Une histoire d'amour qui finit mal, dans un resto intitulé le roi de la moule.
L’histoire est écrite au poignard dans ma chair. À ma connaissance, il n’y aura pas de date butoir à l’issue de l’entretien, musclé je ne sais pas, seulement des dattes déposées au lavoir de la commune centrale, lorsque j’aurai fini mon récit. C’était le deal avec le gouvernement de la circonscription. Une poignée de mains ferme contre la sincérité de mes aveux. Et on s’arrêtait là. Juste un avertissement, rien de plus. Je leur devais la loyauté, ils passeraient l’éponge. Des histoires de fruits et de parloir, ou plutôt de bruits et de bœuf tartare, conjugués à la marée motrice des sentiments, à la force destructrice des sensations. Voilà, tout a commencé comme ça. Un son mat, des œufs clarifiés, des câpres et un hachoir à viande inox n°10.
Nous sommes dans une grande boîte en verre, hérissée de murs transparents avec, plantées dans le béton, deux chaises fixées autour d’une table en teck aux angles affûtés. Il me pose la question qui tue, sans point d’interrogation, vous l’imaginez. Juste une lame dans la voix :
- Qu’est-ce qui vous a pris
- Personne ne m’a pris.
- Qu’est-ce qui vous est passé par la tête alors
- Rien ne m’a traversée dans ce sens
- Vous perdez les pédales
- Impossible, je fais de la course à pieds
- Vous voulez jouer au plus malin
- Faites ce que vous voulez, on finira par savoir.
- Savoir quoi ? J’ai rien à vous dire. Ça me regarde. De quel droit osez-vous ?
- C’est cette histoire de faire-valoir, qui nous chiffonne. Ça colle pas.
Le prévenu frissonne sous le poids du délit. Il ne dira rien, même au purgatoire. Ni le pourquoi, ni le comment, et surtout pas le rôle du hansart. Il pense : « J’ai peut-être mis trop de câpres ? »
- On va faire autrement. Reculez votre chaise. Levez le menton de façon à regarder le néon. Je dois entendre votre visage et voir vos oreilles pour réaliser la bande-son de votre sourire. On le sait tous les deux, non ? L’histoire a débuté ainsi. À cause d’un putain de sourire. À d’autres que moi le problème des dattes. C’est surtout l’éclair, cette grâce dans la voix qui avait le son de l’évidence. Le tressautement de la paupière va faire écho au grésillement de la lumière. C’est normal, c’est fait exprès. Je vais l’observer. Vous ne devez pas bouger. La musique en pointillés va m’informer puisque, hélas, vous ne souhaitez pas coopérer. Ne bougez plus, c’est un ordre.
L’entretien reprend, avec tact et vélocité. L’ambiance est moite. L’interrogateur, en voyant son interlocuteur transpirer, commence à comprendre. C’est le tressautement de la paupière droite. L’accusée reprend entre quatre murs cristallins, qui n’opposent que du noir, le gouffre d’un sens, la caresse d’une démence, la carence d’une tendresse.
On était là, à 12 h 03, sur la place. On jette un œil au menu, le serveur arrive et on commande dans l’urgence. À ce moment-là, je savais déjà. Je savais que ça ne s’arrêterait pas là. Je savais que c’était inévitable. Dans ces cas-là, vous ne pouvez rien faire, c’est comme ça. Le choc est inévitable. Sans écho, pas de notes, juste un fracas, un émoi. Un impact lent et silencieux, une déflagration muette, sans image, sans le son, juste un soupçon. Une étrange impression de savoir parce qu’on sent. Ça se passe là, à l’intérieur, un truc se tord et vous réchauffe l’estomac le cœur le ventre un truc là au centre ça part du milieu qui vous hache du début à la fin du repas lui une salade moi un bœuf tartare mais je n’aime pas les câpres je lui avais pourtant dit l’œuf jaune dégouline sur le bords de la viande crue le serveur revient je n’aime pas les câpres je vous l’avais pourtant signalé et là il me répond c’est la faute du hachoir à viande inox n°10 mais c’est quoi cette histoire le rapport avec les câpres en dessert une mousse au chocolat pour lui pour moi une tarte citron avec faisselle le brouillard dans mon esprit je suis ailleurs réalité parallèle ou perpendiculaire je ne sais plus je suis ailleurs quelque part rien n’existe à part nous deux dans ce restaurant de la plus belle du monde il part je pars échange de livres de textes oubli d’un sac et là, déjà, mélange de je suis pas bien et je suis euphorique, le nuage plonge dans le vide dérapage virage et dissolution dans l’espace-temps
- OK, OK mais vous n’aviez pas le droit ? Vous le savez.
- Pourquoi, en quoi la tarte au citron serait-elle interdite ?
