Janela para a vida

Le 31/07/2025
-
par Sinté
-
Thèmes / Obscur / Fantastique
Pépite d’originalité, mêlant habilement une prose poétique à une exploration philosophique audacieuse, dans un cadre vibrant et coloré, celui de Madureira à Rio. L’auteur tisse avec brio une réflexion sur l’existence, la liberté et la transformation, à travers l’histoire singulière de Saõ Léo, dont la métamorphose en homme-oiseau symbolise une quête d’absolu et de transcendance. La richesse des images, comme les plumes jonchant le sol ou le soleil brûlant les paupières, enveloppe le lecteur dans une atmosphère à la fois crue et onirique, renforçant l’impact émotionnel du récit. Enfin, le dialogue final, où s’entremêlent humour, absurdité et questionnements existentiels, donne au texte une profondeur qui invite à la relecture et à la réflexion.
Madureira, dans la zone nord de Rio de Janeiro, près de Taquará. C’est là que Saõ Léo qui en fait ne s’appelle pas réellement Saõ Léo a donné rendez-vous à Pedro Domingues Da Silva qui s’appelle lui effectivement Pedro Domingues Da Silva. Le sujet de leur rendez-vous concernait la découverte récente d’une nouvelle doctrine philosophique, si encore on puisse la considérer comme nouvelle ; puisqu’en fait en certains domaines tels que les arts ou la philosophie — justement la philosophie — on ne fait jamais rien d’autre que tracer des routes, encore et encore des routes, plus ou moins simples à emprunter, plus ou moins parsemées d’obstacles, indéfiniment ; des routes qui certes, elles, sont nouvelles, mais ne changent en rien les paysages et la philosophie qui est un paysage, un cadre, nu à la naissance, une toile blanche et vierge. Donc Saõ Léo qui est très pauvre (il vit dans la petite chambre d’un immeuble délabré de la Rua Domingos Lopes) et s’ennuie et rêve beaucoup, vivant habituellement de la pêche mais ne faisant rien ce jour-là ou du moins rien qui vaille le coup d’être raconté, en dehors de cette histoire bien évidemment, s’est perdu dans ses rêveries habituelles quand il vit passer via la fenêtre de son immeuble qui est très sombre un oiseau dont il n’a pas pu reconnaître l’espèce, et cette apparition furtive lui offrit avec l’ombre du volatile la lumière d’une toute nouvelle existence, vraiment, sans exagération, une deuxième ou une troisième ou une énième vie. Il a ouvert la fenêtre et cette action ressemblait à celle de l’ornithophile ouvrant la cage de son piaf domestique ; le soleil qui se couchait sur la rue sale et bondée de monde (c’était une période de carnaval pour le Brésil) lui brûlait les paupières et envahissait la chambre froide de Saõ Léo, froide d’ambiance bien sûr. Puis le sol de la chambre allait être recouvert de plumes et de chiures de moineau mais bien plus tard, bien après que voilà Pedro qui arrive ! il est arrivé en taxi, a donné l’argent au chauffeur et est sorti avec une lettre dans les mains, celle envoyée par Saõ Léo. Il y est écrit « J’ai trouvé ma vie » et rien d’autre. Ils se connaissent depuis longtemps et savent les confessions intimes de l’autre : Pedro se considère comme un déterministe dans le sens spinoziste du terme et Saõ Léo comme un existentialiste, un existentialiste n’ayant jamais vraiment lu Sartre. Pedro traverse la route pour rejoindre l’immeuble où un homme devrait semer des graines, au niveau de la chambre de Saõ Léo, juste au cas-où. Il sonne et une femme métisse du nom de Roberta mais il ne le sait pas, du moins pas encore, lui ouvre la porte avec un air jovial. Apparemment Saõ Léo n’est pas là, ou n’est plus là, voire n’est plus. Pedro ne comprend pas et la femme insiste là-dessus : Saõ Léo n’est plus, Saõ Léo n’est plus Saõ Léo, Saõ Léo n’est plus un homme, c’est un oiseau maintenant. Elle a vraiment dit ça : Saõ Léo est un oiseau maintenant. Pedro demande tout de même à entrer et la femme accepte quand, au moment de passer derrière elle, en tournant la tête, il remarque une tache blanche sur les cheveux sombres et frisés de Roberta, une petite tache blanche qui le subjugue sans trop savoir pourquoi ; et il se met à penser à du foutre. Il monte les étages tous plus mal éclairés les uns que les autres, via un escalier qui grince beaucoup et s’effrite, et se rend dans la chambre de Saõ Léo ou plutôt, toque à la porte de Saõ Léo. Une fois, deux fois, trois fois… Du poing, du