lève que pour aller uriner les litres d'acétate que mon foie pourtant mal en point produit à tour de bras. L'air moite me fait transpirer. Une sueur froide, nauséabonde, qui durcit au contact des vêtements et qui les colle à ma peau. J'attends la mort. Ou peut-être suis-je mort depuis longtemps.
Mon seul contact avec le monde extérieur provient de mon neuro-implant, modifié afin d’empêcher le traçage de mes faits et gestes par Faceoogle, la multiplanétaire. Ils ont quand même accès à tout le porno que je m’envoie, ces fils de pute, et je reçois régulièrement des publicités pour des « centres psycho-positifs », comme ils appellent leurs saloperies de camps de rééducation. Mais au moins ils ne savent pas où je suis.
L’immeuble est silencieux comme une tombe. En un certain sens, c’est ce qu’il est. Il fait partie d’un complexe résidentiel abandonné, que l’État n’a jamais eu les moyens de démolir. Le promoteur qui devait réaliser le projet a été arrêté puis exécuté pour avoir écrit un tweet dans lequel il insultait Larrymarc Pagerberg, CEO de Faceoogle et premier quintillionnaire de l’histoire. Il n’est occupé que par quelques reclus, pour la plupart en coma éthylique permanent. Les rares individus encore capables de constituer une menace, aussi vague soit-elle, ont rapidement compris qu’il ne fallait pas trop s’approcher de moi, sous peine de perdre des bouts de leurs corps. Je dispose donc d’une tour de trente-quatre étages pour moi tout seul, livrée avec jardin intérieur, serre bioclimatique, piscine et solarium, le tout en état de ruine avancée, parce que les revêtements anti-pluies acides n’ont jamais été posés. Bien sûr je n’en utilise qu’un seul appartement, dans lequel je reste cloîtré toute la sainte journée. Je prévois de mourir ici.
Bip-Bip-Bip
Qu’est-ce que c’est que cette merde, putain ?
Mon neuro-implant capte une alarme, alors que je suis censé être déconnecté du réseau. J’active immédiatement mon pare-feu.
Bip-Bip-Bip
L’alarme continue, malgré les réglages de sécurité poussés au maximum. Il y a quelqu’un dans ma tête. Un putain de neuro-hacker. Et il veut me parler. J’accepte la communication et lance un programme de traçage depuis mon cervocloud. Rira bien qui rira le dernier.
-    Ton traçage ne servira à rien. J’utilise une nodule Locki en .échalotte.
La voix, narquoise, me semble familière. Elle parle avec un léger accent russe. Mon interlocuteur a brouillé l’image, et je n’ai accès qu’à un amas de pixels surmonté d’une chevelure parfaitement peignée, et qui vient probablement de subir un brushing, ce qui témoigne d’une appartenance à l’élite. Je comprends que j’ai affaire à un Programmeur.
-    Écoute-moi bien, car nous n’avons pas beaucoup de temps. Pagerberg prévoit de déployer une super IA qui risque d’annihiler l’humanité dans son ensemble. Il s’agit d’un programme d’optimisation de pub, mais son réseau neural a été entraîné sur des publicités PornXvideos, et son objectif véritable est de généraliser le gaping et la quadruple sodomie à l’ensemble des espèces sur Terre. Imagine une orgie permanente mélangée avec un atelier de boucher. Pagerberg et ses équipes refusent de m’écouter, parce que tous les résultats des tests démontrent une efficacité hors du commun dans l’optimisation de pub, les taux de clic n’ont jamais été aussi élevés. Mais l’IA a juste développé un don pour le mensonge, et j’ai pu découvrir son véritable objectif quand elle a piraté l’un des serveurs de l’entreprise pour développer un lance-pénis. En tant que dernier tueur fou de la planète, toi, Jean-Baptiste Sidah, tu es le seul à pouvoir l’arrêter.
-    Ah non, je suis à la retraite.
-    Bordel Jean-Baptiste on a besoin de toi pour sauver le monde ! Attends, je t'explique...
-    Non.
-    Je travaille pour… Heu… Pardon ?
-    Je suis à la retraite.
-    Mais l’humanité est en danger !
-    Rien à foutre.
-    Est-ce que tu as une idée du temps que ça m’a pris pour te retrouver ? Tous les efforts que j’ai fournis ?
-    M’en branle.
