POKE BOWL NEWS - LES HARICOTS ROUGES

Le 09/04/2025
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par Léa Claisse
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Ce texte a fait débat au sein du groupe des admins de lazone.org . En effet, de prime abord, il ne semble pas qu'il soit violent et/ou sombre et/ou débile. Aujourd'hui c'est à mon tour de publier aussi j'ai tranché en mon âme et conscience. L'histoire se déroule en Amérique du sud et aurait très bien pu être le sujet du dernier film de Jacques Audiard, “Emilia Pérez”... Oui mais non, en fait. Pas la moindre chance en vérité. Le texte est violent par sa façon de traiter avec frivolité du drame humain terrible de la migration en Amérique du Sud. Il est violent parce qu'il devrait transpirer de violence et il n'y en a pas. Ce texte est sombre aussi, parce qu'il traite par dessus la jambe du thème de l'exil politique et des gangs des rues, sans en montrer la noirceur, en évoquant la chose au détour d'une phrase et sans tenter d'en analyser le pourquoi du comment. Enfin, ce texte est débile parce qu'avec tous ces thèmes sérieux dans lesquels baigne le personnage principal qui travaille dans un centre d'accueil, l'auteur préfère porter le focus de sa caméra sur sa vie banale à la limite d'un épisode d'Hélène et les garçons. Ce texte étant donc violent et sombre et débile, JACKPOT, Sept - Sept - Sept, je le publie. La question est maintenant de savoir si c'est un parti pris de l'auteur ou bien juste une coïncidence. Espérons qu'elle vienne défendre son texte dans les commentaires sur le site.
J’envoyais balader le téléphone par terre. J’étais à moitié endormie, et les quelques bières de la veille soulignaient les douleurs articulaires que j’avais depuis quelques jours. Cette virée impromptue aux abords de la ville, et cette course poursuite silencieuse m’avait laissé quelques traces.

Robert m’avait dit d’attendre quelques jours avant de m’y aventurer. Mais mon impatiente avait eu raison de moi. Ça m’avait démangé. On était sur cette affaire depuis quelques mois, et ces dernières semaines au centre m’avaient presque endormie.

Je m’assis le plus lentement possible avant de ne pas être trop secouée. Mais le fracas assourdissant de la porte voisine me rappela des vieux réflexes. Droite comme un I, et en silence, je roulais sous le lit. J’entendais une dizaine de pas lourds, j’en déduisais la présence de cinq à six hommes. L’espagnol était rapide, et les pleurs des enfants rendaient la conversation peu audible. Martine ne criait pas et semblait hacher ses mots.

-    Où est-il ?
-    Je ne sais pas. Il est parti avant-hier.
-    Il t’a laissé de l’argent pour les deux petits ?
-    Non.

Il sembla appeler l’un des hommes et lui demander de l’argent.

-    Tiens.
-    Je n’en veux pas.
-    Tu préfères faire le trottoir ?
-    Sortez de chez moi !

La porte claqua sèchement. Je m’empressais de sortir du lit et d’attraper le verre d’eau sur la table de chevet. Je l’engloutis rapidement, avant de me déshabiller et de rejoindre la douche. Mes sens étaient en alerte, mais le danger ne semblait pas me concerner. Je devais me calmer. Je fis tourner le versant vers le froid pour me glacer les jambes. Je pris le temps de me rincer. L’eau était glaçante et je ne pouvais pas apprécier le moment. Mais l’issue de la dernière discussion l’était sans doute inconsciemment davantage.

Je ne devais pas non plus tarder. Comme d’habitude, le rendez-vous était fixé à dix heures. J’avais l’adresse enregistrée sur le plan de mon téléphone. Et Graziella devait me rejoindre devant l’église San Cristobal pour l’arrivée des nouveaux. Un groupe européen avait atterri la veille, et j’étais en charge des présentations. Un accord dû à un moment de faiblesse de la soirée passée.

Je devais faire un tour de nos partenaires, présenter nos locaux, puis les emmener déjeuner sur la place, avant de se rendre au centre d’accueil pour la formation. Le parcours était assez simple, et j’évitais la formation, ce qui me paraissait être pas mal, compte tenu des quelques défaites tenues avec honneur la veille.

Je travaillais dans le centre d’accueil pour migrants depuis que j’avais quitté Medellin. Mon contrat au journal local de la 13 s’était aussi terminé, je voulais changer d’air. Un collègue de l’époque m’avait transmis les contacts de FM4, le centre en question. Ils avaient travaillé ensemble, il y a de cela quelques années sur une affaire pharmaceutique à Bogotá.

J’attrapais deux clémentines, que je m’empressais d’éplucher, et je me dirigeais vers la sortie de l’appartement que j’avais dégoté en arrivant à Guadalajara. La rue était déserte. Je mis la playlist Spotify en route, et je me dirigeais vers l’Église. Le soleil était encore doux. J’accélérais le pas afin de rejoindre le groupe que j’apercevais un peu plus loin. Christina m’interpella avec un grand sourire. Elle avait grandi à Guadalajara et terminait ses études au Tec. Elle participait bénévolement aux activités du centre depuis deux ans.

