La Rouge

Le 13/12/2021
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par HaiKulysse
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Thèmes / Débile / Disjoncte
Retour du fils prodigue (de Burroughs) sur la Zone. HaiKulysse s'est même fendu d'un résumé, des fois que les publicateurs aient des crampes aux doigts à force de jouer au bilboquet. Soyons grands princes et laissons-lui le micro : "Un mélange de La Ruche de Clacker, du film Inception, de la série d'Arte Anna (d'où la Rouge, la maladie qui décime les adultes), de notre actualité, de Las Vegas Parano de Thompson aussi, ce récit est à suivre. Il a été repris de nombreuses fois et l'expérience Oniris ne s'est pas montré concluante (mais ce n'est pas la même version) espérons que sur lazone.org il trouvera un meilleur sort..." Tiens donc.
Bien avant l’épidémie du Covid-19 (c’était donc bien dans un rêve emboité dans un autre rêve.)
Un silence mortel s’est installé d’un seul coup. Aucune octave. J’ai omis à Ariane qu’on allait devoir ratisser ce soir tout le quartier rouge. Il n’y a pas l’ombre d’un chien-lézard et les journalistes d’investigation se sont rués dans une arrière-salle où l’on sert de la bière verdâtre. Nous sommes devant la fresque d’une odalisque qui domine les rues louches de Mandeville, et cette odalisque semble nous promettre des rêves macabres pour cette nuit. Et en parlant de rêve, Cassandre affalée sur la banquette de la décapotable explique à Ariane, une jeune hybride, comment concevoir le propre labyrinthe de son rêve…
Les mastodontes nécrovores ne sont plus vraiment loin maintenant et tandis qu’Ariane accroupie pour déchiffrer l’odographe onirique de notre future virée, parmi les limousines qui osent encore se cacher dans la ville basse, je vois Cassandre dans le rétro, s’introduire dans ses narines dilatées une espèce survivante de krills. La drogue à la mode venant tout droit de la fabrique de Yussuf. Ni vu ni connu même si je suis supposé la protéger de ses démons, ainsi je vide le contenu d’une énième bouteille de bourbon dans le caniveau pendant qu’elle est occupée à renifler ces minuscules crevettes mutantes ; ma cliente, Ann X, une star ayant épousé le sulfureux magnat de l'immobilier, Parsifal Van Dyck aujourd’hui disparu, m’a confié la lourde tâche de surveiller leur adolescente. Mais le moins qu’on puisse dire, après toutes les conneries qu’il a commis, c’est qu’il n’est pas mort en odeur de sainteté.

Les drôles de crevettes mutantes commencent à croître rapidement dans le cerveau de Cassandre, et je dirais qu’un meurtre oedipien se prépare comme un bourdonnement déconcertant et je lui raconte que de la laine va lui pousser sur le dos quand nous remontons le Strip et avant qu’on puisse atteindre les anciennes boites à la mode de la ville (l’odyssée touche-t-elle déjà à sa fin ? D’autant plus que je viens d’entendre à la radio que des Hordes d’enfants sauvages, pour l'instant tous épargnés par un mal étrange, vont bientôt débarquer et je sais que l’un de ces journalistes spécialement venu de Karachi, appelons-le Z, ambitionne de les renvoyer dans leur pays) mais au moins je n’aurais plus besoin de ce gadget idiot, une toupie, pour me rappeler qu’on est dans mon rêve, et uniquement dans mon rêve.)
Déterminé à m’infiltrer dans cette fête, je sors de la bagnole ; nettement la lune se détache de cette nuit verte qui semble semer sournoisement l’idée délirante au sein de mon subconscient de rêveur, d’émasculer dans l’obscurité ces mouchards de flics que j’aperçois à travers les vitres cassées et les miroirs difformants du club, et ce ne sont pas les pleurs de leur veuve, sanglotant de chagrin dans la nuit, qui vont me donner une mauvaise conscience.