- Pourquoi faire le malin alors que je vous offre l’occasion de tout avouer ?
- ….
- Allez-y, continuez.
Et là, je sais que j’ai raison mais j’angoisse. Avec vos questions, vous ne comprenez rien, il n’y a pas de démonstration, pas de logique ou une quelconque rationalité dans cette histoire. Je m’en fous de vos dattes, je suis déjà morte. Les viscères étalées sur le carrelage blanc. Du sang partout, c’est crade et ça pue. Une vieille odeur de renfermée et de poisson pourri. C’est un resto avec des produits de la mer. OK, j’ai signé pour me sauver mais c’est déjà fini pour moi, j’ai tout perdu. Le mensonge, ça vous ronge de partout, même quand vous faites le bien, des vagues de fourmis dans les bras et les doigts, tremblements sueurs froides, éclairs dans le dos, dans les bras les doigts jusqu’au bout du corps.
- Accouchez maintenant, votre histoire est trop longue.
- Ok.
Ce jour-là il s’est pointé avec sa petite gueule d’ange, l’air fier. Il n’était pas seul. Il y avait cette petite pute de Chloé, la blonde badass. Il m’avait toujours dit que c’était une amie, une simple amie. Que je ne devais pas être parano, me faire des films ou croire sans cesse aux complots. Puis il l’a embrassé le bâtard, avec la langue. Des roulements, de la bave, pour que tout le monde voit. Le hasard, j’étais là, il ne savait pas, c’était écrit. Je me suis dirigé vers le fond de la cuisine du resto, j’ai saisi le premier ustensile disponible, un hachoir à viande. Puis j’ai couru, saisi par le démon de la jalousie et de l’enfer. Et là face à lui, il ne me restait plus qu’une chose à faire, lui arracher la biroute d’un geste rageur.
Le sang giclait, c’était beau. Une cascade écarlate, la sève sacrifiée de toutes les battues, de toutes les disparues. Dans les cris de panique et les hurlements terrifiés, la sidération était totale. Il l’avait bien mérité le salaud. J’étais donc son putain de faire-valoir, la meuf cool avec qui l’on sort, qui fait pas trop chier. Je me doutais bien que c’était un queutard, un putain de queutard, mais à ce point-là. Le porc. Je l’ai désintégré.
- Merci pour votre loyauté, Madame Souleuvre.
Puis l’agent me serre la main avant de me laisser partir.
- Une dernière chose. Comme convenu, vous allez être libérée au titre du service rendu à la collectivité. Vous avez œuvré au bien commun. Vous trouverez les dattes au lavoir de la commune centrale, vous signerez le papelard et vous serez libre.
- Merci
Un dernier face-à-face, la femme et l’agent se regardent. C’est très net, sa paupière droite tressaille.
Elle a menti.
Nous sommes dans une grande boîte en verre, hérissée de murs transparents avec, plantées dans le béton, deux chaises fixées autour d’une table en teck aux angles affûtés. Il me pose la question qui tue, sans point d’interrogation, vous l’imaginez. Juste une lame dans la voix :
- Qu’est-ce qui vous a pris
- Personne ne m’a pris.
- Qu’est-ce qui vous est passé par la tête alors
- Rien ne m’a traversée dans ce sens
- Vous perdez les pédales
- Impossible, je fais de la course à pieds
- Vous voulez jouer au plus malin
- Faites ce que vous voulez, on finira par savoir.
- Savoir quoi ? J’ai rien à vous dire. Ça me regarde. De quel droit osez-vous ?
- C’est cette histoire de faire-valoir, qui nous chiffonne. Ça colle pas.
Le prévenu frissonne sous le poids du délit. Il ne dira rien, même au purgatoire. Ni le pourquoi, ni le comment, et surtout pas le rôle du hansart. Il pense : « J’ai peut-être mis trop de câpres ? »
- On va faire autrement. Reculez votre chaise. Levez le menton de façon à regarder le néon. Je dois entendre votre visage et voir vos oreilles pour réaliser la bande-son de votre sourire. On le sait tous les deux, non ? L’histoire a débuté ainsi. À cause d’un putain de sourire. À d’autres que moi le problème des dattes. C’est surtout l’éclair, cette grâce dans la voix qui avait le son de l’évidence. Le tressautement de la paupière va faire écho au grésillement de la lumière. C’est normal, c’est fait exprès. Je vais l’observer. Vous ne devez pas bouger. La musique en pointillés va m’informer puisque, hélas, vous ne souhaitez pas coopérer. Ne bougez plus, c’est un ordre.
