Une histoire vraie

Le 25/07/2025
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par François LEBAS
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Thèmes / Débile / Vie quotidienne
Ce texte nous plonge dans le Paris des années 1990. Le style réaliste, mêle narration fluide et langage oral familier. On suit l’histoire hallucinante de Fabien, plongé dans une nuit infernale à la Kafka. Après un rendez-vous manqué, Fabien se retrouve, malgré lui, au cœur d'une rixe. Accident de voiture. Arrestation. Accusation. Fabien se retrouve les fers aux poignets et cherche à prouver son innocence. La tension est palpable et va crescendo. Une tranche de vie à déguster avec nostalgie.
Une soirée à Pigalle, un rendez-vous manqué, une série d’événements absurdes… Voici le récit, entièrement vrai, d’un engrenage kafkaïen dans lequel Fabien, un type ordinaire, a plongé sans l’avoir vu venir.
Une nuit particulière












À Fabien, bien évidemment.














Bienvenue à Paris
Octobre 1991, Paris 18ème. Vendredi soir - 18h

Je m’appelle Fabien, je suis parisien seulement depuis quelques mois, j’habite avec ma copine Géraldine à Belleville, rue du Borrégo, dans le 20ème. On se connaît depuis le collège, j’ai 25 ans, elle en a 24.
Je travaille comme graphiste depuis peu de temps aux éditions Ziff Davis, rue Thierry Le Luron à Levallois Perret. C’est un énorme groupe de presse américain qui vient d’arriver en France et qui a décidé de plier le marché de la presse informatique en débauchant la concurrence et en créant les magazines PC Direct et PC Expert. On bosse comme des sourds tous les jours de 10 à 22h pour sortir le numéro 1. Ce boulot me plaît bien et je sens que je vais vite pouvoir évoluer dans cette entreprise.
Il est 18h, il pleut, je sors épuisé de ma semaine mais on est vendredi et comme très très souvent le vendredi, j’ai rendez-vous avec des potes bretons comme Christian, Olive, Vevette ou Zög, pour écumer 2/3 bars, voir se faire un ptit resto. Cela se termine souvent chez l’un ou l’autre, à écouter du rock, reboire des bières et fumer des pétards, bref, la belle vie parisienne.
Ce soir-là, c’est avec Olive que j’ai rendez-vous pour boire quelques bières et se raconter notre semaine. Olivier Le Pors, je l’ai connu à Rennes deux ans auparavant, il était serveur à la Trinquette, rue de Saint-Malo, mon bar préféré, on est vite devenus amis. On a quitté Rennes à peu près en même temps pour se retrouver à Paris avec la ferme intention de continuer à peaufiner notre culture du bistrot ! On était friands (et nous le sommes toujours) de rades insolites, du genre pas trop fréquentables comme Chez Carmen à Montmartre, tenu par une ancienne gagneuse où l’on pouvait croiser Manu Tchao ou encore au bar « La Divette », rue Marcadet, qui était jumelée avec…La Trinquette à Rennes, le hasard quand même !
Mais ce soir, c’est au bar des Abbesses que j’ai rendez-vous. Je prends le métro à Levallois pour aller vers Pigalle. À 18h30, me voilà accoudé au bar, « un demi svp ! ». On est vendredi soir, l’ambiance est festive, je me réjouis de voir Olive.
19h00, il n’arrive pas. Bon, ben je reprends un demi, cela va le faire venir.
19h30, toujours pas d’Olive. Évidemment, il n’y avait pas de portable à cette époque. On a oublié cette sensation d’attente sur laquelle nous n’avions aucune emprise, on devait la subir, c’est tout. De nos jours, au bout de dix minutes, j’aurais envoyé mon petit sms.. L’attente engendre la cogitation, je me dis que j’ai peut-être mal compris ou confondu le lieu de rendez-vous.
Je décide alors de descendre vers le boulevard Rochechouart pour rejoindre « le Trou Gaulois », autre lieu haut en couleurs de Pigalle, en me disant « au pire, je peux y retrouver d’autres potes ». Je me présente au bar, je reprends une bière, cela donne une contenance.
Personne, enfin si, un panel de clients hétéroclites allant du jeune dealer au papi saoul à toute heure mais pas une seule connaissance. Allez j’en prends une petite dernière avant de rentrer à la maison, un peu déçu, forcément.