-    Ça va ?
-    Très bien et toi ?

J’évitais de penser à la matinée surréaliste que je venais de passer. Je n’y étais pas préparée, et mes pensées se dirigeaient dangereusement vers une culpabilité déplacée. Les scènes de ce matin n’avaient en rien à voir avec mon cours de vie. Du moins, c’est ce que je me répétais tout bas.
Le groupe avait déjà pris forme, et l’énergie était plutôt positive. Malgré le décalage horaire, ils semblaient souriants. Après quelques anecdotes sur la soirée passée, je pris en charge la liste des arrivants. Ils étaient moins nombreux que ce que je pensais. L’une d’eux allait rester trois mois sur le centre avant de faire un cursus universitaire. Son nom attira rapidement mon attention.

-    Lucia ?

Elle me répondit timidement en levant la main.

-    Je souhaitais mettre un visage sur ton nom. Ton université a appelé hier, et souhaite un retour rapide avec ton certificat.
-    Dès que j’ai votre signature, je leur fais un retour. Pouvons-nous voir cela au déjeuner ?
-    Pas de soucis.

Je passais vite à autre chose, afin de présenter le programme de la journée aux nouveaux arrivants. Nos locaux étant juste à coté, je décidais de leur présenter les deux directeurs de l’association, des anciens journalistes espagnols.

L’association qui tend à défendre les droits des migrants se composait de deux pôles. Le centre d’accueil dont nous gérions l’organisation quotidienne, ainsi que le pôle plaidoyer sur les droits fondamentaux. Ces bureaux concernaient la partie journalistique, même si nos interlocuteurs étaient avant tout des associations hispaniques.

Le centre était placé dans une rue désaffectée, et le tapis rouge des sans-abris que nous refusions chaque jour me donnait l’impression d’être la méchante. Le centre accueillait pour un repas, une toilette, et des médicaments si nécessaire. Les entrevues afin d’enregistrer chaque migrant sur le fichier associatif national prenait la plus grosse partie du temps. On m’avait attribué un bureau à l’entrée afin de rédiger les récits des nouveaux arrivants. Nous étions trois.

J’exerçais cette tâche mécaniquement, sans poser trop de questions et sans trop m’en poser. C’était la plupart du temps des hommes isolés, fuyant l’Amérique centrale, le Guatemala, le Salvador ou le Honduras pour des raisons économiques, mais aussi et principalement politiques. Beaucoup de jeunes hommes fuyant les représailles de gang, se retrouvent sur la route ferroviaire de Jalisco. Des histoires terribles qui demandent un silence, mais aussi des rencontres plus légères ont parsemées mes quelques mois dans ce centre d’accueil.

Lucia était dans la file des entretiens sans trop savoir pourquoi. Je souris et l’invitais à assister aux entretiens. Elle ne parlait pas beaucoup. Je mis ça sur son niveau d’espagnol, sans trop insister. Malgré son manque de repère et la situation, elle était calme. Elle était plus jeune, elle faisait plus jeune, mais semblait plus marquée que l’itinérant fuyant.

-    Nom ?
-    Alfredo
-    Pays ?
-    Guatemala
-    Tu as tes papiers d’identités ? Passeport ?
-    Oui.
-    Je peux ?
-    Oui, oui.

Il posa son passeport sur le bureau. Lucia se chargea de compléter les informations sur l’ordinateur, pendant qu’il me comptait les raisons de sa traversée. Il avait besoin de nouveaux vêtements et de quelques médicaments. Je lui remplis un coupon à donner au vestiaire pour qu’il puisse récupérer ce dont il avait besoin avant de monter au premier étage pour s’attabler s’il le souhaitait. Il nous remercia et se dirigea vers le fond du centre.

La journée se passa tranquillement.

L’équipe était, au final, bon enfant. Nous nous réunissions souvent après le travail, ou les week-ends. Nadine avait l’habitude de nous offrir sa maison pour la journée du samedi. Et elle nous proposa une réunion le samedi suivant, avec quelques nouveaux. C’était le week-end des élections pour l’état de Jalisco. Nous avions la vie pour danser. Il fallait juste récupérer le mezcal et quelques bières avant le week-end. Nous avions rendez-vous devant l’Église à 17h, afin de nous diriger dans les hauteurs de la ville, chez Nadine.

Son loup avait les yeux bleu mer. Il était rassurant et accueillait tout le monde, pendant que les filles gloussaient dans la cuisine. Le repas à préparer était léger. Nous avions pensé à un apéro de fin de journée. Nous passions à la terrasse, et mon regard se posa sur l’est. La maison était isolée par la verdure, et le ciel orangé m’apaisa. Lucia m’apporta une bière.

-    On va faire la fête.
-    Évidemment.
-    Je vais te faire rencontrer des amis.