pied, de la tête, tout… Aucune réponse. Finalement, la dame pouvait avoir raison, peut-être Saõ Léo était mort ou parti, envolé quelque part pour se poser sur l’épaule droite du Christ Rédempteur. Il s’apprêtait à repartir, toujours sa lettre dans les mains, quand il entendit la porte s’ouvrir dans son dos. Il bondit. Il se retourna, avança lentement, demanda s’il pouvait entrer, ne reçut aucune réponse et entra tout de même ; là il vit la chambre de son ami telle qu’il ne l’avait jamais vue : les cadres des photos de familles brisés sur le sol ; les verres, les tasses, les assiettes réduites en morceaux ; le lit défait ; le parterre sale jonché de plumes d’oiseau et de merde et la fenêtre ouverte donnant sur la vie, une nouvelle vie tel que le pensait Saõ Léo, ou la mort, ou le Paradis, ou l’Enfer, ou le Purgatoire ; mais ce devait être quelque chose de nouveau. Il avait beau chercher (et Dieu sait que la chambre est modeste en superficie…) mais il n’y avait personne d’autre que lui-même ici, lui-même et la solitude, quand il se pencha par la fenêtre dans le but d’y trouver une réponse puis trouva au moment où il vit très précisément un véritable homme-oiseau de la taille d’un cacatoès possédant le visage de son ami entrer par la fenêtre en hurlant d’un hurlement tout à fait humain. Pedro cria mais l’homme-cacatoès ou le cacatoès-homme lui dit de se calmer, que ce n’était rien, que ce qu’il voyait là n’était rien d’autre que sa dernière découverte : le transpécisme extra-mental. Enfin il se mit à lui raconter : En me penchant par la fenêtre comme tu viens de le faire, en fait, je te jure, j’ai vraiment découvert quelque chose de tellement exceptionnel, je te jure… Il semblait surexcité, battant des ailes à une vitesse phénoménale. Explique-moi. Je saurais même pas par où commencer… Enfin si, mais je saurais pas par où continuer. J’ai l’impression que tu deviens fou. Là l’homme-cacatoès se calme et se pose sur l’épaule de son ami comme un petit diable. Et toi, tu ne deviendrais pas fou à converser avec un oiseau à tête d’homme ? un visage qui de plus se trouve être celui de ton meilleur ami ? Non, je sais que je ne suis pas fou et ce que je vois existe forcément, maintenant j’attends tes explications, et seulement tes explications et je m’en vais. Tu es une vraie tapette Pedro. Non, c’est simplement mon temps qui m’appelle. Très bien, alors je vais essayer… Tu vois, je me suis toujours considéré comme un homme libre, j’ai toujours cru en la domination de l’absence sur les choses, de la non-matière sur la matière… Continue. Et bien aujourd’hui, je me suis rendu compte que si la hiérarchisation des réalités était une énorme connerie, s’il suffit de croire pour que cela existe, alors qu’est-ce qui m’empêcherait d’être un homme à plumes ou un oiseau à tête d’homme et de voler parmi mes congénères, mes frères du ciel, en transperçant les nuages tout en voyant de haut la crasse que vous, humains bien trop humains, bien trop terrestres, n’arriveraient jamais à faire disparaitre ? Vraiment, tu deviens fou, ce que tu dis n’a aucun sens. Si, je te le dis : puisqu’il me suffit de vouloir pour avoir alors je l’ai, et ce que tu vois là n’est que la manifestation de mon esprit que je juge sain et qui par conséquence est aussi sain qu’une fontaine où coulerait infiniment une eau bénite. Pedro se tait. Il ne comprend plus, même s’il se rend compte qu’il n’avait tout compte fait jamais rien compris ; la vie est incompréhensible. Maintenant plus rien pour moi n’a d’importance, alors je vais m’en aller vers un pays qui n’existe pas encore où les femmes-oiseaux seront à mes pattes, où il fera toujours beau, où les hommes ne seront plus que du bétail ou des esclaves, où le bonheur prendra le dessus sur la malheur, où le Christ ne sera plus le Christ mais une bête sans nom ; ainsi je m’inventerai un Dieu qui sera le mien et qui vous crachera à la figure pour votre passivité ! regardez l’état de vos routes ! et surtout, cette chambre… ! Mais c’est toi, gauchiste mental aliéné, existentialiste à deux balles n’ayant jamais ouvert un livre, qui a tout saccagé… ! Non, plus maintenant, ce n’est plus moi ; salut mon ami. Et Saõ Léo, à toute berzingue, s’envole vers un horizon qui n’existe pas encore sans oublier au passage de chier sur le crâne de la Statue du Christ Rédempteur.