Un routier de l'espace en rade sur un monde peuplé de femmes. Ici, c'est elles qui font la loi. Et c'est pas beau à voir non plus.
Connexe avec Barbie et Les putains de Montolitator.
Connexe avec Barbie et Les putains de Montolitator.
La planète des femmes,
ou
le lécheur de l'espace.
Les camions galactiques sont des petits vaisseaux spatiaux capables de transporter une cinquantaine de tonnes de fret à travers notre galaxie. Ils sont équipés d'une longue lame d'acier recouverte de titane qui leur permet de glisser, comme un patin à glace, sur les pistes navigables de matière noire qui constitue environ le quart des composants de l'univers. Une fois lancés sur ces routes impalpables, les camions galactiques avancent à une vitesse cent fois supérieure à celle de la lumière et peuvent effectuer, par exemple, le trajet Terre-Alpha du Centaure C, le système planétaire le plus proche du système solaire situé à 4 années-lumière, en un peu plus de quatre jours terrestres.
Ces engins sont pilotés par des routiers de l'espace, individus possédant, une endurance, une vue et des réflexes au-dessus de la moyenne des personnes ordinaires. Afin de supporter des périodes de solitude dépassant plusieurs mois, ces conducteurs doivent également jouir d'un très bon équilibre mental.
Comme la piste venait de perdre son caractère chaotique, Kentin brancha le pilote automatique et agita ses mains qu’il avait tenues crispées depuis une dizaine d'heures sur le grand volant noir de son camion. L'orage de particules qu'il venait d'essuyer avait été particulièrement violent et son engin avait failli quitter la route à plusieurs reprises. Ces accidents étaient à éviter. Ils se soldaient par une désintégration instantanée qui possédait le seul avantage d'être indolore.
L'ordinateur de bord indiquait que la prochaine période de pilotage commencerait dans 9 heures, 53 minutes, 36 secondes et quelques centièmes. Le pilote disposait de ce temps pour se reposer avant de reprendre les commandes manuelles. Jusqu'à présent, aucune intelligence artificielle n’avait pu remplacer avec autant d'efficacité les décisions rapides, car instinctives, générées par une intelligence dite naturelle, particulièrement en période d'orage particulaire, de pluie de matière baryonique, voire, d'effondrement partiel du champ de Higgs (un truc important qui donne de la masse à certaines particules).
Kentin déplia ses jambes raides et son corps mince ankylosés par une longue station assise. Il retira très doucement le cathéter relié à sa vessie en grimaçant puis le balança dans la poubelle qui recrachait aussi la merde dans le vide - qui n'est pas vide… - sidéral. Kentin eut une pensée émue pour les premiers routiers qui avaient eu la chance de sillonner l'espace sans ce dispositif. Même si, à la place, ils portaient des bonnes vieilles couches absorbantes.
La cabine de pilotage était minuscule. Mais, elle était ingénieusement équipée d'un CyrilignaC de dernière génération - bloc de cuisine automatique offrant un choix d'une centaine de menus variés quoique synthétiques. Le lit repliable possédait un sommier et un matelas au confort idéal, l'ordinateur de loisir intégré dans la tête de lit offrait un grand nombre de fichiers ludiques, cinématographiques, musicaux, ainsi qu'une bibliothèque inépuisable étonnamment variée. Bien entendu, il y avait un fichier porno inépuisable et capable de satisfaire les goûts et les inclinaisons les plus fantaisistes, voire, inavouables, voire, franchement répugnante. Afin d'éviter d'éventuelles thromboses et d'autres problèmes de santé que l'inactivité et la station assisse prolongée étaient susceptibles de provoquer, le pilote avait le devoir d'utiliser, une demi-heure par durée de jour terrestre, le placard de musculation contenant un panel d'instruments de tortures très ingénieux. Kentin avait d'ailleurs pris goût à cette discipline spartiate. Au bout de quatre mois de voyage, il avait du mal à entrer dans sa combinaison tant ses muscles s'étaient développés sans être absurdement sur-gonflés pour autant, comme certains camés de la fonte.
Après avoir dégusté trois blinis au beurre accompagnés de tranches de (faux) saumon fumé roulées dans du (faux aussi) caviar, le jeune homme se coucha sur son lit et contempla le plafond crème qui se trouvait à moins de quarante centimètres de son visage. Comme d'habitude, avant de lire puis de s'endormir, il pensa à Jesika qui l'attendait dans la solitude de leur conapt de 11 mètres carrés. Cette cellule pour couple sans enfants était située dans l'ancienne ville de Strasbourg devenue, au fil du temps, un quartier de la mégalopole tentaculaire de Paris qui comptait cent-cinquante millions d'habitants.
Jesika et Kentin étaient mariés depuis trois ans. Leur demande de permis de procréation avait été refusée au moment où Kentin terminait sa formation de routier. Le courrier de l'administration indiquait que le profil génétique de Jesika contenait certaines anomalies qui ne lui permettaient pas d'accéder au statut de mère. L'historique de sa généalogie faisait état de deux bisaïeuls décédés de cancer et d'un troisième ancêtre - dont la naissance remontait à la période des cavernes - qui avait contracté une maladie de Parkinson avant son quarantième anniversaire. Cette très mauvaise nouvelle leur était tombée dessus comme un coup de marteau. Pas d'enfants, pas de perspectives enthousiasmantes de voir grandir un être en devenir (dans un monde merdique), pas de déménagement dans un conapt spacieux de 25 mètres carrés avec possibilité de vue sur un coin de ciel. Kentin avait failli démissionner de son travail avant même de s'acquitter de son premier convoyage. Mais l'annulation de son contrat était impossible. D'abord, parce qu'il s'agissait de son premier emploi et qu'il n'avait pas les moyens de rembourser le prix de sa formation. Ensuite, parce que Jesika n'avait pas tiré le statut de «citoyen potentiellement employable » le jour de sa naissance. Elle ne recevait qu'une maigre pension de citoyenneté qui lui assurait le strict minimum vital et le privilège d'aller dormir dans une tente, sous un pont, ou pis que cela, dans un asile de nuit pour CPE totalement infréquentable et rempli de puces, de morpions, de violeurs, de camés, de trafiquants d'esclaves, de mutants débiles et nauséabonds.
Comme il était impossible de recevoir le moindre message venu de l'extérieur lorsque le camion « roulait » sur sa route immatérielle, Kentin se faisait un sang d'encre pour sa femme. Il lui restait encore trois mois et six jours à attendre avant de revoir son visage.
Il venait juste de sombrer dans le sommeil lorsque la sonnerie d'alarme se mit à raisonner dans la cabine, vrillant ses tympans. Kentin se réveilla en sursaut et se redressa. PAF ! Il s'assomma à moitié contre le plafond constitué d'une plaque de plastique un peu molle. Le chauffeur bondit sur son siège de pilotage et regarda la route à travers l'épais pare-brise de mica. Il n'y avait rien d'anormal. La piste rectiligne et grise se déroulait devant le museau jaune poussin du camion. Aucune perturbation visuelle annonçant d'éventuels chausses-trappes cosmiques. Kentin jeta un coup d’œil sur l'écran de l'ordinateur qui clignotait douloureusement à la périphérie de son globe oculaire droit. Il appuya l'index sur l'écran qui afficha les informations suivantes.
Panne imminente du circuit de régulation thermique.
Arrêt d'urgence programmé.
L'ordinateur recherche, station, planète, lune pour effectuer réparation.
« Merde ! se dit Kentin qui suait de frousse dans sa combinaison de nuit. Une panne ! J'espère que je ne suis pas dans une zone désertée qui empêchera cet engin de se poser quelque part… »
L'ordinateur le rassura rapidement. Le camion se trouvait près de la mini-planète répertoriée sous le nom de Fongo .28. L'intelligence artificielle du bord programma la procédure d'approche et rentra la lame d'acier qui se trouvait sous le ventre de l'engin. La route grise s'évanouit, laissant place à un environnement sombre ponctué de points éclatants, semés par la main d'une éventuelle entité immanente et probablement cinglée. Pendant que le camion amorçait sa manœuvre d'approche automatique, Kentin compulsa son guide Michelin cosmique afin de recueillir quelques données concernant ce monde qu'il ne connaissait pas.