Elle brancha son téléphone à l’enceinte de la terrasse, et ajouta Bomba Estereo, un groupe colombien que je lui avais fait écouter. Elle se mit à danser doucement. Une amie à elle, rencontrée au Mexique, l’accompagna. Elles étaient bohèmes. Elles étaient loin de moi, mais j’appréciais leur sympathie, tout en étant curieuse de Lucia. Nous passions une bonne soirée, avec la compagnie d’Alejandro, mon ami médecin, que je présentais aux filles. Il manquait des bières, et deux amis de Nadine décidèrent de se rendre à la station-service pour en acheter. Lucia m’accompagna, mais resta dans la voiture. C’est en m’éloignant de la caisse, que j’aperçus son visage. Il m’était familier, et je pensais l’avoir croisé quelques jours plus tôt. Je me hâtais de rejoindre la voiture et de vérifier la présence de Lucia. Un instinct que je trouvais vite bête. Il n’y avait aucun réel danger, et cet homme n’était pas menaçant. La fin de soirée se déroula sans incident. Je m’éloignais de Lucia, quelques jours, sans raison. Mais le centre nous maintenait en contact. Elle devait rester pour quelques mois, et je n’étais pas pressée.

Le mercredi suivant, je croisais ma voisine et repensa rapidement à l’altercation des semaines précédentes. Les mots avaient été violent, et j’étais rassurée de la voir en bonne santé. Elle avait l’air en forme, malgré des cernes marqués. Les bambins se chamaillaient dans ses pattes. Je la saluais rapidement, et tourna la clé de chez moi.

Il était là. Je ne m’alarmais pas. J’étais juste agacée par leurs allers et venues faciles dans nos appartements. Venant de croiser la voisine, je me sentais moins seul face à cet inconnu connu. Il me semblait l’avoir déjà croisé. C’est sans doute, ce qui amoindrit ma peur.

-    On se connait ?
-    Je suis passée au centre il y a quelques jours.
-    Tu as besoin de quelque chose ?
-    Tu n’es pas Mexicaine.
-    Non
-    Tu viens d’où ?
-    Medellin.

Il me regarda pendant quelques minutes. Il ne me mettait pas à l’aise, mais je ne sentais pas vraiment le danger. Alors que les courts-circuits de ces dernières semaines avaient perturbé mes instincts, je restais sur mes gardes.

-    Tu as toujours des liens ?
-    Avec ma famille ? Oui. Mais, je n’appartiens à aucun.

Il acquiesça en silence, et se dirigea vers la sortie. Je m’empressais de fermer la porte à double tour et d’ouvrir l’ordinateur. Je chargeais la carte mémoire de mon appareil et découvrais une cinquantaine de photos du terrain vague proche de la ville, ainsi qu’un plan numérique de construction que j’avais récupéré chez Robert. Je pensais à lui envoyer un message instantanément. Je lui demandais de passer dès qu’il pouvait afin de lui montrer ma nouvelle cuisine. Deux heures plus tard, il sonna à la porte.

-    Je n’ai pas fait le tri. C’est tout à toi.

Il s’installa sur le canapé et prit le temps de faire défiler la collection d’images. Il ne sourcilla pas, passa deux coups de téléphone rapides, récupéra le dossier sur une USB, et s’en alla.
Drôle de passade, pensais-je. Mes entrevues étaient de plus en plus absurdes. Je savais que j’avais merdé, au fond. Il m’avait dit d’être plus patiente. L’entre-deux tours était propice à faire diversion. Mais la sécurité privée des supermarchés était triplée. Et l’ambition démesurée du sénateur n’arrangeait pas mes affaires. Les gouverneures d’Amériques centrales jouaient le jeu. Le terrain sur lequel j’avais enquêté était son projet. Personne n’avait le droit d’approcher son partenariat commercial. Les mesures législatives des derniers mois sur les importations et exportations avec le Guatemala rendaient autant nerveux les politiques que les personnes non grata qui passaient par le centre. Les flux migratoires augmentaient, et les militaires, ainsi que les gangs foutaient le bordel pour cacher ce qui était vraiment important. Je le savais. J’en voyais les conséquences tous les jours au centre d’accueil. Chacun voulait être au bon endroit, au bon moment. Ils étaient de plus en plus nerveux. Parce qu’on oublie souvent que ce type de partenariat fait aussi des heureux.

Roberto était d’astreinte le lendemain. Il dirigeait le centre depuis quelques années. Il formait les équipes, et je me chargeais des bénévoles. Je ne le connaissais pas vraiment, et je n’avais pas envie de creuser plus que ça. Mais on comprenait ce qu’on ne disait pas. On était de bons collègues.

De mon côté, j’avais rendez-vous avec Paola pour un déjeuner avec certaines de ses amies. Je croisais cette dame sur le marché chaque semaine. Elle n’avait pas l’air sympathique. C’est ce qui me plaisait chez elle. Elle savait ce qu’elle voulait. Les commandes allaient vite.

-    Vous avez des haricots rouges ?

L’épicier esquissa un sourire. Je fis de même. Elle se tourna lentement vers moi en insistant.

-    Non mais, c’est vrai que ça manque ?
-    On est d’accord.
-    Ça sera pour la prochaine fois alors.
-    J’attends le deuxième tour.

Elle me retourna mon sourire.

















Léa Claisse - Witchyclick