L’entretien reprend, avec tact et vélocité. L’ambiance est moite. L’interrogateur, en voyant son interlocuteur transpirer, commence à comprendre. C’est le tressautement de la paupière droite. L’accusée reprend entre quatre murs cristallins, qui n’opposent que du noir, le gouffre d’un sens, la caresse d’une démence, la carence d’une tendresse.
On était là, à 12 h 03, sur la place. On jette un œil au menu, le serveur arrive et on commande dans l’urgence. À ce moment-là, je savais déjà. Je savais que ça ne s’arrêterait pas là. Je savais que c’était inévitable. Dans ces cas-là, vous ne pouvez rien faire, c’est comme ça. Le choc est inévitable. Sans écho, pas de notes, juste un fracas, un émoi. Un impact lent et silencieux, une déflagration muette, sans image, sans le son, juste un soupçon. Une étrange impression de savoir parce qu’on sent. Ça se passe là, à l’intérieur, un truc se tord et vous réchauffe l’estomac le cœur le ventre un truc là au centre ça part du milieu qui vous hache du début à la fin du repas lui une salade moi un bœuf tartare mais je n’aime pas les câpres je lui avais pourtant dit l’œuf jaune dégouline sur le bords de la viande crue le serveur revient je n’aime pas les câpres je vous l’avais pourtant signalé et là il me répond c’est la faute du hachoir à viande inox n°10 mais c’est quoi cette histoire le rapport avec les câpres en dessert une mousse au chocolat pour lui pour moi une tarte citron avec faisselle le brouillard dans mon esprit je suis ailleurs réalité parallèle ou perpendiculaire je ne sais plus je suis ailleurs quelque part rien n’existe à part nous deux dans ce restaurant de la plus belle du monde il part je pars échange de livres de textes oubli d’un sac et là, déjà, mélange de je suis pas bien et je suis euphorique, le nuage plonge dans le vide dérapage virage et dissolution dans l’espace-temps
- OK, OK mais vous n’aviez pas le droit ? Vous le savez.
- Pourquoi, en quoi la tarte au citron serait-elle interdite ?
- Pourquoi faire le malin alors que je vous offre l’occasion de tout avouer ?
- ….
- Allez-y, continuez.
Et là, je sais que j’ai raison mais j’angoisse. Avec vos questions, vous ne comprenez rien, il n’y a pas de démonstration, pas de logique ou une quelconque rationalité dans cette histoire. Je m’en fous de vos dattes, je suis déjà morte. Les viscères étalées sur le carrelage blanc. Du sang partout, c’est crade et ça pue. Une vieille odeur de renfermée et de poisson pourri. C’est un resto avec des produits de la mer. OK, j’ai signé pour me sauver mais c’est déjà fini pour moi, j’ai tout perdu. Le mensonge, ça vous ronge de partout, même quand vous faites le bien, des vagues de fourmis dans les bras et les doigts, tremblements sueurs froides, éclairs dans le dos, dans les bras les doigts jusqu’au bout du corps.
- Accouchez maintenant, votre histoire est trop longue.
- Ok.
Ce jour-là il s’est pointé avec sa petite gueule d’ange, l’air fier. Il n’était pas seul. Il y avait cette petite pute de Chloé, la blonde badass. Il m’avait toujours dit que c’était une amie, une simple amie. Que je ne devais pas être parano, me faire des films ou croire sans cesse aux complots. Puis il l’a embrassé le bâtard, avec la langue. Des roulements, de la bave, pour que tout le monde voit. Le hasard, j’étais là, il ne savait pas, c’était écrit. Je me suis dirigé vers le fond de la cuisine du resto, j’ai saisi le premier ustensile disponible, un hachoir à viande. Puis j’ai couru, saisi par le démon de la jalousie et de l’enfer. Et là face à lui, il ne me restait plus qu’une chose à faire, lui arracher la biroute d’un geste rageur.
Le sang giclait, c’était beau. Une cascade écarlate, la sève sacrifiée de toutes les battues, de toutes les disparues. Dans les cris de panique et les hurlements terrifiés, la sidération était totale. Il l’avait bien mérité le salaud. J’étais donc son putain de faire-valoir, la meuf cool avec qui l’on sort, qui fait pas trop chier. Je me doutais bien que c’était un queutard, un putain de queutard, mais à ce point-là. Le porc. Je l’ai désintégré.
- Merci pour votre loyauté, Madame Souleuvre.
Puis l’agent me serre la main avant de me laisser partir.
- Une dernière chose. Comme convenu, vous allez être libérée au titre du service rendu à la collectivité. Vous avez œuvré au bien commun. Vous trouverez les dattes au lavoir de la commune centrale, vous signerez le papelard et vous serez libre.
- Merci
Un dernier face-à-face, la femme et l’agent se regardent. C’est très net, sa paupière droite tressaille.
Elle a menti.