Lorsque je suis fatigué, j’aime bien rentrer à pied, la tristesse du métro m’a toujours un peu gonflé et l’idée de marcher une heure pour rentrer me plaît bien, cela me permet de continuer à décompresser de ma journée et de me remettre de ma déception.
Je quitte le « Trou Gaulois » avec un ptit coup dans les carreaux et je commence à remonter le boulevard Rochechouart pour me diriger vers le 20ème, le nez au vent, la pluie s’est arrêtée pour l’instant.
Au bout de quelques minutes de marche, je vois en face de moi, à une cinquantaine de mètres, une bande de jeunes qui se dirige dans ma direction. Ils sont nombreux, je dirais une dizaine, tous en survêtement, le dress code des gars de banlieue à cette époque. Ils ont l’air bien excités, leurs pas s’accélèrent et j’en arrive à me demander si ce n’est pas après moi qu’ils en ont !
Je comprends bien vite que non lorsque je me retourne et que j’aperçois une voiture arrivant vers moi avec d’autres jeunes à bord, les bras sortis par les fenêtres, eux aussi ont l’air bien énervés : ils hurlent, insultent la bande d’en face qui est en train de courir vers moi ! Mon pouls s’accélère brusquement : me voilà au beau milieu d’une rixe entre bandes rivales, les joies de Pigalle.
Dans ces moments-là, tout va très vite, j’ai à peine le temps de me dire que je vais calmer le jeu que je sens un gros choc derrière la tête, je tombe au sol et je perds connaissance… Le projectile lancé de la voiture destiné aux excités qui courraient, est pour moi et pas qu’un peu.
J’ai dû perdre conscience 20 ou 30 secondes, difficile à dire. J’essaye de reprendre mes esprits. Je suis toujours au sol, je saigne abondamment, je sens ce liquide chaud couler sur ma nuque. Je ne sais pas ce qui s’est passé pendant ma syncope mais quand j’essaie de me relever, les deux bandes ont disparu. Au même instant, une Austin mini s’arrête à mon niveau, un homme en surgit et arrive vers moi en m’invectivant, il sort une flingue, me braque et me dit «  Tu étais dans la baston, c’est quoi ce bordel ? »
Je lui réponds que non, je n’ai rien à voir là-dedans, je me suis juste retrouvé au milieu d’une bagarre, je ne les connais pas !
Il range son pistolet et me dit « Je suis flic, on va mettre ça au clair mais d’abord je t’emmène à l’hôpital, tu pisses le sang là.»
Quelle merde ! Géraldine va être inquiète et mon beau blouson en cuir d’agneau est bien taché de sang mais il faut me recoudre, va pour l’hôpital.
À peine monté dans la voiture, le flic démarre en trombe et roule comme un cinglé boulevard de Clichy pour se diriger vers l’hôpital Bichat. Je lui redis que vraiment je n’ai rien à faire dans cette histoire. Et là il commence à me tenir des propos super racistes : « On voit que t’es français toi, pas comme ces sales arabes qui étaient en train de se battre, c’est sûrement eux qui t’ont balancé une canette en verre dans la gueule, foutus ratons, putain de bougnoules ! »
Je suis scié, comment un mec peut tenir de tels propos face à un inconnu ? Je n’ai jamais eu une bonne image de la police mais celui-ci bat tous les records ! J’ai envie de l’insulter à mon tour mais bon, il est flic, il m’emmène à l’hosto, entre le choc et les bières, je n’ai pas la force de me rebeller. Sa conduite ne me donne pas non plus envie de le contrarier, je commence à bien stresser tellement il zigzague entre les voitures comme un fou. La vitesse est élevée, la pluie battante est de retour.
En arrivant vers le périphérique, il déboite à gauche, puis à droite, je commence vraiment à avoir peur et je n’ai pas le temps de lui demander de lever le pied qu’il me fait un superbe aquaplaning en voulant passer entre deux voitures. Dans la perte de contrôle, notre voiture vient taper violemment l’arrière gauche d’une splendide 205 GTI…
Avec le choc et la vitesse, la Mini Cooper se retourne sur le toit et nous glissons vers un feu tricolore, j’ai beau être à l’envers, je le vois bien arriver ce feu.
À l’impact, je perds de nouveau connaissance.