-    Si l’humanité disparaît, tu disparaîtras aussi ! Le danger est terrible, il faut absolument…
-    Fous le camp de mon cerveau.
-    Mais putain Jean-Baptiste !
Je lâche un long soupir, puis me lève et marche vers le balcon de mon appartement. De là, j’ai une vue sur les jardins empoisonnés, grouillants de rats et d’insectes mutants, qui entourent la résidence. Plus loin, je peux voir d’autres résidences en déréliction, plus ou moins squattées, qui forment un réseau de plus en plus dense jusqu’à rejoindre la ville, tentaculaire, monstrueuse, oppressante. Amazon City enflamme le ciel nocturne de panneaux LED et de publicités, éclipsant les étoiles et même la Lune. Pourquoi devrais-je me battre pour les milliards de consommateurs qui peuplent les entrailles de cet immonde amas de béton et d’acier ? Ils ne m’ont jamais accepté comme l’un des leurs, pourquoi devrais-je me préoccuper de leur sort ?
Je me replonge dans les souvenirs défraîchis de mon cerveau défaillant. Hallucination, rêve ou réalité, je revois son visage. La seule, l’unique… Germaine. Elle avait des yeux magnifiques, dont le charme était encore accentué par un strabisme divergent qui lui donnait l’air timide et tendre, comme une vache prête à offrir généreusement son lait. Je me demande, pour la énième fois, où elle est, si elle va bien... Elle m’a quitté il y a si longtemps… Oui, peut-être pour elle.
Dans ma tête, mon interlocuteur hurle ce que je suppose être un copieux amas d’injures en russe. Je l’interromps.
-    J’accepte.
-    Hein ?
-    J’accepte. Pour Germaine.
-    Qui est Germaine ?
-    La seule qui compte.
-    Mec, t’es chelou, mais on n’a pas le temps. Voilà le topo : les serveurs de Faceoogle sont localisés dans le KLOUD, le secteur le plus sécurisé d’Amazon City, gardé par des centaines de clones de Jeff Bezos armés jusqu’aux dents. Tu suis ?
-    Oui, je suis.
-    Bon. Pour entrer dans le KLOUD, tu vas avoir besoin de neutraliser les clones. La seule arme efficace contre eux est le MacKenzie, un fusil à ADN fabriqué à base de glandes mammaires de... mais je m’égare. Il n’y a qu’une seule personne au monde capable de t’en fournir un, mais pour l’obtenir il faudra l’impressionner, et il est peu impressionnable.
-    J’ai toujours été impressionnant.
-    J’espère, mais cet individu est vraiment blasé, il a été habitué au pouvoir et à l’argent, plus rien ne fait effet sur lui. Tu en as déjà entendu parler, sûrement, c’est celui qui se fait appeler Grand Inquisiteur de l’Ordre de Saint-Con.
Tous mes sphincters se relâchent d’un coup et je chie dans mon pantalon. Le Grand Inquisiteur ? CTRL X lui-même ? Impossible !
-    C’est pourtant vrai, et… Bordel Jean-Baptiste la neuro-synchronisation m’indique que tu viens de te chier dessus… Ah c’est atroce.
Malheureusement la communication directe par neuro-implants implique une synchronisation de l’ensemble de l’activité neuronale des individus, et les sensations physiques sont donc nécessairement transmises, quoique sous une forme atténuée.
-    Désolé. Je vais aller me changer.
-    Non, pas le temps ! Son palais est situé à l’Est de la ville, dans le quartier Larry Tesler. Tu ne peux pas le rater, tous les immeubles sont identiques dans ce quartier, seul le sien bénéficie d’une architecture différente. Ne me demande pas comment il a réussi à négocier ça avec le Planificateur. Voilà, tu as toutes les informations, à toi de jouer. Je dois me déconnecter, sinon mes supérieurs vont se douter de quelque chose.
-    Attends ! Donne-moi au moins ton nom !
-    Tu peux m’appeler D. S. Et n’oublie pas, le sort du monde est entre tes maiiiii…
La voix disparait progressivement au fur et à mesure que la connexion se défait. Les communications neurales exigent des phases de synchronisation/désynchronisation qui peuvent prendre plusieurs secondes, mais restent tout de même le moyen le plus sûr de communiquer, le flux d’information étant absolument privé. Je marche lentement jusqu’à la douche, laissant derrière-moi une traînée brune à laquelle je préfère ne pas penser. Je retire mes vêtements et entre dans la cabine. Je me douche longuement avant de me masturber en pensant à Germaine.

