Une odeur de chaud

Le 30/05/2023
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par Cerumen
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Thèmes / Saint-Con / 2023
Participation de Cerumen à la Saint Con 2023 dans un esprit guilleret cool et décontracté et bien littéraire n'empêche. Plein de blagues en folie en veux tu en voilà dans cette conjonction astrale lourdement documentée ici présentée dans les vies croisées d'un certain JB et d'un certain Pierre (suivez la trace blanche). Voici un autre candidat sérieux pour le titre de Grand Inquisiteur de l'Ordre.
Parfois, un geste anodin peut être lourd de conséquences... Entendons-nous bien : je parle de petits riens, de gestes innocents accomplis par de non moins innocentes créatures, gens ordinaires comme laissés pour compte, élites branchées comme campagnards bêtas, zonards, paumés, sodomites - tous, rejetons candides d'une société ne l'étant pas moins...

Quelques exemples : un couple déterminé à griller ses chipos à la belle étoile, au beau milieu d'une forêt de pins ; un berger corse inconnu, s'amusant négligemment avec son Zippo, au fin fond du maquis ; un moine tibétain armé d'un jerrican de Sans-plomb 95, désireux de protester contre la hausse du prix du beurre de yack ; un champion du stand-up, plus défoncé qu'un terrain de manoeuvres, engagé dans une course poursuite avec la police, roulant à tombeau ouvert, dans une Porsche 924 Carrera GT "Sacha Distel", au réservoir crevé ; un handicapé psychique, balançant son mégot dans une flaque d'essence...

Stop ! Arrêtons-nous sur ce dernier exemple. Il est naturel que ce geste n'obligera pas un Canadair à faire provision d'eau, le long d'un littoral touristique de l'Île de Beauté. Normal : on est en ville, en banlieue, certes, mais de la capitale. Autre évidence : pas de danger de ravager plusieurs hectares de forêt, pour la même raison. Mais attention, considérons tout de même le fait avec précautions... La flaque de carburant en question provient d'une voiture, laquelle n'est pas restée sur place, le conducteur ne s'est pas aperçu de la traînée inflammable qu'il laissait derrière lui, et ignore que dans quelques instants, sa vie va basculer...

... De façon...

... Pour le moins...

... RADICALE.

Vous en conviendrez, la situation est critique. Les dés sont jetés.

C'est vrai. Mais profitons de ce faible répit, avant que ce malchanceux conducteur ne s'enflamme pour de bon, et non pour le corps de jeunes éphèbes à peine pubères, comme à son habitude, pour voir quelles ont été les circonstances l'ayant mené à cette tragique situation :
Pierre s'amusait comme un petit fou. Cette teuf improvisée - et le public français savait combien il adorait improviser - chez Thierry Ardicon, le célèbre animateur de talk-shows, réunissait tout ce qu'il appréciait, coke a gogo, jeunes garçons aux culs n'attendant qu'il s'y enfonce, trash metal signé Fecallica, cocktails capiteux rehaussés au Super SansPlomb (une recette guyanaise typique), bref, le panard total. Pour résumer : ça planait sec.

Soudain, Pierre vit le plafond s'ouvrir, une vive lumière l'auréola tandis qu'une voix impérieuse lui reprocha d'abuser des lignes de blanche qu'il s'envoyait dans l'appendice nasal. À quoi il répondit : "Seigneur ! Ce ne sont quelques traces...". "Des traces, oui, mais des tracas, aussi !" rétorqua la voix.

La soirée n'allait pas tarder à dégénérer en orgie, pour le plus grand plaisir des participants. Signe annonciateur de la partouze à venir ? Le smartphone de Pierre vibra. C'était Omar, son copain creusois, un afro qui adorait se faire remplir... des deux côtés : "Ben dis-donc, ben tu viens plus aux soirées ?

- Je peux pas, je suis sur Paname !" répondit Pierre.

- "Ouh ben tu sais, t'as manqué, hier on a fait une soirée Assainissement des Conduits de la Copro, c'est moi qui faisait la cheminée, je me suis fait RA-MO-NER ! Ouh la la, dis-donc !"