Le fou du périph
Octobre 1991, Paris 18ème. Vendredi soir - 21h15

Je me réveille sur la chaussée et tout de suite j’entends des mecs m’insulter, j’ai vraiment l’impression qu’ils veulent me péter la gueule ! C’est pas possible ! Rapidement les pompiers arrivent sur place et me prennent en charge. Je comprends que ce sont les propriétaires de la 205 GTI, qui veulent ma peau : « t’as pété la voiture de mon frère, enculé, il est flic, ça ne peut pas se passer comme ça ! ». Les pompiers sont obligés de m’isoler et de me protéger de ces 3 types dont un flic apparemment.
Je leur réponds : « Dans ce cas vous allez pouvoir vous arranger avec votre collègue, c’est lui le conducteur ». Les gars et les pompiers me regardent hébétés : « quel conducteur ? C’est toi qui conduisais ! ». C’est seulement là que je réalise que le « flic » a disparu, il s’est évaporé pendant ma syncope, les gars à la 205 ne l’ont pas vu, personne ne l’a vu… Putain mais c’est quoi ce délire !
J’ai beau leur expliquer que j’étais côté passager, rien à faire, ils n’ont vu que moi. Je commence aussi à m’énerver, merde en moins de 20 minutes, j’ai pris une bouteille et un feu tricolore et maintenant on m’accuse d’avoir provoqué un accident !
Les pompiers me calment et me disent qu’ils m’emmènent à l’hôpital pour me recoudre. C’est à ce moment que les flics sont arrivés. Les vrais flics. Ils montent dans le camion, les pompiers leur indiquent que je dois être hospitalisé, ils répondent : « On s’en occupe, toi, tu viens avec nous ».
Assis à l’arrière de la voiture de police, menottes aux poignets, en route vers l’hosto, l’un des deux flics me demande : « Pourquoi t’as fait ça ? »
- « Pourquoi j’ai fait quoi ? »
- « Pourquoi tu as volé cette voiture ? »
- « Mais je ne l’ai pas volée ! » Et me voilà à raconter l’histoire, la rixe, la canette, le flic qui me braque, l’accident …
« Tu te fous de nous ? » répond le second, « ta blessure à la tête, c’est l’accident de voiture, tu ne vas pas nous faire croire que c’est arrivé autrement, t’es mytho ou quoi ? On a retrouvé ta carte orange dans le véhicule (ben oui du con, tout a valdingué pendant l’accident). T’es pas dans la merde mon gars, t’es bon pour 1 an à Fleury toi. »
De mieux en mieux, je suis voleur de voiture maintenant. Comment passer d’un rendez-vous manqué à la case prison.
Nous arrivons aux urgences de Bichat, les infirmiers me prennent en charge rapidement et me font mes 5 points de sutures. Les flics ne veulent pas me lâcher d’une semelle. Un gars s’est échappé la semaine dernière en sautant par la fenêtre pendant un soin… Ils me considèrent vraiment comme un truand s’ils pensent que je suis capable de m’échapper. Ils reviennent à la charge :
- « Dis donc ton copain là, il avait un flingue tu nous as dit ? »
- « Oui, je confirme mais ce n’est pas mon copain, je vous répète que je ne le connais pas. »
Silence. On sort de la salle de soins et dans le couloir les flics me montrent un homme allongé sur un brancard, il se tient le ventre.
- « Regarde ce qu’il a fait ton pote, il lui a mis une bastos dans le bide. On a retrouvé ce gars à 200 mètres de ton accident, on soupçonne ton pote de l’avoir shooté en s’échappant. Le pauvre a dû essayer de s’interposer, pas de chance pour lui. C’est qui ton copain ? »
« Mais c’est pas mon pote putain ! Je ne le connais pas ! »
« Ta gueule. On va au commissariat. »
Ok, donc maintenant je suis complice d’une agression par balle, cela va s’arrêter quand ce bordel ? Les mauvaises nouvelles s’enchaînent tellement vite que j’ai du mal à y croire. Au moins les flics commencent à envisager un autre conducteur de la Mini mais si c’est pour aggraver mon cas, je ne sais plus quoi penser.