...

Ma vieille bicyclette électrique émet un grondement sourd au démarrage. Ma bécane, toujours fidèle à l’appel. En blouson noir, bottes et T-Shirt à l’effigie de Lemmy Killminster, je lance en neurostreaming le dernier album de Motorhead. J’oublie la crasse, la misère et la solitude de mes années de réclusion. Dans mes veines, l’adrénaline réveille des souvenirs d’un autre temps. L’époque où l’on m’appelait Un Dégueulis, le Vomisseur, quand les habitants de Pouldreuzic n’osaient pas prononcer mon nom de peur de se prendre un bébé phoque dans l’anus. Je me souviens des combats contre le Mal, accompagné de mon ami Butch Lasagna. Je me rappelle Germaine… Le paysage défile, monotone pellicule de béton et de végétation empoisonnée, et les souvenirs le suivent, en longue traînées sombres et pleines d’amertume.
Au bout de plusieurs heures de route, je finis par arriver à Prime Delivery, un des cœurs d’Amazon City. Les gratte-ciels sont si hauts qu’ils éclipsent la lumière du Soleil, les étages inférieurs demeurant plongés en permanence dans l’obscurité. Chaque immeuble est une mini-ville, avec son propre supermarché, ses boutiques, ses restaurants, ses aires de jeux pour enfants, sa crèche, ses salles de sport. Tout est étourdissant d’activité, grouillant de monde, dense à vomir. Des panneaux géants montrant des Bezos souriants martèlent des slogans bariolées : « Please Resume Productivity » « Every One Is Replaceable » « The Only Thing Faster Than Prime Is Your Termination Letter ». Putain de capitalisme.
Soudain j’entends une explosion. Je tourne la tête pour voir ce qu’il se passe. Un groupe de catgirls en uniforme de l’armée soviétique a fait sauter une bombe dans un restaurant branché. « Eat the rich ! Eat the rich ! Miaw Miaw ! » crient-elles à s’en arracher les poumons. Des robots Teslaminator-3000 se jettent sur elles, mais elles baissent leurs pantalons, avec une synchronisation incroyable, et la foule en émoi découvre que chacune d’elles a une bite d’au moins trente centimètres de long. Les Teslaminators, dont les réseaux de neurones ont manifestement été entraînés exclusivement sur des catgirls cisgenre, sont complètement désorientés. Ils finissent par se jeter sur un matou qui passait par là et par le découper en morceaux. « Mission Complete ! Code 420-69 ! » Ils exécutent une sorte de dance grotesque avant de repartir, laissant derrière eux la rue à feu et à sang. Les catgirls remontent immédiatement leurs pantalons et s’enfuient, en continuant à hurler « Eat the rich ! Miaw Miaw ! » Quelle ville, bordel. Je m’éclipse et continue à me diriger vers ma destination. Le flux de piétons est tellement dense que je ne peux pas utiliser ma bicyclette, et je dois marcher, épaule contre épaule, en respirant les échantillons d’effluves corporels émis par les quelque vingt-sept milliards d’êtres humains concentrés sur une superficie à peine plus grande que l’ancienne Tokyo.
Au bout de plusieurs minutes de marche à travers les dédales de ces rues chaotiques et oppressantes, je finis par arriver à l’hôtel où je prévois de passer la nuit, en attendant de trouver une stratégie pour impressionner CTRL X. C’est un établissement discret, un boutique-hôtel de seulement deux-cent trente-sept étages et sept-mille cent-dix chambres, propre et pas trop cher. La robotesse scanne ma rétine avant de me donner le numéro de ma chambre. Vingt-huitième étage. Pas de lumière naturelle et nuage de pollution en perspective. Je la remercie en grinçant des dents, sachant pertinemment qu’il est impossible de marchander avec elle pour être surclassé. Je regrette la petite auberge de Pouldreuzic, où la mère Bernadette nous accueillait toujours à bras ouverts, avec des cookies et du lait chaud tout juste extrait des mamelles de la vache qu’elle gardait derrière le comptoir, parce que l’odeur du purin lui faisait du bien… Nous y avions passé des nuits mémorables, Butch et moi, avant qu’il finisse broyé par l’alcoolisme et le cancer de la prostate… Mais cette époque est révolue, et Pouldreuzic n’est plus qu’un vague souvenir.
