LA PIEUSE LÉGENDE DU SAINT PRÉPUCE

Le 08/08/2025
-
par Alberto Arecchi
-
Thèmes / Débile / Divers
Ce texte est à l’histoire médiévale ce que la foire à la saucisse est à la gastronomie : bordélique, gluant, délicieux. Le style oscille entre le ton d’une chronique médiévale et un humour noir érudit. On sent un travail de documentation appréciable, mais parfois on est à deux doigts de la surchauffe, priant le Saint Père de ne pas se coltiner une description de la généalogie des curetons. Oyé ! Oyé ! Brave gens, venez lire l’Apocalypse selon Saint Bite !
D’anciennes chroniques racontent que le gentilhomme Pissarlin de Canibus, gibelin, fut contraint de quitter la noble ville de Pavie, en Lombardie, vingt milles au sud de Milan, après une douloureuse défaite subie par son parti, à l’automne 1281, lorsque la ville tomba aux mains des guelfes, après une longue succession d’escarmouches violentes et sanglantes qui avaient opposé les deux partis rivaux.
Pissarlin partit de nuit, emmitouflé dans son manteau, escorté de six fidèles compagnons. Après de longues errances à travers les collines du Monferrat et des Langhes, ils franchirent la chaîne des Alpes et se réfugièrent dans les Alpes provençales, près du Vaucluse. Ici, ils restèrent incognito pendant trois ans, avant de pouvoir retourner dans leur patrie.
Pendant ce temps, Pissarlin et ses acolytes vivaient de leur intelligence. Insatisfaits, ils prirent possession de trois reliques très précieuses qui y étaient conservées et vénérées par la religiosité populaire : le prépuce sacré de l’Enfant Jésus, un sein et les linges menstruels de sainte Marie-Madeleine.
Toutes les reliques présumées du prépuce sacré étaient très célèbres durant le moyen Âge européen, à tel point que plus d’une dizaine de localités se vantaient de le posséder. Certains en ont même compté dix-neuf, donc - avec la relique de Pavie, aujourd’hui disparue - il y aurait eu une vingtaine de prépuces. Le plus célèbre était vénéré à Anvers, en Belgique. La relique y était parvenue grâce au roi de Jérusalem, Baudouin Ier, qui l’avait achetée en Palestine lors de la première croisade. Un jour, lors d’une messe de l’évêque de Cambrai, trois gouttes de sang sortirent du prépuce et tachèrent le linge de l’autel. Une chapelle fut érigée, des pèlerinages commencèrent et même une Confrérie spéciale naquit. La relique disparut ou fut détruite en 1566, lorsque la fureur iconoclaste des protestants se déchaîna contre les images et les reliques des églises catholiques.
Pissarlin était revenu à Pavie dans une période encore turbulente, au cours de laquelle le parti gibelin devait lutter quotidiennement contre les guelfes, dirigés par les comtes de Langosco. Il sauva les reliques ramenées de Provence dans une crypte secrète d’un monastère de religieuses, aujourd’hui disparu, dédiée à St. Marie des Anges. Cette crypte souterraine a été retrouvée et irrémédiablement détruite lors de la construction d’un nouvel édifice.
C’était l’époque où la chapelle du château gardait une relique qu’on présumait être la tête du dragon de St. George, un chef-d’œuvre de la chirurgie vétérinaire dans lequel des parties de divers animaux étaient fusionnées, pour construire une grosse tête monstrueuse.
Quelques années plus tard, dans une Pavie conquise par les Visconti, solidement aux mains du Parti gibelin et excommuniée à plusieurs reprises par les Papes, ce fut un autre Pissarlin, descendant de l’ancêtre de Canibus, qui s’intéressa aux reliques. Il réussit à les retrouver, dans la confusion apocalyptique qui régnait dans cette crypte, et donna en cadeau aux religieuses de Ste. Marie-Madeleine les reliques de leur patronne. De Canibus garda le sacré prépuce pour lui et ses descendants. En effet, la légende voulait que la possession de cette relique garantisse à la famille la fertilité perpétuelle et la génération d’héritiers mâles, capables de perpétuer les gloires de la famille. Il en fut ainsi pendant plusieurs siècles, jusqu’à nos jours.
Le prépuce sacré était bien conservé dans le coffret familial, dans une riche maison des quartiers ouest de la ville.
