Mémoires d’un cafard ambitieux (mais malchanceux)

Le 30/04/2025
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par Do Re Mi
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Thèmes / Débile / Parodies
La critique du texte Les aventures fantastiques de Gregor, un cafard repose sur une confrontation dynamique de ses éléments constitutifs, où chaque aspect éclaire et contredit les autres dans un jeu de tensions philosophiques et littéraires. Le texte, volontairement court, s’inscrit dans une logique de concision qui rappelle les fables de La Fontaine, mais sous une forme psychédélique, presque hallucinatoire. Cette brièveté, qualifiée d’anecdotique, limite son ampleur, mais paradoxalement, elle concentre une densité philosophique qui touche à une essence primordiale. L’auteur, tel un Jean de La Fontaine sous LSD, distille une réflexion universelle dans un écrin restreint, mais ce choix de la forme courte heurte l’ambition d’un propos qui prétend rivaliser avec le Discours de la méthode de Descartes. Un cafard cartésien, doté d’une intelligence hors du commun, peut-il vraiment déployer une introspection digne d’un traité métaphysique en si peu de mots ? La réponse oscille : la concision donne une force percutante, mais frustre l’attente d’une exploration plus profonde. Gregor, ce cafard introspectif, est une antithèse assumée de La Métamorphose de Kafka. Là où le Gregor Samsa de Kafka sombre dans l’aliénation et l’absurde, ce Gregor-ci s’élève, transcendant sa condition d’insecte pour pénétrer le monde des idées. Cette inversion est audacieuse, mais bancale. L’introspection improbable d’un cafard, qui aspire à boire du vin comme un humain goûtant le nectar des dieux, frôle le grotesque. Cette quête d’élévation, comparée à une ascension du mont Olympe, est à la fois sublime et ridicule. Le texte joue sur cette dualité, mais ne résout pas la tension : Gregor est-il un héros philosophique ou une parodie tragicomique ? Cette ambiguïté évoque Ratatouille, où un rat, Rémy, transcende sa condition par l’art culinaire. Mais là où Ratatouille ancre son protagoniste dans un monde humain crédible, Gregor reste prisonnier de son absurdité, ses pensées philosophiques paraissant parfois artificielles, comme plaquées sur un insecte pour provoquer l’étonnement. Le texte mène pourtant à des réflexions sombres et profondes. Gregor, en quête d’idéal, incarne une version insectoïde du surhomme nietzschéen, mais sa condition de cafard le ramène inéluctablement à sa finitude. Forcément, ça ne peut que finir mal. Cette fatalité, inscrite dans sa nature, contredit son aspiration à la transcendance. Si le texte touche à une essence philosophique, c’est dans cette tension entre l’élan vers l’absolu et l’inévitable écrasement par la réalité. Mais la comparaison avec Descartes, bien que séduisante, s’effrite : le Discours de la méthode construit une pensée systématique, tandis que les méditations de Gregor, aussi brillantes soient-elles, restent fragmentaires, presque oniriques, comme un délire d’insecte sous influence.
Moi, Gregor, prince des recoins obscurs, seigneur des plinthes et chevalier des ombres poussiéreuses, je suis un cafard. Un cafard, oui, mais pas n'importe lequel ! J'ai l'âme noble et le cœur vaillant, et surtout, j'ai un rêve. Un rêve immense, insensé, grotesque : je veux devenir humain.
Oh, quelle créature fascinante que l'Homme ! Je les observe depuis des lustres, tapi dans les interstices des murs, admirant leur arrogance, leur grandeur, leur futilité délirante. Ils ont cette aisance à se déplacer sans peur, à se pavaner sur leurs deux pattes maladroites, à s'échanger des sons gutturaux qui, par quelque miracle, forment des idées. Ils se goinfrent de mets variés, tandis que moi, je me contente des miettes tombées du banquet divin de leurs festins. Mais le plus prodigieux, c'est leur orgueil. Ils se croient invincibles, maîtres du monde, ignorants qu'ils partagent leur royaume avec des créatures comme moi, rampantes mais immortelles.

J'habite une cuisine spacieuse et luxueuse, une cathédrale de modernité où les humains viennent régner en despotes aveugles. Sur le plan de travail, des couteaux luisants attendent leur proie, tandis que des flammes jaillissent des brûleurs, prêtes à carboniser la moindre chair imprudente. Je les observe, ces dieux insouciants, dans leur ballet gastronomique. L’Homme mange, l’Homme boit, l’Homme rit, l’Homme pleure, l’Homme aime… Et moi, Gregor le cafard, je désire tout cela. Je veux rire, pleurer, aimer. Je veux sentir autre chose que l'odeur de moisissure et de crasse. Je veux goûter aux délices de la chaire, aux subtilités de la parole. Je veux être plus qu'une ombre fuyante sous le frigo.

J'ai essayé, pourtant. Oh, j'ai essayé ! J'ai tenté de marcher comme eux, de me tenir sur mes six pattes en un équilibre ridicule, tel un pantin mal articulé. J'ai tenté de méditer sur l'existence, de philosopher sur la condition cafardesque et humaine, mais les seules pensées qui me venaient étaient celles d'une quête insatiable de nourriture et de lumière. Peut-être que pour devenir humain, il faut être insensible à la faim ? Ou peut-être que leur secret réside dans leur façon d'ignorer la vermine qui grouille sous leurs pieds.

Un soir, alors qu'une fête battait son plein dans la cuisine sacrée, j'ai vu une opportunité. Là, sur la table éclairée de mille feux, trônait une bouteille de vin rouge, ce nectar enivrant que les humains sirotent en riant d'un air bête. Il me fallait y goûter ! J'ai grimpé, lentement, méticuleusement, esquivant les assiettes, longeant les reliefs gras de leurs repas. Et enfin, j'ai atteint le sommet ! Devant moi, un verre à demi plein, promesse d'une transformation miraculeuse.

J'ai plongé ma trompe et bu. Oh, divine essence ! Quelle brûlure ! Quelle ivresse ! En un instant, tout devint flou. Mes antennes se mirent à vibrer, mes pattes chancelaient, et je compris que j'avais touché au sacrilège. J'étais ivre, ivre comme un homme ! Et, dans mon délire, je me suis avancé au centre de la table, hurlant à pleins poumons muets : « Regardez-moi ! Je suis des vôtres ! Aimez-moi comme je vous aime ! »

Mais les dieux ne pardonnent pas aux profanateurs.

Un cri strident fusa. Une femme hystérique brandit une chaussure. Un homme rugit : « Un cafard ! » L'assemblée bondit comme un seul homme, paniquée, repoussée par ma seule présence. Moi, Gregor, élevé à la dignité humaine par une lampée de vin, je compris que je ne serais jamais accepté.

Puis, l'ombre grandit au-dessus de moi. La semelle s'éleva, funeste, juge et bourreau réuni en un seul geste fatal. J'eus une pensée fugace : était-ce là la condition humaine ? Rêver, espérer, lutter, et finir écrasé par l'indifférence de ses semblables ?

Un bruit sourd. Un craquement. Un silence.

Et moi, Gregor, prince des recoins obscurs, seigneur des plinthes et chevalier des ombres poussiéreuses, ne suis plus.

Mais quelque part, dans l’ombre d’une autre cuisine, un autre cafard rêve, lui aussi, de grandeur.