Il n'en fallait pas plus pour donner à Pierre le top-départ. Retirant son pantalon, il attrapa le premier sosie de Steevy Boulay passant à sa portée et lui fourra sa langue dans la bouche, ses mains descendant, lascivement, vers la braguette...

Jetons un voile pudique sur cette scène d'une débauche rare. Nous retrouvons notre héro le lendemain matin, allongé sur le sol - poisseux du sang d'un caniche abricot, explosé, pourtant entouré de chatterton. Dans les vapes, Pierre se releva, tout en se grattant les précieuses, comme chaque mâle de l'univers.

Vint la sempiternelle formule matinale du fêtard, émergeant du sommeil après une nuit bien remplie : "Mais ?!... Mais qu'est-ce-que j'ai fait hier soir ?!?"

Vite, il lui fallait réagir, se reprendre, avec un petit déjeuner roboratif : un pétard, une ligne de coke, un verre de cognac pour faire passer le tout.

Merde, plus de clopes ; détour au tabac du coin. Le Narval avait tout du débit de tabac traditionnel, du moins de l'extérieur. Dedans, il ressemblait plutôt à une caricature de coffee-shop néerlandais, plantes vertes, ambiance feutrée, miroirs, éclairage tamisé, franchement, pour accueillir une malheureuse poignée d'amateurs de CBD, on se dit que les propriétaires du rade en ont fait un peu trop... au fait, est-on sûr qu'il s'agit bien de cannabis thérapeutique ? Comment faire la différence avec la version classique, vendue dans la rue, à la sauvette ? En tout cas, pour Pierre, l'endroit respirait l'honnêteté.

Avisant l'employé chinois au comptoir, notre Pierre se fendit d'une petite boutade : "Un Camel 20, un menu C, avec un numéro 23 et un 48 ! Ah-Ah-Ah !"

La température ambiante chuta de plusieurs degrés. De derrière le comptoir surgirent quatre silhouettes. À bien y regarder, toutes avaient les yeux bridés. Les effets de la cocaïne s'estompant, Pierre commenca à s'inquiéter, et lança, dans l'espoir de ramener un peu de chaleur dans les regards froids dardés sur sa personne, un "Mince, vous êtes pas à prendre avec des baguettes, aujourd'hui !".

Combien de temps s'est-il écoulé ? Toujours est-il que Pierre se réveilla dans le caniveau, saignant du nez, le corps meurtri et l'oeil tuméfié : le sens de l'humour des chinois avait ses limites.

Quittons Pierre quelques instants, laissons le se remettre de ses émotions, et intéressons-nous au cas du jeune Jean-Baptiste, psychotique chronique :

Âgé d'à peine 29 ans, Jean-Baptiste, alias JB, a terminé depuis trois mois déjà une évaluation professionnelle, qui l'orienta vers le travail en milieu ordinaire. Fort d'avoir obtenu sa première année de DEUG informatique, il s'apprête à commencer son premier emploi, un CDI, payé quatre mille euros par mois, avec des stocks options, un bureau au dernier étage d'une tour de verre et d'acier, dominant la ville, ainsi qu'une armée de secrétaires, prêtes à exaucer ses moindres désirs.

Du moins, le croit-il.

Force est de constater que cette première embauche, suggérée par sa curatrice, n'atteint pas les sommets auxquel il s'imaginait accéder, mais il garde confiance, ce n'est qu'une question de minutes, ses supérieurs hiérarchiques vont s'apercevoir combien JB est une perle rare, un collaborateur essentiel à la bonne marche de l'entreprise.

'Technicien de surface' !! Rien qu'à ces mots, le jeune JB était tout émoustillé. Croisant un autre salarié de la boîte, probablement un subalterne, il expliqua la situation, d'un air hautain et autoritaire, et lui demanda de lui indiquer où se trouvait son bureau. Avec une servitude extrème, celui-ci lui indiqua une porte, qu'il ouvrit, laissant JB y entrer... et la referma brutalement. Il s'agissait du placard à balais. JB put ainsi faire connaissance avec ses outils de travail : seaux, serpillières, chiffons. Croyant à une méprise, il voulu sortir, mais il dut se rendre à l'évidence : il était bel et bien enfermé.