L'article était très cours. Fongo .28 était une exoplanète de taille très réduite, réchauffée par la présence d'une étoile de type solaire. Sa découverte datait d'un peu plus de quatre siècles. Elle avait été abandonnée très rapidement en raison de son absence de richesses naturelles intrinsèques. Son atmosphère était respirable, sa température torride, son air humide. La flore de Fongo était composée d'une variété d’espèces de champignons, sa faune comportait une grand nombre d'insectoïdes de tailles et de dimensions disparates. Rien de dangereux à signaler.
« Hum... pas la peine de rêver d'un bon bar avec une bière bien fraiche... » se dit le routier en refermant l'article.
Il se disait qu'il aurait pu avoir eu la chance de tomber sur une bonne vieille station proposant tous les amusements que recherche un honnête homme frustré de conversations et de contacts humains, mais non.
Kentin posa ses bottes sur une plaine au sol mauve recouvert d'une végétation rase et spongieuse. Il faisait rudement chaud. Pas très loin, bouchant l'horizon dans toutes les directions, des objets immobiles aux formes variées, aux couleurs vives et joyeuses rayées de noir, se montaient les uns sur les autres. Ces énormes champignons évoquaient des bonbons anglais. Ils donnèrent au visiteur un sentiment subjectif de sécurité et de douceur. Au-dessus de sa tête, le ciel indigo parcouru de nuages verdâtres était très plaisant à regarder. Il avança en longeant la coque du camion et ouvrit le capot moteur qui était froid comme un morceau de glace.
La panne était facile a réparer. Il suffisait de remplacer le protoclateur thermique, une pièce minuscule équipée de deux ergots métalliques qu'on enfonçait dans le distributeur central du circuit de régulation. Le routier balança l'ancienne pièce défectueuse par dessus son épaule, enfonça facilement la nouvelle dans le bloc et referma le capot en sifflotant. Voilà ! Ne lui restait plus qu'à attendre une semaine afin que le moteur retrouve sa température idéale. Comme le morceau de cuivre et de plastique terne jurait sur la belle moquette naturelle de ce monde désert, Kentin se baissa sur les genoux et mit le truc dans sa poche.
« Faudrait pas toujours recommencer les mêmes conneries... » se dit-il en pensant à la Terre qui n'était plus qu'un gros tas de béton et d'acier surpeuplée et un vaste cimetière pour animaux crevés.
Kentin se réveilla aux premières lueurs d'un soleil mauve qui lançait ses traits de lumière dans l’aube naissante. Une fois son petit déjeuner consommé et sa toilette faite, il sortit - en slip et les bottes aux pied, la taille lestée d'un lourd fulgurant chromé antique mais fort létal - afin de se dégourdir les jambes. La température avoisinait déjà les trente-cinq degrés. Il décrivit une boucle prudente autour du camion, à petits pas économes, tout en transpirant avec abondance. L'apprenti-explorateur passa quelques minutes accroupi sur la mousse à étudier des bestioles vertes qui ressemblaient à des espèces de couteaux suisses munis de nombreuses pattes et qui évoluaient anarchiquement au sein de la végétation. Résistant à l'envie d'en toucher une du bout de son doigt, l'humain curieux décida qu'il s'agissait d'une mauvaise idée et se redressa en position horizontale. Au loin, des silhouettes anthropomorphiques venaient d’apparaître à la lisière des conglomérats champignonesques. Kentin fit prudemment volte-face et regagna la sécurité du camion. Comme le préconisait le manuel de survie dans ce genre de cas.
Dans la cabine de pilotage, le camionneur brancha le bouclier de champ anti-météorites et regarda à travers le pare-brise les silhouettes grossissantes qui convergeaient dans sa direction.
« Voilà le comité d'accueil... » se dit-il en se promettant d'envoyer un courrier bien senti au guide Michelin afin de leur indiquer que certaines de leurs informations étaient erronées.
Les habitants de Fongo. 28 étaient des habitantes qui ignoraient le port du moindre vêtement mais pas celui de la chaussure à talons hauts. Ces huit femmes félinement musclées portaient des colifichets dans leurs épaisses et longues chevelures, des bijoux fantaisie autour du cou, des poignets, des chevilles, au bout de leurs petits seins durs, de très vieux fusils d'assauts galactiques en bandoulière et des poignards maousses passés dans des gaines suspendues à leur taille.
« Comment font-elles pour marcher dans la mousse avec autant d'élégance avec de telles chaussures ?... » se demanda le camionneur qui n'avait jamais vu de femmes aussi athlétiques et harmonieuses que celles qui venaient de stopper à quelques pas du mufle du camion.
« Bigre ! » fit Kentin tandis que son cobra déroulait ses anneaux dans son slip, prêt à cracher son stock dans toutes les directions.
Les huit femmes arboraient des visages fixes. Elles regardaient sans ciller la silhouette qui se découpait derrière la vitre de l'engin spatial. Après quelques secondes d'examen, la dame qui possédait les talons les plus vertigineux exécuta un geste de poignet élégant et tendit sa main ouverte dans un geste d'invite à l'attention du visiteur.
Dans la cabine, Kentin avala sa salive de travers. Il porta sa main à sa poitrine en haussant les sourcils et « grands talons hauts » lui répondit en hochant la tête affirmativement.
« Un contact positif vient de s'établir. » pensa le voyageur esseulé en se demandant si l'idée de sortir de sa retraite inviolable était aussi bonne que ça.
Comme ces femmes semblaient beaucoup plus intéressantes à étudier que les insectes-couteaux suisses, Kentin désactiva le bouclier défensif du camion, tapota la crosse de son arme, ouvrit la portière. Il sauta sur le sol avec agilité sans même se servir du marche-pied ménagé à cet effet.
Les dames s'exprimaient en terrien commun mâtiné d'un très fort accent qui leur faisait rouler les r. Elles déclarèrent qu'elles n'avaient pas reçu de visite extérieure depuis des temps très reculés. Elles étaient très satisfaites d'avoir l'opportunité de récolter des nouvelles concernant les humains disséminés dans la vaste diaspora galactique.
Tout en évitant de lorgner leur anatomie douloureusement fonctionnelle, Kentin répondit qu'il était à leur disposition pour les éclairer sur l'actualité des derniers siècles et que ceci était un vrai plaisir.
Les dames acquiescèrent et « grand talons hauts » qui avait aussi un très long nez élégant lui déclara sobrement.
« En ce cas, vous êtes invité à venir nous rendre visite ce soir à la nuit tombante. Vous voyez le champignon rose en forme de cœur qui pousse là-bas ? L'entrée de notre cité se trouve juste derrière. Nous vous attendons avec impatience.
- C'est fort gentil à vous ! répondit le camionneur en se demandant si elles savaient brasser de la bonne bière. A propos, mon nom est Kentin. Je suis enchanté de vous connaître. » ajouta-t-il en exécutant une parodie de révérence qu'il espérait comique.
Son effet tomba à plat. Visiblement, ces dames n'avaient pas compris sa petite facétie. Elles se regardaient avec étonnement en haussant leurs sourcils.
« Très-long-nez-élégant » restait maîtresse d'elle-même. Elle répondit après quelques secondes de battement tandis qu'une lueur d'amusement passait dans son œil noir.
- Kentin, nous sommes enchantée de faire ta connaissance. Je me nomme Balanstonpork et me tiendrai à ta disposition pour t'éclairer sur les aspects et les singularités de notre culture. »
La cité était creusée dans la paroi d'un champignon rose. Son entrée principale était gardée par deux jeunes filles très grandes et fort puissantes. Plus lourdes et épanouies que les « éclaireuses » qui s'étaient présentées aux abords de son camion, elles dégageaient aussi des vibrations érotiques puissantes. Ces dernières laissèrent passer Kentin qui ne portait sur lui que ses bottes fraîchement cirées et son fulgurant. Le jeune homme n'ignorait pas l'adage célèbre et fort sage : à Rome, fais comme les Romains. Néanmoins, comme il était un individu rusé à défaut d'être prudent, il avait dissimulé un petit derringer laser à deux coups dans le talon de sa botte droite et planqué les clefs du camion dans un compartiment secret dissimulé dans son fuselage.
