Les évangiles noirs de l'Hélicéenne

Le 02/02/2022
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par HaiKulysse
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Thèmes / Débile / Faux obscur
HaiKulysse précise que son texte "s'inspire du livre de Tristan Garcia, 7, de La Ruche et de la Rouge ainsi que de Lovecraft". Il est question d'une tuile translucide qui fait office de stupéfiant. Je me demande bien quel est le mode de consommation d'une drogue à base de tuiles, (faut-il appeler une entreprise de désamiantage avant utilisation ? Doit-on se la coller dans le baquet façon suppo ?). Il paraît qu'on aura droit à un épilogue (de quoi donc ?) pour la St-Con. Formidable. J'ai mal au crâne.
Le secret est une drogue puissante.

Ça faisait un bail que la théologie du Feu avait été entérinée. C’était un texte écrit peu avant l’événement annuel des zonards en 2016, et récidivé en 2017 mais je ne savais pas encore que ces victimes des bûchers allaient me conférer cette force exceptionnelle venant de ceux qui hantent les ténèbres, une robustesse déconcertante qu’on ne prête qu’aux inlassables démons, cette solidité à toute épreuve mais, en même temps, ce qui allait précipiter ma perte.
Même Burroughs avait rôti et je pensais être content d’en être débarrassé. Mais ce que j’ignorais aussi, c’est que la prochaine crémation allait surpasser toutes les espérances les plus machiavéliques et succédait toujours aux flottements hagards, aux confusions les plus troubles comme celle-ci :

Je ne sais comment ni par quel moyen, mais je me trouvais maintenant assis à mon bureau ; des arcs-en-ciel crachaient au petit matin des mollards et des sobriquets dans la chambre d’à côté, sa piaule d’ado constellée de posters. Ce qui n’était pas pareil avec Bill.
Une cigarette se consumant dans le cendrier, un verre de rhum à moitié vide dans ma main, et silencieuse comme Cassandre, sur la table, une enveloppe pleine de photos floues, en noir et blanc où l’on devinait vaguement une scène classée X. Malgré cet état d’abattement, je pris le temps de dissimuler la télécommande qui déclenchait le mécanisme de ma machine à écrire. De là, avait giclé une feuille où l’on pouvait lire :
« Les forces spirituelles guident nos pas, nous franchirons tous un jour l’espace reliant l’existence aux ténèbres, nous n’aurons plus besoin de mains ni de jambes ni de cœurs qui battent, j’entends le cormoran des limbes appeler mon nom… On dit qu’un roi perd son royaume quand il perd la vue… »
L’interprétation dominante de ces ultimes phrases frénétiques demeure l’imagination excessive et la névrose maladive de Mokrane Kaphrium, aggravées par sa connaissance du maléfique culte disparu dont il avait découvert de si étonnants vestiges. Et Cassandre aura beau dire qu’il n’y a pas de préciosité littéraire dans son texte ésotérique, nous la tenons responsable de la folie soudaine de Mokrane, des obsessions maladives, des suspicions plus ou moins mystiques de l’écrivain journaliste.

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À cette époque, il n’était pas rare qu’une famille nucléaire de type père-mère-enfants regarde ensemble, au même moment, une émission de télévision.
Mokrane Kaphrium n’avait que dix ans, il était allongé sur le ventre par terre sur le tapis du salon, à côté de son chien Raspoutine et le film qui commençait s’inspirait de cette série de meurtres dans sa ville à Mandeville, et qui avait défrayé la chronique.
Il avait les coudes repliés et la tête dans les mains, la meilleure position qui ait jamais été inventée pour regarder la télévision. Le tueur portait le masque de Ghostface et les plans qui se succédaient en montrant des meurtres sanglants, tous plus barbares les uns que les autres, découpaient dans l’obscurité du salon, où il y avait seulement la lumière de l’écran, des aplats prophétiques de masques mortuaires sur leurs visages.