Quand je m’écoute raconter l’histoire, même moi je ne me crois pas ! « C’est pas moi, je ne le connais pas » …gnagnagna …tous les coupables parlent comme ça ! Et c’était qui ce faux flic , un fou ? un défoncé ? un justicier raciste ? Et il a tiré sur ce type ! Je n’ai pas entendu de coup de feu, j’étais inconscient. Mais les gars à la 205, ils n’ont rien entendu eux ? Entre les montées d’adrénaline, les chocs, j’ai du mal à bien réfléchir, j’ai besoin de me recentrer. Mes camarades policiers ne sont pas de cet avis. Ils ne me lâchent pas :
- « Vol de voiture, mise en danger de la vie d’autrui, complicité de violence aggravée avec arme, t’es vraiment dans la merde jusqu’au cou. »
On arrive au commissariat du 18ème, enfin le premier, je brise le suspense tout de suite il y a trois commissariats dans le 18ème, j’ai fait les trois dans la nuit.


La tournée bleue
Octobre 1991, Paris 18ème. Vendredi soir - 23h

Ah l’ambiance douce et feutrée des commissariats parisiens. Je suis tout de suite dirigé vers un bureau pour interrogatoire. Je me retrouve face à un inspecteur de la Brigade Anti Criminalité qui est digne d’un mauvais film policier des années 80. Santiags noires posées sur le bureau, le holster en cuir et son énorme flingue bien en évidence, la belle moustache de vainqueur, sa lampe dans ma face, le ton d’emblée agressif, la BAC quoi.
Je me rassemble et lui raconte l’histoire de A à Z, il m’écoute avec un sourire en coin et me dit :
- « Ok, super, mais pourquoi t’as fait ça ? C’est qui ton copain ? Son nom ? Prénom ? »
C’est pas gagné, je ne raconte que la stricte vérité mais l’histoire est tellement rocambolesque qu’elle perd en crédibilité, que puis-je dire ? Je n’arrive pas à trouver un point d’accroche qui pourrait peser en ma faveur, il est hors de question que je sorte de cette vérité. La situation est déjà assez injuste comme ça.
Retour en cellule, l’occasion de croiser des compagnons hauts en couleur : une vieille prostituée blasée, un SDF aviné. La cellule est immonde; imprégnée d’une puanteur, mélange de sueur, d’urine et d’excréments. Ces cellules ne sont jamais nettoyées pour que cet inconfort pèse sur les détenus, les use et les pousse à parler plus facilement sous la pression de l’interrogatoire.
Je n’ai le droit qu’à un seul coup de fil : j’appelle mon domicile en espérant tomber sur ma compagne Géraldine. Pas de réponse, quand c’est la loose, c’est la loose. Je laisse un message sur le répondeur à cassette.
Mon collègue SDF a envie de pisser. Le flic de garde lui répond : « Pas de sortie, tu pisses dans la cellule ». Et vas-y.
Au bout d’une ou deux heures, un flic vient me chercher pour m’emmener dans un autre commissariat, sans explications. Je prends conscience pour la première fois du poids du regard des gens lorsque je sors dans la rue, menottes dans le dos encadré par deux policiers. J’ai envie de leur crier : « j’ai rien fait putain ! » Je sais que cela ne sert à rien. Ce sentiment d’impuissance commence à peser lourd, comment vais-je me sortir de ce merdier ?
Dans le fourgon, une jeune fliquette fait du zèle pendant le trajet devant son collègue. Assise en face de moi, elle pose ses pieds sur mes genoux. Je lui dis : « ça va oui ? » Elle se lève et me met une grande tarte dans la tronche « ferme-là ptit con, je fais ce que je veux ok? ». J’hallucine ! Depuis le début de mon aventure, je n’ai pas croisé un seul policier sympa et compréhensible, capable de m’écouter. Tu as toujours tort avec ces gens. Donc je la ferme et j’attends la prochaine station.
Nouveau commissariat, nouvel inspecteur, toujours aussi caricatural. Le gun bien en évidence, un homme, un vrai.
Il y a une autre personne présente dans le bureau, un type d’une cinquantaine d’années, plutôt propre sur lui, il n’a pas le look « BAC ». Je m’assois, je réponds aux questions de l’inspecteur et je comprends rapidement que ce monsieur est le propriétaire de l’Austin Mini. Enfin, le père de la propriétaire, la voiture appartient à sa fille qui est partie en voyage le jour même.
L’inspecteur m’explique que ce monsieur porte plainte contre moi. J’étais dans le véhicule donc je l’ai volé. Ben voyons.
