Stockholmomanie

Le 26/07/2022
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par Charogne
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Dossiers / Marié(e) de force à Dourak Smerdiakov
La chère et tendre grognasse se prénomme Sabrinna, se réveille attachée dans une cave face à l'abruti décati en -kov et se révèle beaucoup trop rapidement emballadée par la situation. Charogne ne semble pas avoir très bien saisi le concept du mariage forcé.
Moi c'est Sabrinna. Avec deux n. Généralement, le matin, je me réveille avec un beau jeune désespéré ou un vieux riche plein d'espoirs dans mon lit à mes côtés. Sauf que là, je ne sais pas si on est le matin, je me suis réveillée attachée dans une cave, et je me retrouve en face d'un vieux à l'air particulièrement pauvre et désespéré (mais sacrément bien conservé, il faut le dire).
La dernière chose dont je me rappelle, c'est que j'arpentais les bar à la recherche d'une nouvelle proie, quand... j'ai entendu cette voix si particulière clamer des obscénités dans une langue du moyen-âge, ou quelque chose comme ça. Je crois m'être dirigé vers la voix ; puis après, plus rien. Sauf que maintenant, je me retrouve dans cette cave. Liée par les chevilles et les poignées, en croix, impuissante et toute à lui... mais pourtant encore habillée. Il n'a même pas profité de moi ? Et lui... il est assoupi, sur une chaise en face de moi. C'est un bien piètre kidnappeur, j'en ai presque de la peine pour lui.
- Oh, non ! Je suis sans défense, et cette cave est si bien isolée ! Si il devait m'arriver quelque chose ! Monsieur, je vous en prie, je ne dirais rien à personne...
Il semble remuer un peu sur sa chaise, avant de relever la tête. Je n'arrive pas à déterminer son âge, mais les rides creusées par la fatigue lui donnent au moins vingt ans de plus. Ses traits lui donnent un air russe, et ses sourcils forment un arc très prononcés, comme si il les avait tellement froncés qu'ils étaient restés bloqués dans cette position. Après avoir grommelé un peu, il se lève en prenant appui sur la chaise. Ses yeux semblent dire que lui non plus ne se rappelle pas de ce qu'il s'est passé.
- Attendez, je répète. Oh, non ! Je suis sans-
- Condamne ta gueule ou je te fais occire, pute.
Au moins, il a la décence de m'insulter. Ça veut dire quoi occire ?
- Maintenant tu l'ouvres plus. Sinon, je vais m'énerver, et tu as vraiment pas envie que ça arrive. Laisse moi travailler.
J’acquiesce simplement. Je vais jouer le jeu un peu, et voir jusqu'où il compte aller. En observant la cave, maintenant que ma vue s'est habituée à la pénombre, je remarque que cet endroit n'est pas tout à fait vide. Dans un coin, il y a un vieux bureau sur lequel sont posés un ordinateur tournant certainement sur Windows XP tant il semble vieux, et ayant pour clavier une machine à écrire. Il s'installe sur la chaise de jardin qui lui sert de fauteuil, et commence à pianoter sur l'engin tandis que la lumière de l'écran éclaire sa face blafarde. En tendant l'oreille, je peux percevoir quelques mots par dessus le bruit des ventilateurs. « La Zone. Twitter. Wattpad. Twitch. Copains d'Avant. » Je réalise alors la nature de mon kidnappeur.
- Oh, mais vous êtes un nerd ! Non, mieux : un hacker russe ! Oh, je peux avoir un autographe ?
La chaise en plastique vient voler près de mon visage pour s'écraser sur le mur derrière moi. Il est debout, me faisant face, soufflant bruyamment de colère. Il va peut-être me molester ?
- Je t'ai ordonné de la boucler, chienne.
Il ramasse alors la chaise pour la poser en face de moi, et met un pied dessus. L'un de ses bras est derrière son dos, l'autre est tendu vers le plafond dans un élan dramatique. Les pans de sa chemise entrouverte traînent lamentablement sur son pantalon, remuant légèrement, mus par un souffle épique. Puis, il chanta.

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Son chant fit chavirer mon cœur. Jamais une telle langue bouffie, une haleine aux relents alcoolisés, les cernes noires et le visage sale de sueur d'un ivrogne ne m'avaient autant touchés. Je remarque que mes chaînes sont plus lâches qu'auparavant ; sa ballade fut si puissante qu'elle en avait brisé mes liens... Ô ces liens qui enchaînaient mon âme malade ! Mais désormais, je suis libérée. Je me jette sans retenue vers l'artiste devant moi. Un poète maudit, sans aucun doute.
- Oh, mon amour ! Quel est ton nom ?
Me repoussant, un sourire satisfait éclaire son visage. Ça ne lui va pas, je préfère quand il est énervé.
- Dourak Smerdiakov. Mais pour toi, ce sera « Admin ».
- Oh, Dourak ! Marrions-nous !
- Hors de question. J'ai déjà juré fidélité à un cano-lagomorphe. Une erreur de jeunesse. Mais tu peux servir de défouloir si ça t'amuse. Tel Flaubert, je gueulerais contre toi mes sonnets, mes rondeaux et mes tweets expérimentaux. Tu ne pourras pas échapper à mon emprise.
- Oh, je le veux !
D'un coup, il brisa une bouteille qui traînait par terre de son talon, et attrapa du bout du doigt le goulot pour me l'enfiler à l'auriculaire (Quelle révolution ! Quelle contestation des normes ! Quelle controverse!), faisant ainsi de moi sa muse.
Je suis mariée de force à Dourak Smerdiakov, et c'est le plus beau jour de ma vie.