Le cœur brisé de Jack

Le 20/04/2023
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par HaiKulysse
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Thèmes / Saint-Con / 2023
HaiKulysse participe à la Saint Con 2023 avec ce texte qui pour une fois semblerait presque ne pas être du cut up. Il ajoute en message complémentaire crypté : "...assez de matière pour le prochain chapitre, le récit qui viendra après les temps de flambée, s'inspirera du livre de Tristan Garcia, 7, de La Ruche et de la Rouge ainsi que des références à Lovecraft." Est-ce vraiment important de comprendre ?
« Apprendre à regarder et reposer sur un serpent sans fin, cracher sur les crânes de grès noir et préparer un nouveau cycle de vie. Ne plus craindre l’heure du réveil, et émerger du nombril de Dostoïevski. »
1.    Il prit le scalpel, la scie et l’écarteur dans le tiroir où, dans son enfance, il voyait déjà son père les ranger, et se mit au travail. Après avoir ouvert, il saisit l’écarteur, le mit en place, le bloqua. Dirigea sa lampe. Éprouva alors sa seconde terreur de la soirée, plus violente que la première, car le cœur du cadavre était aussi noir que si on l’avait fait rôtir à la broche. Parnell se demanda pendant un instant si la foudre avait pu tomber sur cet homme, pénétrer en lui, traverser le cœur comme une flèche, sans rien brûler d’autre, sans laisser aucune trace que ce trait de feu. Sans vraiment réfléchir, il préleva rapidement un mince fragment sur l’un des côtés du cœur, le dissimula de l’autre côté entre le bras et la cage thoracique. Il s’arrêta un instant, regarda la femme. Elle examinait l’intérieur de la poitrine du mort.
-    Une racine brûlée, on dirait, dit-elle.
-    Ouvrez votre bocal.
Il avait retrouvé un détachement professionnel. Se sentait envahi de nouveau par un calme absolu, comme si, en acceptant de se soumettre à la mystérieuse exigence de cette femme, il découvrait sans le savoir la clé d’un grand nombre d’énigmes.
-    Maintenant, vous devriez détournez les yeux. Vous aurez largement le temps, je pense, de regarder ce que je vais y mettre quand vous serez rentrée chez vous.



2.
Le bocal était sur la commode. Pour gaspiller inutilement l’énergie qui lui restait, le cœur brisé de Jack battait encore à l’intérieur. Au-dessus de la commode, la tapisserie semblait devenir moite comme si l’organe par ses effluves et son halo mystérieux détruisait l’univers qui l’entourait. Dans le bocal, une flaque de sang grenade gisait mais Birdie ne s’en insurgeait pas ; au contraire, elle semblait aimer l’idée que l’enfermement glauque du cœur de Jack était du même bois que le mal des anguilles... Et des serpents noirs commençaient à lentement se matérialiser… Cependant, pour l’instant, Birdie ne les voyait pas et marchandait des œuvres d’art au téléphone comme c’était son métier. Elle parlait de cette peinture « Le Serment du Jeu de paume » avec désinvolture, mais son contact restait de marbre face à ses explications hasardeuses. Quand elle eut fini de téléphoner, le cœur brisé et informe de Jack croupissait encore mais il ne mettrait pas longtemps à perturber le psychisme de Birdie. D’abord elle eut des symptômes physiques, comme la nausée, puis des pensées comme celles que sa vie était une série d’échecs, s’immiscèrent dans son cerveau, la persécutant. Elle prit une bouteille de vodka et vomit ensuite tout le contenu assez rapidement.
Elle allait devenir la prochaine victime de Jack : après bien des tortures dignes des enfers, elle ouvrit la fenêtre de son douzième étage, regarda une dernière fois cette gravure d’Hugo Pratt, puis plongea dans le vide et atterrît sur le béton marbré du Streap. Le cœur brisé de Jack pouvait se rendormir, Birdie avait réussi à se défenestrer, ce n’était pas la première fois qu’il rendait fou son propriétaire.
Qui était Jack ? Il y avait bien longtemps cet estropié traînait dans les hôpitaux psychiatriques, même s’il n’était pas hospitalisé, il dealait aux âmes tourmentées de la cocaïne et faisait de juteuses affaires. Mais il était souvent angoissé, et c’est là que commençait la légende ; il écrivait lors de ses angoisses des choses énigmatiques qui ne seraient même pas posthumes. Et quand il faisait tourner un café bien noir avant d’écrire la nuit, les muses sacrées daignaient le visiter. Une nuit bien obscure, un de ses clients, par vengeance, le kidnappa et une fois qu’il ne restait plus qu’une carcasse de Jack, le maniaco-dépressif l’aligna sur des bûches, l’aspergea d’essence et craqua quelques allumettes, la combustion débuta et on ne pourrait plus jamais l’éteindre.

3. Le feu pétillait, Parnell avait jeté quelques bûches pour l’alimenter. Le sol était jonché de copeaux de bois. Ça ne mettrait pas longtemps à prendre, même la forêt brûlerait. Le cœur brisé de Jack, lascif à présent, deviendrait du charbon et quand il s’enflammerait, la combustion ferait naître l’extase tant attendue. L’ardent mercure montait graduellement ; dans le brouillard, Parnell cherchait encore quelques références de Lovecraft pour l’aider à se requinquer…