Légendes urbaines

Le 21/07/2022
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par HaiKulysse, iThaque
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Thèmes / Obscur / Fantastique
Une histoire avec un début, un milieu, une fin, le tout lié par une cohérence tellement acceptable que j'en suis perplexe. HaiKulysse aurait-il abandonné Burroughs sur le bord de la route et fait rédiger cette nouvelle à base de légende urbaine par sa petite nièce ? (ce qui n'excuse pas la braguette restée ouverte la moitié du texte, propre à choquer nos plus jeunes et innocents lecteurs) Pour le message complémentaire de l'auteur, voir son commentaire sur son précédent texte "À la gloire des éventreurs"
Je me regardais dans la glace et je ne voyais que du vide. Même le dentifrice avait un goût de mazout ce matin. Et toujours une douleur lancinante. Au crâne, au ventre etc. Elle était pugnace et capitulait seulement quelques heures, quand j’étais gavé de médocs. Puis la fameuse nuit où je devais prendre la voiture arriva, sans pour autant me rassurer ni m’apaiser ; à ce stade j’avais déjà compris qu’Elle ne me lâcherait pas de sitôt. Son pouvoir inexorable semblait se réveiller à minuit pile, précisément quand je démarrais le moteur de la Dodge.
De nombreux sacs avaient été entassé dans le garage, contenant des têtes, des bras de mannequins désarticulés, plus proche d’un état cadavérique qu’ils ne l’auraient dû l’être, et il y avait aussi un mélange de poupées aux yeux mi-clos ou arrachés et de nombreux ours en peluche tous dépeluchés et aux couleurs déjà bien passées ; je les avais empilés là, un peu partout, entre les barils d’essence à calciner des tas de villages paumés et mes vinyles et mes disques qui n’endommageaient pas seulement les voies auditives de mes voisins les plus lointains.

Mais ces derniers temps, je m’étais fait discret, restant cloîtré dans la maison pendant une quinzaine de jours, silencieux et malade comme un chien depuis Son évasion d’un asile d’aliéné ; ah je la revois cette pucelle qu’on aurait pu croire d’Orléans, sous des pluies d’acides que je croyais providentielles à l’époque, et on racontait qu’elle-même avait été conçue dans une taule qui accumulait des histoires n’ayant rien à envier aux légendes du nord de l’Écosse…

Je fixais la route, en sueur, et je croyais voir à la place des lignes blanches et du paysage classiquement assez verdoyant en cette période de l’année, de mauresques sentiers et de macabres steppes ; on n’avait vraiment pas besoin de ce rajout stylistique façon orientaliste pour attiser mon angoisse paranoïaque mais je devais avoir de la fièvre.

Après avoir roulé une cinquantaine de kilomètres, je sortis de mon véhicule pour pisser dans les fougères du ravin d’en face, il pouvait à peu près être une heure ou deux heures du matin et je n’avais toujours pas trouvé âme qui vive quand j’entendis des profondeurs d’une forêt qu’Elle devait hanter, Sa sinistre complainte… mon cœur se mit à palpiter au point qu’un peu plus et il aurait explosé. Je devais retourner dans la bagnole mais en courant précipitamment sans fermer ma braguette dans sa direction je m’aperçus qu’elle avait disparue et je ne voyais que le faisceau lumineux d’une lampe de poche s’approcher vers moi et m’éblouir, qu’est-ce que c’était ce truc ?

Elle avait révisé ses classiques en visionnant tous les films de Scream, la Dame Blanche, et les avait analysés comme des œuvres d’art un peu nietzschéennes ; je lui avais déjà dit jadis que les Penseurs sont souvent les plus fourbes, et pour éviter son apparition au milieu de la nuit j’aurais payé cher pour être ailleurs et quelqu’un d’autre, même me retrouver dans un hôpital où ça sentait la merde et le vomi et en soin palliatif aurait été idéal.

Elle éteignit la lampe de poche, à présent seulement éclairée par les lueurs de la lune et m’ordonna de la suivre avec sa voix d’outre-tombe. Je n’avais pas bien le choix alors on s’enfonça dans les bois, elle marchait vite, hystérique et poussant des cris funèbres jusqu’à ce qu’elle me montre une mare sinistre. Au fond de l’eau qui croupissait, des corps tous enchevêtrées entre eux s’étaient précipités (ou qu’on avait précipité, sûrement pour les noyer.)

Elle devait les garder sous le coude avant de les cannibaliser sans doute mais seuls les arbres de ce lieu maléfique et leurs ombres qui nous surplombaient connaissaient son secret. Soudain elle plongea dans la mare et j’en profitais pour déguerpir, je me perdis longtemps dans un labyrinthe végétal, les branches et les branchages déchirant mes vêtements et finis par retrouver la carcasse de la caisse qui avait pris feu, son capot ouvert fumant dans la brume ; mais enfin j’avais retrouvé la départementale. C’était déjà un point de départ…