Balanstonpork l'attendait dans une espèce de hall au plafond qui culminait à une vingtaine de mètres d'altitude. Elles portaient une nouvelle paire de chaussures en verre. Et un toupet de mousse pourpre au dessus de sa raie arrière qui fendait son postérieur comme une fissure rectiligne dans le marbre.
Les murs émettaient une lumière douce et pulsante comme l'arrivée d'un orgasme. Une source dévalait le long d'une paroi, remplissant un bassin naturel aux eaux bleues et limpides. Kentin nota que la température intérieure n'était ni trop froide, ni trop chaude. Ce détail était aussi un point positif.
Ils suivirent un boyau long et large et débouchèrent dans une autre salle similaire au hall d'entrée mais encore plus vaste. Deux ou trois cents femmes, filles, enfants d'âges variables mais de sexe strictement féminin se tenaient tranquillement installées sur la mousse noire et brillante qui recouvrait le sol. Des grosses dames aux seins longs et gigantesques, assisses sur des fauteuils taillés dans de la mousse végétale, donnaient la tétée à des nourrissons nus.
Sur un haut promontoire en forme de siège qui épousait ses formes aiguës, une dame d'une soixantaine d'années coiffée d'un casque de cheveux noirs dominait cette tranquille et paisible assemblée. La dame était vêtue d'une robe de tissu pourpre très fin. Elle détailla Kentin des pieds à la tête avant de l'inviter à s'asseoir d'un geste lent et majestueux de son mince bras équipée d'une longue main.
Très vite, une jeune fille apporta un panier rempli de fruits étranges accompagné d'un très grand récipient translucide dans lequel pétillait un breuvage orange. Kentin prit le très grand verre que lui tendait la jeune fille et lança un regard à la dame en pourpre. Cette dernière hocha son menton. Kentin goûta le breuvage qui était fort bon et subtilement alcoolisé.
« Ceci est à votre goût ? » demanda-t-elle avec une certaine condescendance détachée.
- Oui, oui, c'est fort aimable de votre part, répliqua l'homme qui ne savait quoi rajouter de plus et qui replongea son nez dans le verre, afin de gagner du temps.
Cette stratégie classique était bonne. La dame lui posa quelques questions concernant le lieu d'où il venait et la nature du fret qu'il transportait. Kentin répondit qu'il était natif de la Terre, qu'il venait de convoyer du matériel médical sur l'astéroïde Glotto XTH et qu'il était en train de retourner chez lui avec une cargaison de coton-tiges, lorsqu'une panne s'était produite sur son camion. Ils échangèrent ensuite quelques propos concernant les évolutions rapides de l'expansion du territoire humain au sein de la galaxie. Kentin informa son hôte que dix-sept nouveaux mondes potentiellement exploitables venaient d'être récemment découverts et que l'humain avait enfin pris contact - une centaine d'années auparavant - avec la première intelligence extra-terrestre développée recensée. Hélas, les crabes géants de la planète géante recouverte d'océans et appelée Mer par l'explorateur imaginatif qui l'avait découverte refusaient tout contact avec les humains qu'ils jugeaient, semblait-il, infréquentables. Ils tiraient à vue dès que ces derniers s’approchaient un peu trop près à bord de leurs croiseurs galactiques de combat ...
Son interlocutrice semblait recevoir ces informations d'une oreille distraite. Afin de la faire réagir, il lui posa directement la question qui lui brûlait les lèvres depuis le début de la conversation.
« Mais ? Dites moi, où sont les hommes ? J'espère qu'ils ne sont pas souffrants ?
- Non, non, pas du tout, ils vont très bien, lui répliqua la dame en riant presque aux éclats. Nos hommes sont très timides. Il ne faut pas leur en tenir rigueur. A ce propos, et comme vous passez par là, me serait-il possible de vous demander quelque chose d'assez particulier ?
- Certes, je suis à votre disposition.
- C'est fort aimable de votre part. Cela ne devrait pas vous être désagréable, d'ailleurs. »
La dame expliqua très naturellement à son invité qu'il serait important à certaines représentantes de son peuple d'échanger avec lui quelques contacts naturels afin d'apporter des gênes nouveaux au sein de la communauté. S'il lui était possible de passer quelques tests médicaux, afin de s'assurer de la bonne qualité de son pull génétique, cette démarche serait fortement appréciée.
- Hum... fit Kentin abasourdi en se grattant la gorge. Vous voulez dire que…
- Oui, c'est tout à fait cela. Vous n'avez rien contre les femmes, au moins, ceci serait fort ennuyeux … nous pourrions bien entendu vous traire artificiellement. Mais, voyez-vous, notre machine est ancienne et peu précise. Elle risquerait de vous blesser.
Kentin rassura rapidement son interlocutrice. Il lui assura, qu'au contraire, il adorait et respectait les femmes depuis son plus jeune âge. Mais, comme il était marié et qu'il aimait son épouse, la démarche qu'on attendait de lui était très délicate.
- Bah ! fit la dame en écartant cet argument de sa main. Le mariage est un concept obsolète ! Mais, si vous préférez, nous allons mettre en branle la trayeuse...
N'en faites rien. Les accouplements organiques sont vecteurs d'échanges culturels qu'il serait dommage de sous-estimer. Si je passe vos tests avec brio, j'espère pouvoir vous remercier avec enthousiasme de l'hospitalité qui est la vôtre.
A la bonne heure, c'est très aimable de votre part. »
Dès le lendemain, alors qu'il avait dormi comme un loir au sein d'une chambre agréable aux murs oblongs, on fourra Kentin dans un vieux module médical. Il en ressortit une demi-heure plus tard. Le Docteur aux talons compensés qui l'accompagnait lui déclara avec une certaine froideur que ses tests étaient satisfaisants et qu'il se devait de commencer à servir le plus rapidement possible.
Kentin attendait la suite des opérations assis sur un vaste lit lorsque Balanstonpork précédée de son long nez pointu pénétra dans la pièce.
« Salut, lui déclara Kentin un peu intimidé, je suis content que ce soit vous, car nous avons déjà été présenté. »
Sans un mot, la belle créature traversa la chambre juchée sur ses échasses érotiques et vint se poster près du lit.
Le premier contact entre les deux jeunes gens fut décevant du point de vue de Kentin. D'abord, il se ramassa un bon coup de poing sur l'arête du nez, lorsqu'il posa sa bouche sur celle de sa partenaire. Visiblement, cet espèce de transport était inconnu de Balanstonpork. En plus, cette dernière resta inerte et indifférente durant toute la durée de l'opération. Détail important qui déstabilisa le camionneur qui pensait être compétent dans cette discipline.
Toutefois, dès le lendemain, les choses s'améliorèrent d'elles-même et Balanstonpork se dérida. Au fil des jours, la jeune femme se montrait plus décontractée, voire, très concernée par ce qui se déroulait. Balanstonpork était totalement détendue, à présent. Au point de se laisser lécher en écartant largement les jambes. Une fois cette fantaisie exotique terminée, elle caressa les poils du torse de Kentin en esquissant une ombre de sourire. Le camionneur était content de lui. Même si la caresse de sa compagne évoquait un peu celle que l'on réservait à un animal de bonne compagnie. En même temps, il estimait - avec un certain cynisme libidineux- qu'il possédait pas mal de chance de lui ramoner l'orifice secondaire, d'ici quelques jours. Il venait de remarquer que son œil de bronze très élastique se dilatait comme une singularité primordiale, lorsque l'orgasme approchait.
« Il faut vraiment que je file voir mon camion... » se dit Kentin qui venait de terminer son repas dans un coin du réfectoire commun.
Il commençait à s'ennuyer ferme. Personne ne lui adressait jamais la parole. Il avait renoncé à essayer d'établir la moindre conversation avec les habitantes de cette étrange cité qui l'ignorait superbement. Et Balanstonpork n'était pas revenue depuis trois jours. Avec son long nez et son anus élastique.
Kentin se pointa près de la sortie défendue par deux gardes aux seins lourds et aux fesses très dodues. Elles l'empêchèrent de sortir en braquant les canons de leurs fusils galactiques en direction de sa tête. L'homme esquissa quelques pas en arrière et battit en retraite prudemment. Planqué derrière un pilier, il attendit patiemment la relève de la garde, sortit son fulgurant et ordonna aux deux nouvelles gardiennes de laisser tomber leurs flingues. Ce qu'elles firent docilement. Le camionneur ramassa les deux fusils et les balança dans la vaste vasque de la fontaine. Il prenait la poudre d'escampette lorsqu’un filet tomba sur ses épaules. Paf ! Quelque chose de lourd percuta l'arrière de son crâne. Il tomba dans les vapes.