Un observateur attentif aurait peut-être remarqué la silhouette d’un homme embusqué, qu’il se cachait là-bas, à l’intersection des deux rues voisines, entre les poubelles. Le sang allait couler. L’assassin en avait à revendre des pensées étranges et sordides, le projecteur blanc des plateaux télés l’illuminerait. Il y avait cependant une cabine téléphonique mais elle était trop mal située pour y faire attention… On aurait eu toutes les peines du monde de toute façon pour déplacer ce tas de vieux appareils électroniques et ces carcasses de modems qui gênaient son entrée.
Un coup d’œil en revanche du côté du trottoir d’en face, là où la Dodge d’un journaliste d’investigation était garée, l’aurait convaincu de renoncer à son entreprise macabre.

Le poète des gouffres amers s’était surpassé pour échafauder son plan…

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C’était un dimanche après-midi, vingt ans plus tard, mais il se souvenait de tout. La tuerie dont il était l’unique survivant. La grande famille des macchabées victimes de Ghostface s’étaient encore agrandi. Le film d’horreur avait inspiré un (ou des) serial killer sévissant dans le quartier rouge.
Des tréteaux avaient été dressés sur la pelouse de son campus depuis déjà quelques mois.
Il allait bientôt monter sur scène et jouer un drame contemporain que ses parents, s’ils étaient encore vivants, auraient probablement regretté d’avoir assisté… Il se rappelait comment on les avait retrouvés dans une décharge sauvage, en position fœtale, les cadavres de son père et de sa mère dont le squelette semblait étrangement imbriqué l’un à l’autre. Entrelacés ainsi, ils côtoyaient un bazar ahurissant de gravats, de vieux sacs en jute, certains suffisamment émergés pour qu’on puisse voir un mélange délirant de poupées aux yeux mi-clos ou arrachés et de victuailles pourrissantes de fast-food que les corbeaux s’arrangeaient à faire disparaître. Et les amants qui ne pouvaient plus vraiment se déchirer le cœur sous le pâle soleil du matin suivant la nuit du crime, jour où débutait l’enquête et la découverte des corps, défiaient fièrement les éléments comme ce vent charriant des tonnes de poussière.

D’autres choses culminaient du tas d’immondices, qui n’avaient pas été jugé bon de noter et qu’on avait méprisé et oublié au dépend de l’enquête, comme ces fringues sales et trouées - d’anciens costumes ayant été porté, ainsi concluait à tort la police scientifique, par des comédiens car on se refusait à croire que le tueur portait bel et bien cette longue cape noire et ce masque de Ghostface, identiques pourtant à ceux qu’on voyait dans Scream. C’était ridicule et invraisemblable selon eux. Ils n’étaient pas souvent allés au cinéma.
Il y avait aussi deux chaises longues à l'abandon, un peu plus loin où l’herbe avait poussé, que les fantômes des amants avaient sûrement délaissé pour admirer leur ultime coucher de soleil. Des paons lourds de peine et d’une blancheur laiteuse surprenante se frayaient un chemin parmi ces ruines.


Dans les décombres, avant l’arrivée des flics, des pillards - une meute de mendiants acculés par la faim - avaient remarqué quelque chose qui brillait faiblement… on pourrait gloser éternellement pour savoir d’où provenait cette tuile translucide qui émettait un sage rayonnement blanc, fantasmer sur ses vertus et propriétés alchimiques en tant que drogue de jouvence, les clochards s’en foutaient comme de la scène effrayante qu’ils avaient sous les yeux, mais ils pensaient quand même avoir gagné leur journée en la gardant avec eux, cette tuile translucide, sans jamais en parler aux autorités.
Ils ignoraient que son commerce avait gangrené cette époque aussi imaginaire que trouble, et surtout très lointaine, de la Louisiane où Mandeville peinait à bâtir ses premières fondations ; du reste les rares historiens qui connaissaient son existence ne l’attribuaient pourtant qu’à une légende : l’Hélicéenne, cette drogue qui avait prodigieusement infiltré toutes les strates de la société, avant de disparaître mystérieusement.