Le type me regarde l’air compatissant, il est sincère, plutôt sympa mais il me demande : « Mais pourquoi vous avez fait ça ? Vous vous rendez compte, la voiture est morte, je vais devoir l’annoncer à ma fille et gâcher ses vacances en Guadeloupe ». J’ai beau lui dire que ce n’est pas moi, que je suis désolé pour lui et sa fille mais que je ne suis pas responsable de tout ça. Comme tout le monde, il ne me croit pas et me ré-demande pourquoi j’ai fait ça. Je n’ai pas la force de m’énerver et je ne suis pas loin de me résigner.
Retour en cellule avec de nouveaux copains, il est 3 heures du matin, l’ambiance devient de plus en plus électrique. Mes compagnons de galère, je m’en rappelle bien car c’étaient des sacrés spécimens : Tonio, un franco-portugais et un grand black dont j’ai oublié le prénom, un mec super balèze, une vraie marmule, très sympa. On commence à se raconter nos aventures.
Tonio est en attente d’interrogatoire, sa copine est en train d’être entendue par la BAC. Il me raconte qu’il fait du trafic de chèques. Il cambriole les entreprises, dérobe les carnets de chèque, s’en sert ou les revends. La police le recherche depuis 1 an. Lorsque sa copine retourne dans la cellule d’à côté, il l’insulte : salope, c’est toi qui m’as balancé pour sauver ta peau ! 2 minutes après il lui dit qu’il l’aime, qu’il regrette. Il est confus ce garçon.
Quand à mon autre camarade, les flics l’ont reconnu, c’est un boxeur professionnel congolais si mes souvenirs sont bons. Il s’est fait arrêter à l’aéroport, il est poursuivi pour proxénétisme. Le mec est super cool, tranquille. Il nous raconte que sa compagne, star de la chanson créole, est en train de chanter au Zénith (j’ai malheureusement oublié le nom du groupe), il est chagriné d’avoir raté ce concert. Il rassure Tonio : « T’inquiète pas, je connais bien la taule, je pourrais te faire passer du shit si besoin, ça va le faire tranquille, tu vas prendre 1 an, tu vas faire 4/5 mois, je t’aiderai ».
À mon tour de me lancer dans mon récit, même eux ne me croient pas, c’est dire ! Cela accentue un peu plus mon désespoir, personne ne me soutient dans cette affaire. Mais qu’est-ce que je fous là ? Je vais partir en prison, je vais perdre mon boulot, ma demande de carte de journaliste, je peux m’asseoir dessus. Et avec Géraldine, je n’ose y penser.
Le proxénète nous dit : « Vous n’avez pas faim les gars ? »
Je suis mort de faim, mon dernier repas remonte à 13h, il est 5 h du mat. Depuis que je suis dans ce bourbier, personne ne m’a proposé quoi que ce soit à manger ou boire. Lorsque je leur ai dit que j’avais faim, ils m’ont bien fait comprendre que je pouvais me gratter.
Et là, mon grand black interpèle un flic, il lui demande d’appeler sa chérie. Bon. Incroyable ! 45 minutes plus tard un coursier arrive avec une énorme corbeille de fruits. Tout le monde se régale, les détenus comme les flics. Comment ? Pourquoi ? Je n’en sais rien mais je me goinfre de mangues et d’ananas.
Tonio enchaîne avec sa prouesse, il était incroyable aussi ce gars. Il nous demande si on n’a pas envie de fumer une clope. Carrément ! Notre boxeur refuse, normal. Tonio demande à aller aux toilettes, il a repéré un paquet de clope sur le bureau d’un des flics. Je ne sais pas comment il a fait mais au retour des toilettes, il avait 4 cigarettes dans sa chaussette ! Le mec a réussi à prendre discrètement le paquet en passant devant, en a pris 4 dans les toilettes et l’a reposé sur le bureau sur la route du retour en cellule. Je suis épaté et cela me permet un instant de penser à autre chose. Cette cigarette n’est pas si bonne, elle a le goût du stress.
En fin de nuit, nous avons assisté au passage à tabac d’une bande de jeunes des banlieues par la police. 3 blacks de 14 ans max se sont fait tabasser durement par un policier antillais et ses collègues sous nos yeux : coups de pieds au sol, coups de poing. Les gamins avaient volé une voiture et failli écraser un flic pendant leur délit de fuite. On leur a demandé d’arrêter avec mon fournisseur de fruits et mon voleur de chéquier, en vain. Comme quoi, il y a 30 ans l’ambiance était déjà très tendue dans les commissariats parisiens.