« Hé ! Maman ! Faut te lever ! » fit une voix masculine éraillée au creux de son oreille.
Kentin sursauta et se redressa sur son séant. Il se sentait étourdi et faible. Sa conscience mit plusieurs longues secondes avant de rassembler les pièces éparses du puzzle de ses souvenirs.
Il se trouvait dans une cellule vaste et propre équipée de deux couchettes et d'un trou d'aisance sombre et béant ménagé dans un recoin. Le type qui se trouvait près de lui était habillé d'une ample robe grise grossièrement tissée et chaussé d'une paire de pantoufles de mousse ridicules. Cet inconnu aux cheveux hirsutes et rouges possédait un visage tragique de faune las. Son haleine empestait, certainement en raison de la pipe fumante qu'il portait au coin de sa bouche.
- Bienvenue en enfer ! Mon nom est Rex. ajouta le type avant d'aller se coucher sur le bas-flanc qui faisait face à celui de Kentin.
- Mais ?... fit ce dernier en se levant avant qu'une violente douleur ne déchire le bas de son abdomen.
- Oups ! Ça fait mal, hein ? Surtout la première fois…
Kentin se rendit compte qu'il portait la même robe que celle de son compagnon d'infortune. Il en souleva un pan et nota qu'une balafre fraiche d'une dizaine de centimètres ornait le bas de son ventre.
- Je vais t'affranchir rapidement, lui fit Rex en tirant sur sa pipe. Tu viens de passer trois semaines en coma artificiel. Les guenons en ont profité pour te coller l'embryon de celle que tu as turlupinée dans une boucle de dérivation de tes intestins.
- Quoi ? répondit Kentin qui n'assimilait pas très bien la teneur des informations que le rouquin était en train de lui fournir.
- C'est comme je te dis. Faut que tu t'y fasses. T'es désormais enceint. Comme une couille. Aussi vrai que je me nomme Rex. Et tu vas jongler. Car c'est pas la peine que tu comptes sur ton corps de couillu pour produire des hormones qui te foutrons dans une béatitude de vache en cloque...»
Rex et Kentin polissaient des gemmes dans l'enclos aux hommes. C'était un lieu en forme d'arène dans lequel une centaine d'individus à gros ventres jouaient tristement aux cartes, aux quilles, fabriquaient des chaussures à hauts-talons ou bien, des colifichets. Ces individus semblaient privés de l'énergie naturelle (dérisoire et absurde, lorsqu'on y pense...) battant ordinairement dans les veines du sapiens, quel que soit son sexe. Ceux qui n'étaient pas enceints fumaient de grosses pipes pleines d'une herbe odorante particulièrement abrutissante. Ils parlaient très peu. Et pour cause. Né en captivité, leur vocabulaire ne dépassait pas trois cents mots. Dans un enclos voisins, des garçons de tous les âges se chamaillaient. Kentin les observa quelques minutes. Notant que les individus les plus costauds passaient leurs temps à torturer les plus faibles, il se désintéressa très vite de ce spectacle navrant.
Les premiers jours, Kentin eut beaucoup de mal à digérer les informations détaillées que Rex lui fournissaient petit à petit. Le pire étant qu'il abritait un bébé dans ses entrailles et que ce dernier allait sortir, trois mois plus tard - prodige médical - lorsque les toubibs de cette maudite planète pratiqueraient une césarienne sur sa personne. Rex lui avait montré les six balafres qui décoraient son ventre distendu et expliqué qu'il était presque au bout de sa carrière de père-porteur.
Après le prochain bébé, les guenons me colleront certainement un bon coup de laser dans la tronche car je suis au bout de mon rouleau … je bande mou … c'est psychologique, j'en ai plein le cul d'être en train de couver ... faut s'y faire mais c'est pas bon pour un mâle qui se respecte, putain !… et dire que j'étais un prospecteur qui dépensait tous ses crédits au boxon, dans une vie très lointaine...
Après un temps passé à glisser sur les vagues du démoral, la volonté du camionneur de l'espace fini par reprendre le dessus. L'état dans lequel il se trouvait commençait à lui apparaître comme une aubaine formidable ! Jesika n'allait pas en revenir, lorsqu'il reviendrait avec ce bébé miraculeux dans le ventre !
« Faut que je m'évade ! » déclara-t-il à Rex qui était partant pour se faire la belle mais qui jugeait cette perspective impossible.
- Les murs de l'enclos sont trop hauts pour être escaladés. Et regarde la poutre de bois qui condamne notre cellule. Tu te sens d'attaque pour la ronger avec tes dents ?
- J'ai ma petite idée, répondit Kentin qui était encore propriétaire de ses bottes et du derringer à deux coups planqué dans la semelle.
- Tu ne trouveras pas la moindre scie dans ce patelin, pas la peine de te faire d'illusions… »
L'enclos était un espace à ciel ouvert recouvert d'une mousse mauve semblable à celle qui poussait dans la plaine. Après deux après-midi de recherche, Kentin repéra un insecte gros comme sa main équipé d'une espèce de rostre en forme de scie qui se baladait tranquillement en compagnie de ses congénères. Le jeune homme s'assit en sifflotant près de la bestiole qui broutait. Il l'attrapa dans sa main et la fourra sous sa robe, en sécurité dans le slip de bure qu'on lui avait fourni. Le prisonnier se rendit rapidement aux lieux d'aisances, ferma la porte d'un compartiment, attrapa l'insecte qui commençait à lui scier le gland et lui trancha la tête.
« On va voir ce que vaut cette scie ! » se déclara-t-il en testant la lame de huit centimètres en chitine dentelée qui semblait parfaitement efficace.
Les prisonniers se relayèrent quatre nuits avant d'arriver à bout de la poutre qui condamnait la porte de leur cellule et qui céda aux premières lueurs de l'aube. Ils sortirent prudemment dans le couloir, arrivèrent à une espèce de croisée des chemins et poussèrent doucement la porte de la chambre des gardes. Une fille dormait sur un bas-flanc, une autre lisait un livre antique relié en chagrin, assise sur un fauteuil aménagé dans un mur.
« Flash ! »
Le derringer cracha son trait rubis dans la bouche ouverte de la garde surprise. Elle tomba comme une poupée de chiffons sur le sol. Rex étrangla la seconde avec un plaisir certain et les deux hommes s'emparèrent de leurs fusils. Ils trouvèrent une petite poterne qui donnait sur un étroit boyau qu'ils suivirent avec rapidité. Cinq cents mètres plus loin, ils débouchèrent dans la plaine et filèrent en direction du camion.
Ce dernier était intact. Kentin ouvrit le compartiment dérobé, enfonça la clef dans la serrure de la portière et la tira vers lui. Une rafale laser chuinta, illuminant l'obscurité qui commençait à s'estomper. La tête de Rex s'envola. Elle rebondit dans un bruit sinistre et mat contre le fuselage de l'engin. Kentin fit volte-face, visualisa la silhouette sombre qui se découpait dans la pénombre et pressa la détente.
« Clic ! » déclara le fusil.
Le fugitif ayant oublié d'enlever le cran de sécurité dans sa précipitation. Kentin jura en tripotant l'ergot qui refusait de glisser.
La silhouette exécuta trois pas en avant.
« Balanstonpork ! » fit Kentin avalant sa salive.
La jeune femme esquissa un geste du bout du canon de son arme. Kentin laissa tomber la sienne à ses pieds. Il tenait le petit derringer qui n'avait plus qu'une seule charge dans le creux de sa main. Balanstonpork était à huit mètres. Pas facile de faire mouche à cette distance avec une arme pareille…
Ils se regardèrent durant un long moment. Au loin, le soleil embrasait l'horizon. Balanstonpork abaissa son arme. Elle s'avança et déposa ses lèvres sur celles de Kentin. Puis, elle tourna des talons et disparut.
Kentin grimpa dans le camion en faisant très attention de ne pas heurter son ventre contre quelque chose de dur. Il s'assit dans le siège de pilotage et soupira. Il pensait au long nez de sa belle fiancée. Il pensait aussi qu'être bon lécheur pouvait s'avérer vital dans certaines circonstances. Kentin alluma l'ordinateur et quitta la planète des femmes.
ou
le lécheur de l'espace.