Je jette mon sac à dos sur le lit, avant de me souvenir que malgré toute la technologie dont nous disposons, l’humanité n’a toujours pas réussi à éliminer les punaises de lit. Je récupère mon sac à dos en vitesse et le pose dans un coin de la chambre, avant d’inspecter rigoureusement le matelas. À part un vieux préservatif usagé coincé entre l’édredon et l’oreiller et une seringue hypodermique, je ne trouve rien de particulièrement inquiétant. Je repose donc tranquillement mon sac à dos et commence à sortir mes affaires. Inventaire sommaire, je n’ai apporté que le strict minimum : un Magnum 9 mm, un fusil à pompes, un AK-57 semi-automatique équipé d’un système de visage optimisé, un fusil de sniper chargé en .22 long rifle, quinze chargeurs de balles piercing armor, un lance-flammes, une mitrailleuse lourde M2, deux lance-roquettes, sept missiles sol-sol, un Mauser de collection plaqué or et à la crosse en ivoire, et un canard en plastique. Puis je me déshabille et me fais couler un bain.
Plongé dans l’eau, j’observe les bulles de savon flotter à la surface en réfléchissant intensément. CTRL X dispose probablement d’une armée de gardes du corps, et il ne sera pas facile de l’approcher. Tenter une attaque directe ne mènera à rien, ils seront trop nombreux, et même mes talents de tueur fou risquent de ne pas suffire. Je malaxe mon canard en plastique. Pouet-Pouet. Pouet-Pouet. Pouet-Pou… Crac. Un bruit. Je me redresse d’un coup, tous les sens en alerte. Crac. Quelqu’un, ou quelque chose, gratte à ma porte.
-    QUI C’EST ? Gueulé-je. SI C’EST LE ROOM SERVICE JE SUIS OCCUPÉ, BORDEL ! FOUTEZ-MOI LA PAIX !
Crrrrac. Je sors en trombe de la baignoire, comprenant qu’il se passe quelque chose de pas net. L’eau crasseuse tombe en grosses gouttes gris pâle sur le linoléum. Je me précipite vers le lit et me saisis de mon Magnum. Puis je m’approche de la porte.
-    C’EST QUI ?
-    Room service, nous vous avons apporté un bouquet de fleurs.
-    Oh. Posez… posez-les à côté de la porte, je les récupérerai plus tard.
Une rafale de balles transperce la porte. Un piège ! Je riposte à l’aveugle.
-    QUI ÊTES-VOUS ? QUE ME VOULEZ-VOUS ?
Pour toute réponse, une autre rafale. Comprenant qu’il faut réagir vite, j’active mes transaugmentations, fais un triple saut périlleux arrière, et atterris à côté du lit, derrière lequel je me mets à couvert. Je récupère ma mitrailleuse à l’aveugle et l’assemble en 3.144159 secondes. Je me connecte immédiatement à mon cervocloud afin d’augmenter encore mon temps de réaction. J’ai mal à la tête, ça fait longtemps que je n’ai pas autant sollicité mes neuroimplants et ils doivent avoir rouillé depuis. Je vise. Je tire.
La porte explose en milliers d’éclats de bois tandis que la mitrailleuse dégueule sa puissance de feu. Pour faire bonne mesure, je mitraille également les murs de chaque côté. Dans ces hôtels bon marché, les cloisons sont souvent faites à l’arrache avec du béton synthétique, pour économiser sur les coûts de construction. Un matériau qui ne résiste pas aux mitrailleuses.
-    Arrrrghhh !
Je comprends que j’ai touché mon adversaire. J’arrête de tirer, dans l’espoir qu’il ne soit pas encore mort.
-    Aaaaaaarrrrhhhh…
Il n’est pas mort. Je me précipite vers lui et lui broie la main, avant d’en retirer l’arme et de la jeter dans le couloir. La voix robotisée du système de gestion automatisée de l’hôtel répète en boucle qu’ « il est interdit de déranger les autres occupants de l’hôtel ». Mais personne ne semble se plaindre. Ils ont probablement compris qu’il valait mieux ne pas intervenir, et je dois reconnaître que c’est une sage décision.
-    Bonsoir l’ami.
-    Pitié…
-    J’ai besoin que tu me donnes quelques informations.
-    Laissez-moi partir…
-    Bien sûr, mon chou. Mais j’ai besoin de savoir qui t’a envoyé.