Pissarlin de Canibus fut embauché à l’une des plus hautes fonctions du duché : il était en fait le conseiller secret du duc Gian Galeazzo Visconti, duc de Milan et « comte de la vertu » (du nom du comté de Vertus, acquis lors de son premier mariage avec Isabelle de France), qui rêvait à cette époque de porter la couronne de roi d’Italie.
Ce fut la peste noire, en 1402, qui interrompit brusquement la vie du duc et la carrière de Pissarlin. Le 25 août 1402, Gian Galeazzo, gravement malade, au château de Marignan, voulut réviser son testament et convoqua un notaire de Pavie, Giovanni Oliva. Il établit les critères de répartition des biens entre les héritiers et a voulu que son corps soit réparti entre divers lieux sacrés. Déjà dans le testament rédigé en 1397, il avait ordonné que son corps soit inhumé dans la Chartreuse qu’il avait fondée, dans un riche mausolée, à l’exception du cœur, destiné à la basilique de St. Michel à Pavie, et des entrailles pour l’église de St. Antoine à Vienne en France (également connu sous le nom de « St. Antoine du cochon », parce que les moines de son ordre élevaient des porcelets, dont ils utilisaient le saindoux pour apaiser les plaies de l’herpès zoster).
La construction de la chartreuse de Pavie avait été entreprise le 27 août 1396 par Gian Galeazzo Visconti, sur la base d’une décision qui apparaît déjà dans des documents datant de deux ans plus tôt. Selon la tradition, la Chartreuse fut fondée ex-novo, sur un site vierge, suivant un vote de la duchesse Caterina, seconde épouse de Gian Galeazzo.
Une légende populaire relie plutôt la fondation à un épisode survenu lors d’un voyage de chasse. Il semble que Gian Galeazzo se soit retrouvé coincé avec son cheval dans le sol marécageux, suscitant les rires d’un groupe de commères. À quoi, irrité, il aurait crié : « Femelles laides, ici je vais construire une Chartreuse, où ni femelle ni bonne n’entreront !
Que s’est-il vraiment passé lors de cette nuit tragique de 1402 où Gian Galeazzo mourut ?
Nous sommes convaincus que Pissarlin avait quitté Pavie avec le notaire, pour se rendre au chevet de son Seigneur, maintenant mourant de la peste, et qu’il avait apporté avec lui le prépuce sacré, dans l’espoir que ses propriétés thaumaturgiques pourraient l’aider à guérir Gian Galéazzo. Il n’y eut pas de guérison et le 3 septembre le duc décéda. Son corps resta sans sépulture au château de Marignan pendant quelques jours, au cours desquels la nouvelle de sa mort fut tenue secrète, puis le corps fut transporté à l’abbaye de Viboldone, dans la région de Milan.
Les vicissitudes ultérieurs du corps du premier duc de Milan ne sont pas très claires.
Les funérailles solennelles, à Milan le 20 octobre 1402, avaient été célébrées sans la présence du cadavre, qui fut ensuite transporté à Pavie, au monastère de St. Pierre « in Ciel d’Oro ». Ici, le corps de Gian Galeazzo resta jusqu’en 1474, lorsque Galeazzo Maria Sforza décida de demander l’accomplissement des dernières volontés de son prédécesseur. En effet, l’œuvre de la Chartreuse avait maintenant atteint un point tel qu’elle permettait d’y transporter le corps du fondateur.
Il semble que la relique du prépuce sacré, laissée soixante-dix ans plus tôt par Pissarlin de Canibus, soit également restée avec le corps de Gian Galeazzo. Nous ne savons pas où elle s’est retrouvé par la suite. Cependant, un document des archives secrètes des Sforza, récemment redécouvert et étudié, indique que la relique fut irrémédiablement perdue quelques années après la mort de Gian Galeazzo, lorsque deux chirurgiens, le padouan Felice Pompier et le busgnàc (bosniaque) Piet Molla, voulurent l’examiner.
Les deux médecins cassèrent le flacon qui contenait le prépuce et le morceau de peau se pulvérisa. Pompier eut juste eu le temps de goûter cette poudre sur le bout de sa langue, pour affirmer qu’elle avait un goût salé. Ensuite, le prépuce sacré fut remplacé par n’importe quel morceau de peau, afin de ne pas interrompre l’ancienne tradition. Depuis lors, le médecin padouan porta le surnom de « suce-prépuce ».