Les camions galactiques sont des petits vaisseaux spatiaux capables de transporter une cinquantaine de tonnes de fret à travers notre galaxie. Ils sont équipés d'une longue lame d'acier recouverte de titane qui leur permet de glisser, comme un patin à glace, sur les pistes navigables de matière noire qui constitue environ le quart des composants de l'univers. Une fois lancés sur ces routes impalpables, les camions galactiques avancent à une vitesse cent fois supérieure à celle de la lumière et peuvent effectuer, par exemple, le trajet Terre-Alpha du Centaure C, le système planétaire le plus proche du système solaire situé à 4 années-lumière, en un peu plus de quatre jours terrestres.
Ces engins sont pilotés par des routiers de l'espace, individus possédant, une endurance, une vue et des réflexes au-dessus de la moyenne des personnes ordinaires. Afin de supporter des périodes de solitude dépassant plusieurs mois, ces conducteurs doivent également jouir d'un très bon équilibre mental.
Comme la piste venait de perdre son caractère chaotique, Kentin brancha le pilote automatique et agita ses mains qu’il avait tenues crispées depuis une dizaine d'heures sur le grand volant noir de son camion. L'orage de particules qu'il venait d'essuyer avait été particulièrement violent et son engin avait failli quitter la route à plusieurs reprises. Ces accidents étaient à éviter. Ils se soldaient par une désintégration instantanée qui possédait le seul avantage d'être indolore.
L'ordinateur de bord indiquait que la prochaine période de pilotage commencerait dans 9 heures, 53 minutes, 36 secondes et quelques centièmes. Le pilote disposait de ce temps pour se reposer avant de reprendre les commandes manuelles. Jusqu'à présent, aucune intelligence artificielle n’avait pu remplacer avec autant d'efficacité les décisions rapides, car instinctives, générées par une intelligence dite naturelle, particulièrement en période d'orage particulaire, de pluie de matière baryonique, voire, d'effondrement partiel du champ de Higgs (un truc important qui donne de la masse à certaines particules).
Kentin déplia ses jambes raides et son corps mince ankylosés par une longue station assise. Il retira très doucement le cathéter relié à sa vessie en grimaçant puis le balança dans la poubelle qui recrachait aussi la merde dans le vide - qui n'est pas vide… - sidéral. Kentin eut une pensée émue pour les premiers routiers qui avaient eu la chance de sillonner l'espace sans ce dispositif. Même si, à la place, ils portaient des bonnes vieilles couches absorbantes.
La cabine de pilotage était minuscule. Mais, elle était ingénieusement équipée d'un CyrilignaC de dernière génération - bloc de cuisine automatique offrant un choix d'une centaine de menus variés quoique synthétiques. Le lit repliable possédait un sommier et un matelas au confort idéal, l'ordinateur de loisir intégré dans la tête de lit offrait un grand nombre de fichiers ludiques, cinématographiques, musicaux, ainsi qu'une bibliothèque inépuisable étonnamment variée. Bien entendu, il y avait un fichier porno inépuisable et capable de satisfaire les goûts et les inclinaisons les plus fantaisistes, voire, inavouables, voire, franchement répugnante. Afin d'éviter d'éventuelles thromboses et d'autres problèmes de santé que l'inactivité et la station assisse prolongée étaient susceptibles de provoquer, le pilote avait le devoir d'utiliser, une demi-heure par durée de jour terrestre, le placard de musculation contenant un panel d'instruments de tortures très ingénieux. Kentin avait d'ailleurs pris goût à cette discipline spartiate. Au bout de quatre mois de voyage, il avait du mal à entrer dans sa combinaison tant ses muscles s'étaient développés sans être absurdement sur-gonflés pour autant, comme certains camés de la fonte.
Après avoir dégusté trois blinis au beurre accompagnés de tranches de (faux) saumon fumé roulées dans du (faux aussi) caviar, le jeune homme se coucha sur son lit et contempla le plafond crème qui se trouvait à moins de quarante centimètres de son visage. Comme d'habitude, avant de lire puis de s'endormir, il pensa à Jesika qui l'attendait dans la solitude de leur conapt de 11 mètres carrés. Cette cellule pour couple sans enfants était située dans l'ancienne ville de Strasbourg devenue, au fil du temps, un quartier de la mégalopole tentaculaire de Paris qui comptait cent-cinquante millions d'habitants.
Jesika et Kentin étaient mariés depuis trois ans. Leur demande de permis de procréation avait été refusée au moment où Kentin terminait sa formation de routier. Le courrier de l'administration indiquait que le profil génétique de Jesika contenait certaines anomalies qui ne lui permettaient pas d'accéder au statut de mère. L'historique de sa généalogie faisait état de deux bisaïeuls décédés de cancer et d'un troisième ancêtre - dont la naissance remontait à la période des cavernes - qui avait contracté une maladie de Parkinson avant son quarantième anniversaire. Cette très mauvaise nouvelle leur était tombée dessus comme un coup de marteau. Pas d'enfants, pas de perspectives enthousiasmantes de voir grandir un être en devenir (dans un monde merdique), pas de déménagement dans un conapt spacieux de 25 mètres carrés avec possibilité de vue sur un coin de ciel. Kentin avait failli démissionner de son travail avant même de s'acquitter de son premier convoyage. Mais l'annulation de son contrat était impossible. D'abord, parce qu'il s'agissait de son premier emploi et qu'il n'avait pas les moyens de rembourser le prix de sa formation. Ensuite, parce que Jesika n'avait pas tiré le statut de «citoyen potentiellement employable » le jour de sa naissance. Elle ne recevait qu'une maigre pension de citoyenneté qui lui assurait le strict minimum vital et le privilège d'aller dormir dans une tente, sous un pont, ou pis que cela, dans un asile de nuit pour CPE totalement infréquentable et rempli de puces, de morpions, de violeurs, de camés, de trafiquants d'esclaves, de mutants débiles et nauséabonds.
Comme il était impossible de recevoir le moindre message venu de l'extérieur lorsque le camion « roulait » sur sa route immatérielle, Kentin se faisait un sang d'encre pour sa femme. Il lui restait encore trois mois et six jours à attendre avant de revoir son visage.
Il venait juste de sombrer dans le sommeil lorsque la sonnerie d'alarme se mit à raisonner dans la cabine, vrillant ses tympans. Kentin se réveilla en sursaut et se redressa. PAF ! Il s'assomma à moitié contre le plafond constitué d'une plaque de plastique un peu molle. Le chauffeur bondit sur son siège de pilotage et regarda la route à travers l'épais pare-brise de mica. Il n'y avait rien d'anormal. La piste rectiligne et grise se déroulait devant le museau jaune poussin du camion. Aucune perturbation visuelle annonçant d'éventuels chausses-trappes cosmiques. Kentin jeta un coup d’œil sur l'écran de l'ordinateur qui clignotait douloureusement à la périphérie de son globe oculaire droit. Il appuya l'index sur l'écran qui afficha les informations suivantes.
Panne imminente du circuit de régulation thermique.
Arrêt d'urgence programmé.
L'ordinateur recherche, station, planète, lune pour effectuer réparation.
« Merde ! se dit Kentin qui suait de frousse dans sa combinaison de nuit. Une panne ! J'espère que je ne suis pas dans une zone désertée qui empêchera cet engin de se poser quelque part… »
L'ordinateur le rassura rapidement. Le camion se trouvait près de la mini-planète répertoriée sous le nom de Fongo .28. L'intelligence artificielle du bord programma la procédure d'approche et rentra la lame d'acier qui se trouvait sous le ventre de l'engin. La route grise s'évanouit, laissant place à un environnement sombre ponctué de points éclatants, semés par la main d'une éventuelle entité immanente et probablement cinglée. Pendant que le camion amorçait sa manœuvre d'approche automatique, Kentin compulsa son guide Michelin cosmique afin de recueillir quelques données concernant ce monde qu'il ne connaissait pas.