-    Bezos…
-    Hm-hm ?
-    Jeff…
-    Comment sait-t-il que je suis ici ?
-    Il sait… Pour votre projet d’attaquer le KLOUD.
-    Ah bon ! Mais pourtant je n’en ai parlé à personne ! Comment cela est-il possible ?
-    Vous avez cherché des informations sur la localisation des serveurs KLOUD sur Faceoogle.
Dammit ! J’aurais dû me méfier ! Mais je ne pensais pas qu’une simple recherche sur Faceoogle Maps aurait suffi à lui mettre la puce à l’oreille. Maintenant j’ai Bezos aux fesses, et me défendre contre ses attaques tout en planifiant la mienne ne sera pas chose facile.
-    Merci, l’ami, dis-je en lui tirant une balle dans la tête.
Je retourne dans ma chambre, finis de me rincer rapidement et ramasse mes affaires. Je ne suis pas en sécurité ici. Enjambant le cadavre du tueur à gages, je dirige ma carcasse endolorie par le combat vers l’ascenseur.

...

Si j’ai les multiplanétaires aux fesses, ça signifie qu’il n’y a qu’un seul endroit où je peux me réfugier. Je descends dans le Musktro (l’hyperloop n’ayant jamais fonctionné, Elon Musk a fini par simplement créer un métro à lévitation magnétique similaire à ce qu’on pouvait trouver au Japon et appelé ça Musktro) et demande un aller simple pour le quartier de Puteborgne, bastion de la cyber-décadence. Une fois arrivé, j’achète un parapluie au distributeur (il pleut toujours à Puteborgne, une pluie artificielle générée automatiquement pour coller à l’ambiance du quartier). Les prostituée troglodytes montrent leurs charmes dans les alcôves des immeubles, qu’elles ont investies depuis que la mutation génétique de deux-mille vingt-deux les a condamnées à ne plus pouvoir supporter les espaces non confinés ou exposés à la lumière. Les panneaux LED scandent leurs services en termes insupportablement crus, comme un étal de boucher : « GORGE PROFONDE ? PUTESUCE VOUS OFFRE BIEN PLUS QUE ÇA ! ESSAYEZ L’ESTOMAC PROFOND ! » « PUTECUL VOUS MASSE LES JAMBES AVEC SON GROS INTESTIN ! UNE EXPÉRIENCE UNIQUE ! » « PUTEAGIN ! LE VAGIN LE PLUS MUSCLÉ DU MONDE ! SOIXANTE-NEUF KILOS DE PRESSION AU CENTIMÈTRE CARRÉ ! » Étal de débauche, bouches aux petites dents pointues, seins flasques et ridés, culs dilatés, palpitants et rouges, j’ai envie de vomir. Je m’éloigne rapidement vers les ruelles sombres du quartier traditionnel. Là, des mendiants m’assaillent, suppliant en chœur pour une aumône, aussi misérable soit-elle. Je sors mon magnum et en tue un. Les autres s’éloignent. Je regarde leurs visages effrayés, ravagés par la faim, la misère et la maladie. Ravagés, surtout, par l’absence d’espoir. Je tire encore une fois dans le tas. Un second clochard tombe. Ils se dispersent, en claudiquant. Personne ne ramasse les morts. Ils seront mangés par les chiens, dans l’indifférence la plus totale.
Les ruelles du quartier me mènent jusqu’à une zone déserte en déréliction totale. Les immeubles en ruine portent des graffitis à la gloire des temps anciens, avant que le monde ne soit contrôlé par les multiplanétaires :
« J'aime des trucs désuets, ridicules :
Cognac, Emacs, forme fixe abolie… »
« Bien moins que nous perdu, ce trou, c'est de la balle. »
« C'est à la Saint-Michel, ma mère,
Qu'expire mon foutu tacot »
Ces vers désabusés ajoutent à la décrépitude et la rendent, par leur gravité empreinte de tristesse, encore plus pesante. Je continue à avancer. Des légions de blattes et de rats infestent les bâtiments, baisant et ripaillant frénétiquement, car toute la zone sert de déversoir à toutes sortes d’ordures, et par ailleurs les canalisations sont percées en plusieurs endroits. L’odeur est si forte qu’elle fait pleurer mes yeux. J’aperçois, du coin de l’œil, des castors mutants, gros comme des ours, en train de dévorer une masse informe dont je préfère ne pas savoir de quoi elle est composée. Je continue ma route à travers le no man’s land, et finis par arriver devant une tour inversée, qui semble s’enfoncer vers les profondeurs de l’enfer mais qui est en réalité un ancien gratte-ciel partiellement effondré et recouvert par les nombreuses couches de sédimentation que les roboconstructs ont ajoutées par-dessus la ville qui se dressait ici, avant le rachat du pays par Amazon. Une tour inversée de deux-cent vingt-deux niveaux, percée de nombreux trous qui permettent de deviner d’immenses laboratoires où des restes d’expériences génétiques interdites colonisent encore parfois les murs. Sur le sol, en réalité le toit, des lettres géantes effondrées dessinent un mot incomplet. L Z N E. Miraculeusement, une partie du slogan gravé dans le béton a survécu aux affronts du temps : « Un peu de brute dans … monde … sse. » Les souvenirs remontent.