L’issue
Octobre 1991, Paris 18ème. Samedi - 8 h

Le jour se lève, je me demande bien à quelle sauce je vais être mangé quand on m’emmène dans le troisième commissariat du 18ème.
Lorsque je rentre dans le bureau pour mon troisième interrogatoire, miracle : l’inspecteur que j’ai en face de moi n’a pas de gun à la ceinture, n’a pas le look de ses confrères cow-boy, il est poli et plutôt avenant. La première chose qu’il me dit ?
- « Vous avez peut-être faim ? Vous voulez un café ? »
Cette petite attention suffit à me faire craquer complètement, je fonds en larmes, je m’écroule littéralement, je n’arrive plus à dire un mot tellement je pleure, je lâche le stress qui s’est accumulé pendant ces quelques heures. Enfin, enfin ! C’est la première personne qui me parle gentiment, il va peut-être m’écouter.
Je reprends mes esprits et pendant que son collègue va me chercher un sandwich, je lui raconte mon histoire, je suis exténué mais je me concentre pour saisir cette opportunité.
Il ne me dit pas qu’il me croit mais je le sens plus réceptif, il me rappelle que je suis bien dans la merde, qu’ils vont me garder encore et que je vais passer en correctionnelle.
Je repars en cellule.
Il est 15h, l’enquête a avancé durant la nuit et la matinée. Je suis de nouveau convoqué par mon gentil inspecteur. Il m’expose l’avancée du dossier. L’Austin Mini a été volée vers 16h hier du côté de Versailles. Les flics ont vérifié mon emploi du temps : il y a une pointeuse au bureau qui prouve que j’ai quitté mon travail à 18h15, je n’ai pas pu voler cette voiture ! Mais oui bien sûr ! Pourquoi n’y ai-je pas pensé avant ? Ces gestes automatiques on les oublie tellement vite… Me voilà tout de même un peu plus crédible. Ils ont mené une enquête de voisinage à Pigalle, personne n’a rien vu de la rixe, évidemment.
Et il enchaîne avec ces mots magiques : « vous pouvez partir. Vous serez convoqué ultérieurement pour un jugement. ». Avant de me laisser partir, l’inspecteur me demande si je souhaite appeler quelqu’un. C’est alors que je pense à Géraldine. Mauvaise idée.
J’appelle chez moi, je tombe sur Géraldine qui commence à m’agresser : « qu’est que c’est que cette histoire, qu’est ce que tu as fait encore comme conneries avec tes copains ? J’te jure, t’es pire qu’un gamin ! »
C’est important de se sentir soutenu… Je sors du commissariat, il pleut toujours. Cela fait du bien de ne plus avoir de menottes, la sensation de liberté réapparaît instantanément mais je continue de m’inquiéter de la suite de cette affaire. Je m’abrite sous un porche pour attendre Géraldine, j’ai besoin de parler, de raconter. Quelle nuit de fou, comment est-ce possible de cumuler autant d’emmerdes en si peu de temps ? Entre la rixe sur le boulevard, le projectile, le faux flic et l’accident à l’entrée du périph, il s’est passé quoi ? 15 minutes max ! Durant ces heures de garde à vue, j’en ai voulu à Olive. Pourquoi n’est-il pas venu à ce rendez-vous ?
J’ai raconté mon histoire sur le chemin du retour à Géraldine devenue plus compréhensive. J’avais besoin de marcher et de faire ce foutu trajet pour rentrer chez moi. J’ai mis beaucoup de temps à pouvoir évoquer cette histoire par la suite, la vie a repris son cours mais elle m’a profondément marqué. Je n’ai plus jamais entendu parler de cette affaire et je dois reconnaître que je n’ai rien fait non plus pour en savoir plus, j’étais bien content que la justice m’oublie. Je n’ai pas été réconvoqué par la police. Ont-ils retrouvé ce pseudo flic ? Le fait d’avoir demandé ma carte de journaliste quelques jours avant a-t-il joué en ma faveur ?