L'article était très cours. Fongo .28 était une exoplanète de taille très réduite, réchauffée par la présence d'une étoile de type solaire. Sa découverte datait d'un peu plus de quatre siècles. Elle avait été abandonnée très rapidement en raison de son absence de richesses naturelles intrinsèques. Son atmosphère était respirable, sa température torride, son air humide. La flore de Fongo était composée d'une variété d’espèces de champignons, sa faune comportait une grand nombre d'insectoïdes de tailles et de dimensions disparates. Rien de dangereux à signaler.
« Hum... pas la peine de rêver d'un bon bar avec une bière bien fraiche... » se dit le routier en refermant l'article.
Il se disait qu'il aurait pu avoir eu la chance de tomber sur une bonne vieille station proposant tous les amusements que recherche un honnête homme frustré de conversations et de contacts humains, mais non.
Kentin posa ses bottes sur une plaine au sol mauve recouvert d'une végétation rase et spongieuse. Il faisait rudement chaud. Pas très loin, bouchant l'horizon dans toutes les directions, des objets immobiles aux formes variées, aux couleurs vives et joyeuses rayées de noir, se montaient les uns sur les autres. Ces énormes champignons évoquaient des bonbons anglais. Ils donnèrent au visiteur un sentiment subjectif de sécurité et de douceur. Au-dessus de sa tête, le ciel indigo parcouru de nuages verdâtres était très plaisant à regarder. Il avança en longeant la coque du camion et ouvrit le capot moteur qui était froid comme un morceau de glace.
La panne était facile a réparer. Il suffisait de remplacer le protoclateur thermique, une pièce minuscule équipée de deux ergots métalliques qu'on enfonçait dans le distributeur central du circuit de régulation. Le routier balança l'ancienne pièce défectueuse par dessus son épaule, enfonça facilement la nouvelle dans le bloc et referma le capot en sifflotant. Voilà ! Ne lui restait plus qu'à attendre une semaine afin que le moteur retrouve sa température idéale. Comme le morceau de cuivre et de plastique terne jurait sur la belle moquette naturelle de ce monde désert, Kentin se baissa sur les genoux et mit le truc dans sa poche.
« Faudrait pas toujours recommencer les mêmes conneries... » se dit-il en pensant à la Terre qui n'était plus qu'un gros tas de béton et d'acier surpeuplée et un vaste cimetière pour animaux crevés.
Kentin se réveilla aux premières lueurs d'un soleil mauve qui lançait ses traits de lumière dans l’aube naissante. Une fois son petit déjeuner consommé et sa toilette faite, il sortit - en slip et les bottes aux pied, la taille lestée d'un lourd fulgurant chromé antique mais fort létal - afin de se dégourdir les jambes. La température avoisinait déjà les trente-cinq degrés. Il décrivit une boucle prudente autour du camion, à petits pas économes, tout en transpirant avec abondance. L'apprenti-explorateur passa quelques minutes accroupi sur la mousse à étudier des bestioles vertes qui ressemblaient à des espèces de couteaux suisses munis de nombreuses pattes et qui évoluaient anarchiquement au sein de la végétation. Résistant à l'envie d'en toucher une du bout de son doigt, l'humain curieux décida qu'il s'agissait d'une mauvaise idée et se redressa en position horizontale. Au loin, des silhouettes anthropomorphiques venaient d’apparaître à la lisière des conglomérats champignonesques. Kentin fit prudemment volte-face et regagna la sécurité du camion. Comme le préconisait le manuel de survie dans ce genre de cas.
Dans la cabine de pilotage, le camionneur brancha le bouclier de champ anti-météorites et regarda à travers le pare-brise les silhouettes grossissantes qui convergeaient dans sa direction.
« Voilà le comité d'accueil... » se dit-il en se promettant d'envoyer un courrier bien senti au guide Michelin afin de leur indiquer que certaines de leurs informations étaient erronées.
Les habitants de Fongo. 28 étaient des habitantes qui ignoraient le port du moindre vêtement mais pas celui de la chaussure à talons hauts. Ces huit femmes félinement musclées portaient des colifichets dans leurs épaisses et longues chevelures, des bijoux fantaisie autour du cou, des poignets, des chevilles, au bout de leurs petits seins durs, de très vieux fusils d'assauts galactiques en bandoulière et des poignards maousses passés dans des gaines suspendues à leur taille.
« Comment font-elles pour marcher dans la mousse avec autant d'élégance avec de telles chaussures ?... » se demanda le camionneur qui n'avait jamais vu de femmes aussi athlétiques et harmonieuses que celles qui venaient de stopper à quelques pas du mufle du camion.
« Bigre ! » fit Kentin tandis que son cobra déroulait ses anneaux dans son slip, prêt à cracher son stock dans toutes les directions.
Les huit femmes arboraient des visages fixes. Elles regardaient sans ciller la silhouette qui se découpait derrière la vitre de l'engin spatial. Après quelques secondes d'examen, la dame qui possédait les talons les plus vertigineux exécuta un geste de poignet élégant et tendit sa main ouverte dans un geste d'invite à l'attention du visiteur.
Dans la cabine, Kentin avala sa salive de travers. Il porta sa main à sa poitrine en haussant les sourcils et « grands talons hauts » lui répondit en hochant la tête affirmativement.
« Un contact positif vient de s'établir. » pensa le voyageur esseulé en se demandant si l'idée de sortir de sa retraite inviolable était aussi bonne que ça.
Comme ces femmes semblaient beaucoup plus intéressantes à étudier que les insectes-couteaux suisses, Kentin désactiva le bouclier défensif du camion, tapota la crosse de son arme, ouvrit la portière. Il sauta sur le sol avec agilité sans même se servir du marche-pied ménagé à cet effet.
Les dames s'exprimaient en terrien commun mâtiné d'un très fort accent qui leur faisait rouler les r. Elles déclarèrent qu'elles n'avaient pas reçu de visite extérieure depuis des temps très reculés. Elles étaient très satisfaites d'avoir l'opportunité de récolter des nouvelles concernant les humains disséminés dans la vaste diaspora galactique.
Tout en évitant de lorgner leur anatomie douloureusement fonctionnelle, Kentin répondit qu'il était à leur disposition pour les éclairer sur l'actualité des derniers siècles et que ceci était un vrai plaisir.
Les dames acquiescèrent et « grand talons hauts » qui avait aussi un très long nez élégant lui déclara sobrement.
« En ce cas, vous êtes invité à venir nous rendre visite ce soir à la nuit tombante. Vous voyez le champignon rose en forme de cœur qui pousse là-bas ? L'entrée de notre cité se trouve juste derrière. Nous vous attendons avec impatience.
- C'est fort gentil à vous ! répondit le camionneur en se demandant si elles savaient brasser de la bonne bière. A propos, mon nom est Kentin. Je suis enchanté de vous connaître. » ajouta-t-il en exécutant une parodie de révérence qu'il espérait comique.
Son effet tomba à plat. Visiblement, ces dames n'avaient pas compris sa petite facétie. Elles se regardaient avec étonnement en haussant leurs sourcils.
« Très-long-nez-élégant » restait maîtresse d'elle-même. Elle répondit après quelques secondes de battement tandis qu'une lueur d'amusement passait dans son œil noir.
- Kentin, nous sommes enchantée de faire ta connaissance. Je me nomme Balanstonpork et me tiendrai à ta disposition pour t'éclairer sur les aspects et les singularités de notre culture. »
La cité était creusée dans la paroi d'un champignon rose. Son entrée principale était gardée par deux jeunes filles très grandes et fort puissantes. Plus lourdes et épanouies que les « éclaireuses » qui s'étaient présentées aux abords de son camion, elles dégageaient aussi des vibrations érotiques puissantes. Ces dernières laissèrent passer Kentin qui ne portait sur lui que ses bottes fraîchement cirées et son fulgurant. Le jeune homme n'ignorait pas l'adage célèbre et fort sage : à Rome, fais comme les Romains. Néanmoins, comme il était un individu rusé à défaut d'être prudent, il avait dissimulé un petit derringer laser à deux coups dans le talon de sa botte droite et planqué les clefs du camion dans un compartiment secret dissimulé dans son fuselage.
Balanstonpork l'attendait dans une espèce de hall au plafond qui culminait à une vingtaine de mètres d'altitude. Elles portaient une nouvelle paire de chaussures en verre. Et un toupet de mousse pourpre au dessus de sa raie arrière qui fendait son postérieur comme une fissure rectiligne dans le marbre.