Nous retrouvons Pierre, au volant de sa Porsche, un buzz au bec, un autre sosie de Steevy Boulay sur le siège passager - à moins que ce ne fut le même - en train de lui faire une gâterie. Quelle heure était-il ? Combien de traces s'était-il envoyé depuis ce matin ? Pierre évoluait dans une brume sensorielle, les couleurs étaient trop vives, les sons évoquaient Garou, chantant la tête dans un seau. Ou alors, comme dans un jeu vidéo.

Avisant des Hare Krishna défilant, dans la rue, à la queue leu leu, Pierre fit un écart pour les écraser. La Porsche fit deux embardées, passant sur les corps des Krishna, lequels endommagèrent légèrement la transmission du bolide, et son réservoir, de façon plus durable. Les mots "Bonus Fou du Volant !" dansèrent quelques secondes devant les yeux de Pierre, et le nombre de ses points d'xp, dans le coin supérieur droit de son champ de vision, augmentèrent en conséquence.

S'arrêtant aux abords d'un square, fréquenté par des mères de famille et leur progéniture, il urina un instant sur un cheval à bascule, sur lequel était assise une fillette, laquelle put profiter d'une leçon d'anatomie masculine, dont elle se souviendrait fort, fort longtemps.

Au loin, Pierre entendit des sirènes de police, mêlées aux cris d'indignation des mères... bien qu'il ne voyait pas en quoi on pourrait lui reprocher son comportement, il décida de mettre les voiles, et fissa ! Avec la maison poulaga, on ne savait jamais.

JB prenait sa pause cigarette, les larmes aux yeux. Jamais il n'aurait cru que travailler était si dur ! Quand on l'avait libéré de sa geôle, les salariés de l'entreprise l'avaient accueilli, rigolards, filmant sa mine déconfite avec leurs téléphones. La vidéo devait déjà se trouver sur les réseaux sociaux. JB regrettait vivement avoir été orienté vers le milieu ordinaire, il décida d'au plus vite contacter une assistante sociale, qui lui permettrait de travailler dans un ESAT !

JB remarqua à peine le départ de la Porsche, garée sur le trottoir du square voisin, un instant plus tôt. La mort dans l'âme, ayant le besoin urgent d'un câlin, il jeta son mégot, lequel atterrit dans la flaque d'essence laissée par la Porsche.

FROUTCH ! fit le liquide, en s'enflammant. La traînée d'essence partit à l'assaut de la route, et ce n'est qu'une question de secondes, avant qu'elle ne rejoigne le véhicule de Pierre.

"Daddy Cool 2 à Central, poursuivons Porsche immatriculée 904 PD 92, demandons renforts ! Huit-trois-douze-cinq-dix-putaindedix !" hurla un poulet dans sa radio.

Pierre détourna un instant son attention de la route, et se tourna vers son passager : "Dis... tu sens pas comme une odeur de chaud ?". Son partenaire huma l'air : "Euh... ? Ben...non..." Deux secondes plus tard, la Porsche explosa.

La moitié des voitures de police de la capitale étaient présentes sur le lieu du brasier. À la radio, le central annonça que le propriétaire de la Porsche s'appellait Pierre Pall-Mall, comique homosexuel déjà condamné pour consommation de stupéfiants, habitant un pavillon à Saint-Germain-En-Laye.

La mort de Pierre, et ses circonstances, firent grand bruit dans les médias. Diverses personnalités du monde du spectacle s'exprimèrent, se désolidarisant du comédien, fustigeant ses diverses consommations ainsi que sa sexualité transgressive. À l'Assemblée Nationale, un député LR suggéra même de légiférer sur l'accès aux chevaux à bascule des squares de la capitale...

L'autopsie révéla, outre la quantité record de stupéfiants que Pierre s'était envoyée, l'identité de son passager, lui aussi, une célébrité : une star de télé-réalité, un certain Steevy...