«TOUT PRÈS. PLUS PRÈS ENCORE DE LA MORT ET IL N’Y AURA PLUS DE GUÉRISON POSSIBLE. ENCORE UN PEU ET CE NE SERA PLUS POSSIBLE. CE SERA IMPOSSIBLE DE GUÉRIR DE LA MORT ENCORE UN PEU PLUS MORT DONC DE LA MORT QU’ON SE CHOISIT COMME DE LA FAMILLE QU’ON N’A PAS CHOISIE. POURTANT SI PRÈS D’ELLE. COMME DE LA PAGE AUSSI QU’ON A COMPRISE. CE SERA LA LANGUE QUI TRIOMPHERA CAR C’EST IMPOSSIBLE D’EN CHANGER COMME DE MORT NON PLUS. ON N’EN AURA QU’UNE. UNE MORT NATURELLE ET UNE LANGUE MATERNELLE. POURTANT SI PRÈS DE NOTRE MÈRE QUAND NOUS SOMMES À SES CÔTÉS NOUS NE SAVONS PLUS PARLER NOUS NE SAVONS QUE MOURIR. QUE NOUS ALLONS MOURIR»
Un soir, Blanche retrouve ce mot de Julien. Ce mot légendaire. Écrit de la main de Julien. Ce mot à propos de leur légende, donc. Pas à proprement parler ce qu'ils ont vécu ensemble mais s'endormir à ses côtés du moins dans l'illusion de s'endormir à ses côtés, puisqu'elle a retrouvé ce mot. Cette vie d'alors. Là, elle peut jurer que c'est comme si elle y était. Bornée à vouloir revivre ça. Une relation sans suite. Leur relation. Mais non, elle n'y peut plus rien, c'est fini. Maintenant, c'est trop tard. Leur temps est fait. Oui, et assez comme ça. Bien assez fait. Mais encore elle en demande. Elle doit tuer en elle ce passé déjà mort pour bien d'autres. Et les autres sont morts depuis longtemps. Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts. Des soleils se sont levés et couchés. Des gens sont allés au travail. Se sont cachés. Enfin, je crois l'avoir trouvé son secret, je l'ai entre les mains je peux le dire alors, tiens-le bien, respire un grand coup ma grande, courage ce n'est que le début, tenir déjà ce que j'ai entre les mains, ce n'est pas qu'une façon de parler mais tout à coup sans retenue et sans le vouloir, je lâche prise. Le mot est perdu sans doute, alors. Car d'ailleurs il n'y a rien de. Rien de dit encore. Réellement rien. Mes mains ont lâché, voilà tout, mais rien, qu'une feuille blanche. J'ai pourtant vu quelques mots je m'en souviens très mal. Très mal de ce qui était écrit ou devait être écrit. Ou dessiné. Rien d'oublié ou que je me souvienne. Cela me dépasse, ça devait aller. Retour à ta douleur, Julien. Qu’y puis-je à présent ? C'est fait c'est fait, j'ai lâché prise et les mots sont tombés. Tes mots. Oui, tu as réellement eu. Tenu un discours que j'étais la seule à avoir jamais entendu et quelque chose de très important que tu avais mis dedans. Ton charme supplémentaire de t'enlever coûte que coûte la vie. Cette phrase me vient, alors, je crois que moi aussi j'ai été capable de me mettre ces idées dans la tête. Sauf que toi, on t'a pas cru donc tu l'as fait, coûte que coûte. Moi, on me croit alors on m'annonce de bonnes nouvelles tous les jours. On me dit, voilà. C'est gentil. On est gentil avec moi. D'un instant à l'autre, ça pouvait changer de toute façon alors. Peu importe. Il n'était pas avec moi. Cela je le peux savoir, je le sais. Et le sens. Oh oui je le peux. Comme c'est plus fort que tout ce que je peux sentir. Tout voir. Son absence me fait voir ce qui va arriver. Retourner dans ce lit froid. Il me fait tourner la langue sept fois dans ma bouche. La situation ordonne à Julien de prendre une trace, la dernière, une dernière trace pour la route, plus que la route à faire, à prendre ici, pas d'appartement lisse et propre mais une route compliquée faite de fuites. Toute ma vie a fait préexister celle-là, de vie, une vie de route et de fuite du contexte et de la situation, et de ma vie qui m'appartient pas ou seulement sous forme de perte de contrôle et de mes moyens. Perte de mon argent, de mon travail et de mon centre. Perte du sens de la vie. C'est grave, je contrôle plus rien, j'ai plus la force de retenir pourtant quelque chose que je sais qui doit arriver, j’ai mes raisons de le croire. C'est grave tellement, grave ce qui arrive, ce qui m'arrive, aucune chance d'y échapper, pourtant ça va arriver mais je ne sais pas quand, je sais ce que je veux mais je ne sais pas pour quand je le veux ni où je le veux non plus. Mettre un point final au désastre qu'est ma vie alors, casser une dernière fois la croûte, dormir une dernière fois, aller marcher une dernière fois, prendre une dernière fois la douche dans un sens. Puis dans l'autre, prendre une douche une dernière fois, une dernière fois marcher, une dernière fois dormir et une dernière pour la route, casser la croûte, et enfin cette trace qui sera sur la table pour une prochaine fois quand Blanche sera avec moi, pour se la partager, je la laisse donc tranquillement, en attendant Blanche j'y touche pas, je vais aller casser la croûte puis dormir, me réveiller, aller marcher, rentrer prendre une douche et ce sera tout, je crois, si je n'ai rien oublié. J'ai laissé une trace, Blanche j'en ai laissé, j'ai pas tout pris, regarde, j'avance, je me défonce plus comme un taré, je peux me retenir et en garder pour d'autres occasions quand ce sera mieux d'en prendre sans avoir forcé, sans avoir trop tiré sur la corde. Ah c'est cela, une corde qu'il me manquait tout à l'heure, en t'attendant. Non, Blanche, j'y touche pas promis, seulement manger, dormir, me réveiller, aller marcher, rentrer prendre une douche et la corde restera dans un coin de ma tête, ce sera pour une autre fois où tu ne seras pas là mais ailleurs pour de bon, pour de vrai d'avoir eu raison de laisser un type comme moi moisir avant de se décider, car une fois que c'est décidé c'est trop tard, peut même plus trouver la force de tenir en équilibre sur une chaise après avoir fait un nœud à la corde, en haut de la rampe des escaliers, au-dessus du vide en colimaçon. Et il ne se passe rien d'autre donc que Julien qui se décide et pour que Julien se décide il a du passer, tracer. Là sur la table, il en reste. Tracer juste ce dont Julien a besoin. À fond dans une narine puis un peu dans l'autre. Faut juste pas chercher à comprendre dit Julien. Blanche faut se décider, fallait se décider, vivre à fond et pas chercher à comprendre ni à voir ni à savoir.