Les murs émettaient une lumière douce et pulsante comme l'arrivée d'un orgasme. Une source dévalait le long d'une paroi, remplissant un bassin naturel aux eaux bleues et limpides. Kentin nota que la température intérieure n'était ni trop froide, ni trop chaude. Ce détail était aussi un point positif.
Ils suivirent un boyau long et large et débouchèrent dans une autre salle similaire au hall d'entrée mais encore plus vaste. Deux ou trois cents femmes, filles, enfants d'âges variables mais de sexe strictement féminin se tenaient tranquillement installées sur la mousse noire et brillante qui recouvrait le sol. Des grosses dames aux seins longs et gigantesques, assisses sur des fauteuils taillés dans de la mousse végétale, donnaient la tétée à des nourrissons nus.
Sur un haut promontoire en forme de siège qui épousait ses formes aiguës, une dame d'une soixantaine d'années coiffée d'un casque de cheveux noirs dominait cette tranquille et paisible assemblée. La dame était vêtue d'une robe de tissu pourpre très fin. Elle détailla Kentin des pieds à la tête avant de l'inviter à s'asseoir d'un geste lent et majestueux de son mince bras équipée d'une longue main.
Très vite, une jeune fille apporta un panier rempli de fruits étranges accompagné d'un très grand récipient translucide dans lequel pétillait un breuvage orange. Kentin prit le très grand verre que lui tendait la jeune fille et lança un regard à la dame en pourpre. Cette dernière hocha son menton. Kentin goûta le breuvage qui était fort bon et subtilement alcoolisé.
« Ceci est à votre goût ? » demanda-t-elle avec une certaine condescendance détachée.
- Oui, oui, c'est fort aimable de votre part, répliqua l'homme qui ne savait quoi rajouter de plus et qui replongea son nez dans le verre, afin de gagner du temps.
Cette stratégie classique était bonne. La dame lui posa quelques questions concernant le lieu d'où il venait et la nature du fret qu'il transportait. Kentin répondit qu'il était natif de la Terre, qu'il venait de convoyer du matériel médical sur l'astéroïde Glotto XTH et qu'il était en train de retourner chez lui avec une cargaison de coton-tiges, lorsqu'une panne s'était produite sur son camion. Ils échangèrent ensuite quelques propos concernant les évolutions rapides de l'expansion du territoire humain au sein de la galaxie. Kentin informa son hôte que dix-sept nouveaux mondes potentiellement exploitables venaient d'être récemment découverts et que l'humain avait enfin pris contact - une centaine d'années auparavant - avec la première intelligence extra-terrestre développée recensée. Hélas, les crabes géants de la planète géante recouverte d'océans et appelée Mer par l'explorateur imaginatif qui l'avait découverte refusaient tout contact avec les humains qu'ils jugeaient, semblait-il, infréquentables. Ils tiraient à vue dès que ces derniers s’approchaient un peu trop près à bord de leurs croiseurs galactiques de combat ...
Son interlocutrice semblait recevoir ces informations d'une oreille distraite. Afin de la faire réagir, il lui posa directement la question qui lui brûlait les lèvres depuis le début de la conversation.
« Mais ? Dites moi, où sont les hommes ? J'espère qu'ils ne sont pas souffrants ?
- Non, non, pas du tout, ils vont très bien, lui répliqua la dame en riant presque aux éclats. Nos hommes sont très timides. Il ne faut pas leur en tenir rigueur. A ce propos, et comme vous passez par là, me serait-il possible de vous demander quelque chose d'assez particulier ?
- Certes, je suis à votre disposition.
- C'est fort aimable de votre part. Cela ne devrait pas vous être désagréable, d'ailleurs. »
La dame expliqua très naturellement à son invité qu'il serait important à certaines représentantes de son peuple d'échanger avec lui quelques contacts naturels afin d'apporter des gênes nouveaux au sein de la communauté. S'il lui était possible de passer quelques tests médicaux, afin de s'assurer de la bonne qualité de son pull génétique, cette démarche serait fortement appréciée.
- Hum... fit Kentin abasourdi en se grattant la gorge. Vous voulez dire que…
- Oui, c'est tout à fait cela. Vous n'avez rien contre les femmes, au moins, ceci serait fort ennuyeux … nous pourrions bien entendu vous traire artificiellement. Mais, voyez-vous, notre machine est ancienne et peu précise. Elle risquerait de vous blesser.
Kentin rassura rapidement son interlocutrice. Il lui assura, qu'au contraire, il adorait et respectait les femmes depuis son plus jeune âge. Mais, comme il était marié et qu'il aimait son épouse, la démarche qu'on attendait de lui était très délicate.
- Bah ! fit la dame en écartant cet argument de sa main. Le mariage est un concept obsolète ! Mais, si vous préférez, nous allons mettre en branle la trayeuse...
N'en faites rien. Les accouplements organiques sont vecteurs d'échanges culturels qu'il serait dommage de sous-estimer. Si je passe vos tests avec brio, j'espère pouvoir vous remercier avec enthousiasme de l'hospitalité qui est la vôtre.
A la bonne heure, c'est très aimable de votre part. »
Dès le lendemain, alors qu'il avait dormi comme un loir au sein d'une chambre agréable aux murs oblongs, on fourra Kentin dans un vieux module médical. Il en ressortit une demi-heure plus tard. Le Docteur aux talons compensés qui l'accompagnait lui déclara avec une certaine froideur que ses tests étaient satisfaisants et qu'il se devait de commencer à servir le plus rapidement possible.
Kentin attendait la suite des opérations assis sur un vaste lit lorsque Balanstonpork précédée de son long nez pointu pénétra dans la pièce.
« Salut, lui déclara Kentin un peu intimidé, je suis content que ce soit vous, car nous avons déjà été présenté. »
Sans un mot, la belle créature traversa la chambre juchée sur ses échasses érotiques et vint se poster près du lit.
Le premier contact entre les deux jeunes gens fut décevant du point de vue de Kentin. D'abord, il se ramassa un bon coup de poing sur l'arête du nez, lorsqu'il posa sa bouche sur celle de sa partenaire. Visiblement, cet espèce de transport était inconnu de Balanstonpork. En plus, cette dernière resta inerte et indifférente durant toute la durée de l'opération. Détail important qui déstabilisa le camionneur qui pensait être compétent dans cette discipline.
Toutefois, dès le lendemain, les choses s'améliorèrent d'elles-même et Balanstonpork se dérida. Au fil des jours, la jeune femme se montrait plus décontractée, voire, très concernée par ce qui se déroulait. Balanstonpork était totalement détendue, à présent. Au point de se laisser lécher en écartant largement les jambes. Une fois cette fantaisie exotique terminée, elle caressa les poils du torse de Kentin en esquissant une ombre de sourire. Le camionneur était content de lui. Même si la caresse de sa compagne évoquait un peu celle que l'on réservait à un animal de bonne compagnie. En même temps, il estimait - avec un certain cynisme libidineux- qu'il possédait pas mal de chance de lui ramoner l'orifice secondaire, d'ici quelques jours. Il venait de remarquer que son œil de bronze très élastique se dilatait comme une singularité primordiale, lorsque l'orgasme approchait.
« Il faut vraiment que je file voir mon camion... » se dit Kentin qui venait de terminer son repas dans un coin du réfectoire commun.
Il commençait à s'ennuyer ferme. Personne ne lui adressait jamais la parole. Il avait renoncé à essayer d'établir la moindre conversation avec les habitantes de cette étrange cité qui l'ignorait superbement. Et Balanstonpork n'était pas revenue depuis trois jours. Avec son long nez et son anus élastique.
Kentin se pointa près de la sortie défendue par deux gardes aux seins lourds et aux fesses très dodues. Elles l'empêchèrent de sortir en braquant les canons de leurs fusils galactiques en direction de sa tête. L'homme esquissa quelques pas en arrière et battit en retraite prudemment. Planqué derrière un pilier, il attendit patiemment la relève de la garde, sortit son fulgurant et ordonna aux deux nouvelles gardiennes de laisser tomber leurs flingues. Ce qu'elles firent docilement. Le camionneur ramassa les deux fusils et les balança dans la vaste vasque de la fontaine. Il prenait la poudre d'escampette lorsqu’un filet tomba sur ses épaules. Paf ! Quelque chose de lourd percuta l'arrière de son crâne. Il tomba dans les vapes.