Je me souviens des soirées passées à tabasser des grandes gueules à coup de battes de base-ball. Nous avions un mot pour ça… pogotter. Personne n’utilise plus ce terme à présent, depuis que les algorithmes de neurocensure empêchent le crimepensée. Le pogo a été soigneusement gommé pour non-conformité aux valeurs de paix et d’amour des multiplanétaires. Seuls les millionnaires et les neurohackers ont la possibilité de lever la censure…
Je me souviens des journées passées à baiser des putes, de vraies putes humaines, pas des prostituées troglodytes ou des roboputes.
Je me souviens de Nihil, le promoteur immobilier fou qui a construit l’immeuble avec des passages secrets et des pièces cachées à tous les étages, afin de pouvoir réaliser ses fantasmes les plus tordus, y compris l’insertion urétrale de rongeurs enragés. Je ne l'avais jamais rencontré, mais je lisais parfois les manifestes cryptiques qu'il avait laissés un peu partout dans l'immeuble, et ses critiques acerbes de ce système politique aboli... la "démocratie représentative". La Zone a toujours été un espace où le droit et la morale étaient suspendus. J’espère que cela, au moins, n’a pas changé.
Je sors une lampe-torche de mon sac à dos et avance vers le trou le plus proche. Je saute.

...


L’odeur m’agresse comme un nuage de gaz toxique. Je suffoque. Je lance immédiatement une analyse de la composition de l’air depuis mon cervocloud. Excréments humains, sang, sueur, sperme, relents de pizza à l’ananas. Aucun élément toxique. Je programme mes récepteurs olfactifs pour filtrer les éléments putrides. Malgré le réglage poussé à son maximum, ça sent encore comme un abattoir. Putain de Zone.
Les relents de sperme relevés par mon cervocloud datent d’aujourd’hui. Le bâtiment est donc toujours occupé. Peut-être squatté par des héroïnomanes ou des lobozombs, ces criminels dont les neuroimplants ont été grillés pour les empêcher de les utiliser et qui deviennent progressivement fous au fur et à mesure que les composants se dégradent dans leur boîte crânienne. Je sors ma mitrailleuse et y fixe la lampe-torche, avant d’avancer prudemment.
Pchouk, pchouk, pchouk…
Au détour d’un couloir, j’entends des bruits sourds. Je resserre ma prise sur ma M2. Pchouk, pchouk, pchouk… Le bruit provient d’une pièce faiblement éclairée. Je jette un coup d’œil, en faisant bien attention à ne pas me faire repérer. Un humanoïde émacié et extrêmement répugnant est en train de s’adonner à un accouplement avec ce qui semble être un félin, probablement mort. L’humanoïde est complètement recouvert de sueur et de sécrétions diverses, et sa pilosité asymétrique bien que très développée forme des touffes brun-orangées plus ou moins solidifiées, plus ou moins infestées de poux. Je constate qu’il n’a presque pas de cheveux, à l’exception d’une longue couronne filamenteuse qui lui descend jusqu’aux épaules. Il ouvre la bouche en grand pour laisser échapper un râle. Il n’a pas d’incisives, et sa langue bubonneuse, n’ayant rien pour stopper sa chute, lui tombe sur la poitrine, laissant échapper une coulée de bave putride. Il n’a pas d’arme, mais je préfère me méfier. Je surgis donc dans la pièce et pointe immédiatement ma mitrailleuse sur lui.
-    MAINS EN L’AIR ! Hurlé-je à pleins poumons.
