Notre C.E. présente de nombreux avantages

Le 10/08/2022
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par La Cause
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Thèmes / Obscur / Autres
La Cause débarque et nous menace d'éventuellement faire une suite à ce premier texte si on le fait trop chier. On rentre direct dans le feu de l'action sans rien capter, on fait référence à des personnages et des entreprises qu'on ne nous a pas présentés, y a des bouts de dialogue qui s'enculent dans des bouts de narration, on comprend rien, enfin en gros il faut être de bonne humeur pour lire ça. On est payés le combientième du mois, en tant que lecteur, ici ? Après, bon, les tenants et les aboutissants d'extirpent de ce merdier, et ça passe. Body-horror bizarroïde à la Cogip.
"- C'est Claude qui avait la lampe bordel il a insisté merde moi j'étais juste là etje voyais rien putain bien sûr que je voyais rien mais croyez-moi je vous en prie merde quoi enfin pourquoi je ferais une chose pareille, pourquoi je m'en prendrais à Claude ? Mon Dieu mon Dieu, Seigneur, je n'ai rien fait rien je vous en supplie croyez-moi"
Philippe haletait. C'est une chose que d'être innocent dans ce monde-ci, ça oui. C'est précieux. Moi je peux rien faire, sauf protéger l'intérêt des autres, et puis le mien, aussi. Les derniers Maîtres ont plié bagages ce matin. Le pire est évité, reste un cadavre, ineffable - allongé ? En position fœtale ? Où est la tête ? Là encore ? - et un ouvrier qui devra sauver sa vie, du moins essayer, devant les Cinq. Ouvrier qui, je le savais pourtant pertinemment, certes, l'était absolument innocent. Un agneau, rien de plus. Il faut un coupable. Nous avons besoin d'un coupable.

Nous avons besoin d'un coupable ou plutôt, nous avons besoin que l'Entreprise soit dédouanée de toute implication ; parce que de toute façon, c'est indéniable, elle est innocente. Et quand bien même, elle demeure innocentée par nature. Non, Philippe, elle est innocente, je te l'assure. Ne le penses-tu pas ? Ne crois-tu donc pas en sa perfection, immaculée, elle qui était là avant même le Mal du siècle ?

Je sais que c'est dur, mais je sais que tu comprends aussi. T'imagines si on laissait la femme de tout-le-monde porter plainte à chaque fusion-fuyante ? On s'en sortirait plus et ce serait le chômage pour tout le monde, le chômage et l'opprobre et la fin, de fait, de l'existence.

Puis, qu'est-ce tu foutais là en fait ? Bordel, arrête de pleurparler en même temps que moi. J'essaie de t'expliquer que C'EST QUAND MÊME BIZARRE, TU NE TROUVES PAS ? TU NE TROUVES PAS ?
Cynthia ira bien, je te le promet, mais il faut que tu partes au Siège, oui, bien sûr le 14, depuis quand es-tu ici déjà ? Vraiment y'a pas d'autres solutions, non, et je te jure, je te jure que tu resteras sur l'organigramme, Philippe, bordel veux-tu bien te calmer ?

Le bougre était vaincu, vaincu. La Jaunegarde entrait dans le bureau, sans frapper, à pas de loup. Les deux agents menottèrent Philippe, qui écumait, les jeux révulsés.

Une grande famille. Nous sommes une grande famille. Philippe nous a déçus, mais nous enverrons une petite cagnotte à sa famille - l'autre, la fausse, celle qu'il s'est choisi. Mais ne disait-on pas, dans les temps anciens, "On ne choisit pas sa famille" ?

Ça ne recouvrira pas les frais engagés pour la mise-en-casse probable - inévitable - mais Cynthia pourra au moins s'offrir un petit lot de compensation. Tout ceci est déjà réglé. Il chiale. Il chiale beaucoup et mal. Un grand gaillard comme ça. Ça chiale et ça s'excuse et ça n'y est jamais pour rien - il n'y est pour rien; je suis fatigué ce soir, fatigué, fatigué - puis un jour on le retrouve avec un tas de chair et de graisse et d'os fondus dans une brouette-à-dépots, et ce tas de chair et de graisse et d'os fondus, c'était Claude y a quelques heures encore.

Tous les gars se sont relayés pour aller voir le "corps". Personne n'a reconnu notre mécapticien, y'avait des poils pas brulés mais qui avaient durci, s'étaient enferraillés, y'avait des habits confondus dans les organes, une boucle de ceinture suintante et qui palpitait sous un amas de boyaux et de câbles, et certains organes s'étaient tout simplement barrés - j'ai repensé à la fois où le poumon de Klaff s'était changé en étourneau et avait fuit l'atelier par le sas-à-remises - ou avaient juste été désintégrés. Les yeux étaient ouverts mais multipliés. Les mains étaient crispées mais chaque doigt était retourné. Les côtes avaient perforé le corps et le corps avait perforé la matière - la grande Jaune du Liban. Les jambes... Ou étaient-ce finalement les bras ? Ou autre chose ? Les jambes, admettons-le, s'étaient solidarisées avec des débris, autant de morceaux de planches et de métal rouillé et de déchets et de cadavres de petits rongeurs. Rien n'était vraiment reconnaissable dans ce cadavre et pourtant, et paradoxalement, on reconnaissait cet homme entre tous.

Dix ans de cet emploi avaient transformé la bête humaine que j'étais - et toutes ses vicissitudes - en parfaite machine à administrer. Administrer. Administrer et trier et élaguer les éléments inadaptés ou trop usés, ou trop défaits, ou trop vaincus, comme autant de peaux mortes. Je n'avais qu'à peine entamé l'Ascension; mes tempes étaient encore jeunes, mes yeux, toujours visibles. Seules mes mains avaient subi la Départure. Et encore, ce n'était pas total : j'avais comme tout un chacun mes ergos, encore bien placés, et mes sept doigts.

Les couloirs successifs, les portes et les badges et les sas de décontamination et les Nefs et leurs prieurs, et les salles qui avancent sous mes pas - ou peut-être est-ce moi qui défile au-dessus d'elles ? - et les authentifications, les sécurités et les verrous. Je fermais les yeux pendant cette heure de traversée, chaque jour et chaque nuit ; je n'avais plus besoin de ce sens, la vue, plus besoin de prouver quoi que ce soit : je gagnais mon bureau sans lumière voir et ainsi, je restais à peu près isolé du Mal du siècle.