« Hé ! Maman ! Faut te lever ! » fit une voix masculine éraillée au creux de son oreille.
Kentin sursauta et se redressa sur son séant. Il se sentait étourdi et faible. Sa conscience mit plusieurs longues secondes avant de rassembler les pièces éparses du puzzle de ses souvenirs.
Il se trouvait dans une cellule vaste et propre équipée de deux couchettes et d'un trou d'aisance sombre et béant ménagé dans un recoin. Le type qui se trouvait près de lui était habillé d'une ample robe grise grossièrement tissée et chaussé d'une paire de pantoufles de mousse ridicules. Cet inconnu aux cheveux hirsutes et rouges possédait un visage tragique de faune las. Son haleine empestait, certainement en raison de la pipe fumante qu'il portait au coin de sa bouche.
- Bienvenue en enfer ! Mon nom est Rex. ajouta le type avant d'aller se coucher sur le bas-flanc qui faisait face à celui de Kentin.
- Mais ?... fit ce dernier en se levant avant qu'une violente douleur ne déchire le bas de son abdomen.
- Oups ! Ça fait mal, hein ? Surtout la première fois…
Kentin se rendit compte qu'il portait la même robe que celle de son compagnon d'infortune. Il en souleva un pan et nota qu'une balafre fraiche d'une dizaine de centimètres ornait le bas de son ventre.
- Je vais t'affranchir rapidement, lui fit Rex en tirant sur sa pipe. Tu viens de passer trois semaines en coma artificiel. Les guenons en ont profité pour te coller l'embryon de celle que tu as turlupinée dans une boucle de dérivation de tes intestins.
- Quoi ? répondit Kentin qui n'assimilait pas très bien la teneur des informations que le rouquin était en train de lui fournir.
- C'est comme je te dis. Faut que tu t'y fasses. T'es désormais enceint. Comme une couille. Aussi vrai que je me nomme Rex. Et tu vas jongler. Car c'est pas la peine que tu comptes sur ton corps de couillu pour produire des hormones qui te foutrons dans une béatitude de vache en cloque...»
Rex et Kentin polissaient des gemmes dans l'enclos aux hommes. C'était un lieu en forme d'arène dans lequel une centaine d'individus à gros ventres jouaient tristement aux cartes, aux quilles, fabriquaient des chaussures à hauts-talons ou bien, des colifichets. Ces individus semblaient privés de l'énergie naturelle (dérisoire et absurde, lorsqu'on y pense...) battant ordinairement dans les veines du sapiens, quel que soit son sexe. Ceux qui n'étaient pas enceints fumaient de grosses pipes pleines d'une herbe odorante particulièrement abrutissante. Ils parlaient très peu. Et pour cause. Né en captivité, leur vocabulaire ne dépassait pas trois cents mots. Dans un enclos voisins, des garçons de tous les âges se chamaillaient. Kentin les observa quelques minutes. Notant que les individus les plus costauds passaient leurs temps à torturer les plus faibles, il se désintéressa très vite de ce spectacle navrant.
Les premiers jours, Kentin eut beaucoup de mal à digérer les informations détaillées que Rex lui fournissaient petit à petit. Le pire étant qu'il abritait un bébé dans ses entrailles et que ce dernier allait sortir, trois mois plus tard - prodige médical - lorsque les toubibs de cette maudite planète pratiqueraient une césarienne sur sa personne. Rex lui avait montré les six balafres qui décoraient son ventre distendu et expliqué qu'il était presque au bout de sa carrière de père-porteur.
Après le prochain bébé, les guenons me colleront certainement un bon coup de laser dans la tronche car je suis au bout de mon rouleau … je bande mou … c'est psychologique, j'en ai plein le cul d'être en train de couver ... faut s'y faire mais c'est pas bon pour un mâle qui se respecte, putain !… et dire que j'étais un prospecteur qui dépensait tous ses crédits au boxon, dans une vie très lointaine...
Après un temps passé à glisser sur les vagues du démoral, la volonté du camionneur de l'espace fini par reprendre le dessus. L'état dans lequel il se trouvait commençait à lui apparaître comme une aubaine formidable ! Jesika n'allait pas en revenir, lorsqu'il reviendrait avec ce bébé miraculeux dans le ventre !
« Faut que je m'évade ! » déclara-t-il à Rex qui était partant pour se faire la belle mais qui jugeait cette perspective impossible.
- Les murs de l'enclos sont trop hauts pour être escaladés. Et regarde la poutre de bois qui condamne notre cellule. Tu te sens d'attaque pour la ronger avec tes dents ?
- J'ai ma petite idée, répondit Kentin qui était encore propriétaire de ses bottes et du derringer à deux coups planqué dans la semelle.
- Tu ne trouveras pas la moindre scie dans ce patelin, pas la peine de te faire d'illusions… »
L'enclos était un espace à ciel ouvert recouvert d'une mousse mauve semblable à celle qui poussait dans la plaine. Après deux après-midi de recherche, Kentin repéra un insecte gros comme sa main équipé d'une espèce de rostre en forme de scie qui se baladait tranquillement en compagnie de ses congénères. Le jeune homme s'assit en sifflotant près de la bestiole qui broutait. Il l'attrapa dans sa main et la fourra sous sa robe, en sécurité dans le slip de bure qu'on lui avait fourni. Le prisonnier se rendit rapidement aux lieux d'aisances, ferma la porte d'un compartiment, attrapa l'insecte qui commençait à lui scier le gland et lui trancha la tête.
« On va voir ce que vaut cette scie ! » se déclara-t-il en testant la lame de huit centimètres en chitine dentelée qui semblait parfaitement efficace.
Les prisonniers se relayèrent quatre nuits avant d'arriver à bout de la poutre qui condamnait la porte de leur cellule et qui céda aux premières lueurs de l'aube. Ils sortirent prudemment dans le couloir, arrivèrent à une espèce de croisée des chemins et poussèrent doucement la porte de la chambre des gardes. Une fille dormait sur un bas-flanc, une autre lisait un livre antique relié en chagrin, assise sur un fauteuil aménagé dans un mur.
« Flash ! »
Le derringer cracha son trait rubis dans la bouche ouverte de la garde surprise. Elle tomba comme une poupée de chiffons sur le sol. Rex étrangla la seconde avec un plaisir certain et les deux hommes s'emparèrent de leurs fusils. Ils trouvèrent une petite poterne qui donnait sur un étroit boyau qu'ils suivirent avec rapidité. Cinq cents mètres plus loin, ils débouchèrent dans la plaine et filèrent en direction du camion.
Ce dernier était intact. Kentin ouvrit le compartiment dérobé, enfonça la clef dans la serrure de la portière et la tira vers lui. Une rafale laser chuinta, illuminant l'obscurité qui commençait à s'estomper. La tête de Rex s'envola. Elle rebondit dans un bruit sinistre et mat contre le fuselage de l'engin. Kentin fit volte-face, visualisa la silhouette sombre qui se découpait dans la pénombre et pressa la détente.
« Clic ! » déclara le fusil.
Le fugitif ayant oublié d'enlever le cran de sécurité dans sa précipitation. Kentin jura en tripotant l'ergot qui refusait de glisser.
La silhouette exécuta trois pas en avant.
« Balanstonpork ! » fit Kentin avalant sa salive.
La jeune femme esquissa un geste du bout du canon de son arme. Kentin laissa tomber la sienne à ses pieds. Il tenait le petit derringer qui n'avait plus qu'une seule charge dans le creux de sa main. Balanstonpork était à huit mètres. Pas facile de faire mouche à cette distance avec une arme pareille…
Ils se regardèrent durant un long moment. Au loin, le soleil embrasait l'horizon. Balanstonpork abaissa son arme. Elle s'avança et déposa ses lèvres sur celles de Kentin. Puis, elle tourna des talons et disparut.
Kentin grimpa dans le camion en faisant très attention de ne pas heurter son ventre contre quelque chose de dur. Il s'assit dans le siège de pilotage et soupira. Il pensait au long nez de sa belle fiancée. Il pensait aussi qu'être bon lécheur pouvait s'avérer vital dans certaines circonstances. Kentin alluma l'ordinateur et quitta la planète des femmes.