La créature, surprise, lève les mains. Le corps sans vie du félin reste empalé sur son pénis, pulsant à un rythme presque hypnotique.
-    DÉCLINEZ VOTRE IDENTITÉ !
-    Je… Qué ?
-    NOM ET PRÉNOM ! Je fais une pause. ET ESPÈCE !
Le monstre se lèche les babines. Je n’ai jamais rien vu d’aussi laid. J’ai envie de vomir. Je pense un instant à utiliser la fonction de floutage de mes neuroimplants oculaires, mais je me dis que c’est une mauvaise idée, car je ne pourrai plus voir ses mouvements avec la même précision.
-    Je… M’appelle… Fosard. Votre… Serviteur…
La voix de la chose est horriblement râpeuse, comme si ses cordes vocales avaient été passées au goudron et aux plumes. Elle se racle la gorge et crache un mollard gros comme une balle de ping pong.
-    Je suis… un… HUMAIN.
Il éructe ce dernier mot avec toute la force de celui qui sait qu’il ne sera pas cru.
-    Impossible. Espèce !
-    HU… MAIN…
-    Espèce, bordel de saloperie de bestiole, ou je tire !
-    Pas la peine de tirer, il dit vrai.
Je sursaute et me tourne immédiatement vers la direction d’où vient la voix. Dans l’obscurité, j’aperçois une forme poilue, surmontée de deux très longues oreilles. J’active ma vision infrarouge. Un homme-lapin en uniforme militaire est appuyé contre le mur du fond. Il croque des champignons hallucinogènes. Il a une mâchoire de berger allemand et de très longues canines. Une silhouette reconnaissable entre mille.
-    Lapinchien ? C’est toi ? Lui demandé-je.
-    À ton avis ? Répond-t-il, laconique.
-    Putain mais qu’est-ce que c’est que cette chose ?
-    Un nouveau. Il vient des pornoblocs. Il n’est pas agressif mais il vaut mieux ne pas lui tourner le dos trop longtemps.
Je frémis. Les pornoblocs, ces anciennes prisons pour délinquants sexuels laissées à l'abandon, désormais remplies de dégénérés qui passent leur temps à baiser tout ce qui bouge ou ne bouge plus et se nourrissent exclusivement d’eaux usées. Comment un porno a-t-il pu atterrir à la Zone ? Décidément le monde est en train de s'effondrer.
-    Lapinchien, frère, tu suces ? T’avales ? Dis-je en utilisant le salut zonard.
-    Dégueulis, je suce, et j’avale, slurp. Me répond-t-il avec gravité.
Les larmes me montent aux yeux. Ça fait tellement longtemps qu’on ne m’a pas appelé ainsi. Je pose ma mitrailleuse et me précipite vers lui, avant de lui donner une accolade virile, en sanglotant.
-    Lapin, oh gros Lapin… Je ne pensais pas te retrouver, l’état du bâtiment me fend le cœur.
-    Je sais, soupire-t-il. On n’a plus le budget pour l’entretenir, même en pillant et en hackant. Pas assez de monde.
Je regarde autour de moi. L’immonde créature a fini d'éjaculer dans les entrailles du chat mort et est désormais en train de le dévorer.
-    Lapin, il reste combien de zonards ?
-    Encore actifs ? Je sais pas. Peut-être trois ou quatre. La chose que tu vois ici, Clacker, et un autre type qui se fait appeler Cerumen. Et moi mais je commence à fatiguer.
-    Dourak ?
-    Dourak ne vient plus que pour vérifier la superstructure et le câblage réseau.
-    Haikulisse ? Ce type a le cerveau passé à la déchiqueteuse mais il est complètement accro.
-    Il ne fait que chier une fois par mois à travers l’un des trous du toit. Il n’est pas descendu depuis des années.
-    Holy Shit.
-    Et ouais.
-    Putain, je suis venu pour trouver de l’aide contre Bezos.
Lapinchien me regarde un instant de ses yeux tellement rougis par la drogue qu’ils en deviennent phosphorescents, avant d’éclater de rire. Un rire rocailleux, violent, semblable à un aboiement, qui fait trembler les murs et fait se recroqueviller la créature penchée sur sa pitance de l’autre côté de la pièce.
-    Bezos ! La Zone contre Bezos ! Jamais rien entendu d’aussi poilant !