C’est à cette période que des faits douteux ont été perpétrés dans les commissariats du 18ème : en 1993, voici un début d’article du journal « Le Monde » : Bavure dans un commissariat de police du 18e arrondissement. Un Zaïrois âgé de dix-sept ans a été tué d'une balle dans la tête par un inspecteur qui l'interrogeait, mardi 6 avril, au commissariat des Grandes-Carrières, dans le dix-huitième arrondissement de Paris. " J'ai voulu lui faire peur ", a déclaré l'inspecteur Pascal Compain, qui a été placé en garde à vue par l'inspection générale des services (IGS), la " police des polices " parisienne, chargée d'une enquête préliminaire par le parquet de Paris.
Cette nuit-là, j’ai compris qu’on pouvait basculer en un claquement de doigts dans une situation absurde et incontrôlable. Une simple soirée entre potes qui tourne à la garde à vue, un rendez-vous manqué qui débouche sur une accusation de vol, un faux flic qui disparaît dans la nature… J’avais été embarqué dans un engrenage où chaque événement semblait pire que le précédent. Tout ça, sans que je n’aie rien fait.
Ce qui me reste aujourd’hui de cette histoire, au-delà de l’absurdité de la situation, c’est un mélange de colère et d’ironie. Colère, parce que j’ai touché du doigt ce que vivent ceux qui tombent dans les rouages d’un système policier souvent brutal et arbitraire. Parce que si j’avais eu un autre visage, une autre origine, peut-être que cette histoire ne se serait pas terminée de la même manière. Et ironie, parce que le destin s’est acharné cette nuit-là, enchaînant les coups de malchance comme une mauvaise blague.
Quant à Olive ? Il avait juste oublié notre rendez-vous. Un simple trou de mémoire. Rien de plus. Moi, j’avais morflé toute la nuit, vécu l’un des pires moments de ma vie, pendant que lui, dormait paisiblement. Je n’ai pas insisté, ce n’était pas la peine. Il aurait juste haussé les épaules en me disant : « Ah merde… T’aurais dû m’appeler. »
Ouais… si seulement.
Épilogue qui n’en est pas un

J’ai d’abord connu Fabien professionnellement. En 1995, à la sortie de mes études, je suis embauché comme chef de publicité junior dans une agence rennaise : Initiale A. Fabien y travaillait déjà comme directeur artistique/graphiste.
Notre goût commun pour la rigolade, la dérision, les moqueries et la bonne chair entre autres, nous a tout de suite rapprochés. On ne se prenait pas au sérieux dans un environnement où beaucoup de nos collaborateurs se prenaient…très au sérieux. On a ri, mon dieu qu’on a ri, rien n’était grave, tout était prétexte à plaisanteries. Nous avons passé trois super années ensemble, notamment à faire des prospectus pour Cora, il fallait bien rigoler, l’activité n’avait pas beaucoup d’intérêt ! Il a ensuite quitté l’agence pour prendre en charge la communication graphique de la Région Bretagne. Mais nous ne nous sommes pas quittés pour autant, bien au contraire. Nous déjeunions souvent ensemble et nous avons également continué à passer des soirées mémorables.
Au début des années 2000, lors d’un énième déjeuner en tête à tête, il m’a raconté une histoire qu’il lui était arrivée quelques années auparavant à Paris. Son récit a duré la totalité du repas. Arrivé au café, pour une fois, on ne rigolait pas. Il était assez ému de se remémorer cette histoire, j’étais assez ému de l’entendre.
Et puis l’année dernière, lors d’un dîner à la maison, nous avons reparlé de cette fameuse aventure rocambolesque. C’est à ce moment que je me suis dit : « il faut l’écrire cette histoire, ne serait-ce que pour qu’elle ne soit pas oubliée, pour lui et puis l’exercice est intéressant ! ».
C’est l’histoire que je viens de raconter, d’après une interview de Fabien réalisée en novembre 2024 à Auray (encore une occasion de passer une bien belle soirée).
Il est important de préciser que tout est vrai dans ce récit et que si vous connaissiez Fabien comme je le connais, vous ne pourriez pas mettre sa parole en doute. Il est par contre difficile de retrouver la date exacte, les prénoms, etc… c’était en 1991… Peut-être que ce récit donnera l’envie à Fabien de reprendre l’enquête en demandant son casier judiciaire et en faisant une demande d’accès aux archives de la police pour        bugnon v le fin mot de l’histoire ! Qui sait ?
F.