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Une autre décapotable m’attend. L’amnésie des rêves commence à empuantir ces jours sombres où nous sommes toujours en marche… Les murs des longs corridors tout aussi sombres du département neurologie, dont nous allons prendre congé, sont couverts de casiers, de panneaux d’affichage nous mentant comme des arracheurs de dent parce qu’ils affirment que seules les hybrides de chattes trempées avec trois fois rien sur le dos, sont résistantes au célèbre virus, la Rouge qui a tué tous les adultes, sauf Ariane, et plus étrangement Cassandre et moi. Nous avons fait un détour par l’hôpital pour le crâne tumescent de Cassandre mais il n’y a plus que des cadavres et de grandes poubelles toujours remplies de restes de repas bon marché qui entravent les couloirs, et à chaque fois qu’on voit passer un rat, pour les faire fuir et les rendre neurasthéniques, on reprend à plein poumon les tubes des vieux chanteurs de prosodie du siècle dernier se croyant malins à réciter de la pseudo poésie :
« On rêvait de ces oies sauvages qui engageaient le printemps sans nous opposer de résistance, ce qui nous donnait l’impression que nos âmes et nos corps enfermés à l’intérieur ne pouvaient faiblir face à la Rouge.
On rêvait aussi de grandes fenêtres ouvertes sur les mers septentrionales, Ô souvenirs résiduels alors que tout était déjà foutu !
Je glissais sans contrôle sur le rebord du monde outre-espace, et me consumais par trop d’associations oniriques, me fourvoyant sur la fin d’un périple d’emblée décousu et censé retrouver au milieu des ruines l’auteur responsable de la folle transformation de ce rêve en cauchemar… »

Pas possible de neutraliser les effets pervers des krills, trop de gamins, revenus à l’état sauvage, ont grandi ici sans parents, sans éducation et se livrent à des bastons féroces avec des droites en pleine face et des gauches manquées, nous foulons le pavé aussi rapidement que les rares montures des hybrides très recherchées parce qu’il paraitrait qu’un seul de leurs baisers permettrait de guérir ou d’être immunisé de la Rouge… et fébrilement, j’aperçois enfin qu’elle est déjà là, au coin de l’un de leurs nombreux squats, la nouvelle et belle caisse rouge, son moteur vrombissant.
Mais soudain, l’un d’eux, un gosse obèse que je devine aussi opiniâtre qu’ombrageux, intervient tandis que je démarre et il réussit à immobiliser le véhicule en s’étalant de tout son poids sur le capot, quand j’étais en train de faire crisser les pneus, pieds au plancher.

En parlementant jusqu’à très tard dans la soirée, on découvre qu’il s’amuse à récolter de vieux journaux décrivant dans le menu détail ce que les programmes scolaires devraient être selon l’ancien journaliste Z, qu’il envisage de saboter des montres mécaniques unidirectionnelles et qu’ainsi l’architecture chancelante de mon rêve (mais il ne le sait pas encore qu’on est dans mon rêve) s’écroulera lugubrement. Au petit matin, son jugement commençant à lui faire défaut, il nous laisse partir et nous retrouvons cette fois, non loin d’un sanctuaire inconnu, après avoir bien roulé, d’autres vagabonds ayant perdu très tôt leurs géniteurs. Tous encapuchonné, ils jouent aux osselets et semblent tout ignorer de la Brigade du Frelon traquant les junkies, de l’Inception dans mon nerf central et pourquoi, et de notre quête. Ils nous dévisagent à peine et regardent bêtement le crépuscule tombant sur les flèches gothiques du temple quand on leur pose des questions… celui-ci est entouré par des marais pullulant de moustiques qu’on ne voit qu’en Louisiane, alors que le brouillard est aussi de la partie (ce qui me fait penser que je dois être extrêmement vigilant car la jeune hybride risque de me fausser compagnie et de faire foirer ma mission en tant que tuteur.)