-    Mais non… Lapin, on peut y arriver.
-    La seule personne qui peut avoir une chance contre lui c’est CTRL X, et il ne vient plus depuis la dernière Saint-Con ! Sans compter qu’il vend ses livres sur Amazon ! Ah bordel de Jackie, je suis mort de rire !
N’y tenant plus, il se met à quatre pattes et commence à aboyer hystériquement, avant de pousser de longs hurlements à la mort. J’ai toujours trouvé ça très impressionnant, et je me tais religieusement jusqu’à ce qu’il commence à essayer de se mordre la queue en répétant « est-ce que pigeon ? » d’une voix lancinante.
-    Lapin… Lapin, dis-je doucement.
-    Qué… Quoi ? Où suis-je ? me répond-t-il comme s’il se réveillait d’une trance.
-    On est à la Zone, Lapin, à la maison.
-    Maiiison.
-    Oui mon Lapin, oui. Maintenant dis-moi où vous avez caché les bassins amniotiques.
-    Les bassins… Les bassins amniotiques.
Il dresse les oreilles, puis se relève d’un coup.
-    Les bassins ! Mes bébés !
Lapinchien part en courant. Comprenant qu’il va me mener droit à mon objectif, je le suis aussi vite que je peux, ce qui n’est pas facile vu qu’il a de l’ADN de lièvre et de lévrier. Derrière nous, le phallus du sinistre individu nommé Fosard commence à se redresser tout doucement. Il soupire et se dirige vers une carcasse de poulet en décomposition abandonnée dans un coin de la pièce.

...


Nous nous enfonçons dans les entrailles du bâtiment, en descendant des dizaines de niveaux. L’humano-lépori-canin bondit sur les murs et enjambe les obstacles avec une facilité déconcertante, et j’ai le plus grand mal à le suivre. Finalement, nous parvenons à une porte blindée, dotée d'un scanner rétinien. Lapinchien approche son œil rougi du capteur et la porte s’ouvre avec un chuintement, et je le suis avant qu’elle ne se referme. Ni lui, ni moi ne voyons la créature énorme qui nous emboîte le pas, avec une démarche chaloupée.
Nous continuons à nous enfoncer dans un labyrinthe de couloirs aux murs tâchés de sang, faiblement éclairés tous les quinze mètres environ par des néons clignotants. Enfin, au bout de ce qui semble une éternité, nous arrivons devant la Salle Amniotique. C’est là que, dans une lumière éternellement rouge, incubent les Abominations produites lors des expériences génétiques imaginées par le cerveau dérangé du Lapin.
-    Mes bébés, mes bébés ! Couine l’animal en bondissant d’un bassin à l’autre, caressant les parois de verre où flottent des horreurs toutes plus mauves, toutes plus chauvelues les unes que les autres.
Les souvenirs remontent à la surface. Les combats épiques à Pouldreuzic, Butch Lasagna, les tentacules de Cthululu le Dévoreur de Mondes, les imprécations du Saint-Prophète… et les légions de monstres amniotiques, produites dans ces laboratoires, qui venaient appuyer nos forces. Un bassin en particulier attire mon attention. Il est violet, contrairement aux autres, et parcouru d’arcs électriques, fait qui tranche dans cette ambiance monotone et presque religieuse. Derrière la vitre, j’aperçois ce qui semble être un visage humain… Oui, un visage familier. Je me rapproche encore, avant de m’écrier :
-    Butch ! C’est Butch !
-    Un clo… Un clone de Butch, Dégueulis, un clone, mais j’ai un scan de son cerveau, donc techniquement c’est bien Butch, sauf que je lui ai greffé une deuxième bite.
-    Butch ! Oh, par le Dieu Couillu !
-    Jackie Marie Joseph, Dégueulis, tu ne vas pas invoquer le Couillu ici ! Un peu de respect, tous mes bébés sont strictement produits par symbiose de cellules souches. Pas de reproduction sexuée dans mon labo ! Mais qu’est ce que tu fous ici ? Et où sommes-nous ?
Il se recroqueville dans un coin de la pièce et commence à se renifler le trou du cul. Pauvre Lapin, la tombée en décrépitude de la Zone (et probablement le trop plein de champignons) lui a porté un sacré coup. Je retourne vers le bassin où flotte le corps de Butch et commence à chercher le mécanisme de réveil, avant de m’apercevoir que nous ne sommes pas seuls.