Une Golden ou une Reine des Reinettes pour ma tarte ?

Le 08/09/2025
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par Laurence PIERA
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Thèmes / Débile / Vie quotidienne
Nous voici au marché en compagnie de Mamie Mercotte, empêtré dans son écharpe à la recherche de la pomme parfaite pour sa tarte du dimanche. Mais voilà qu’un méchant gendarme fait irruption et lui colle une contravention pour « non port du masque ». La posture du flic, petit despote en sueur, est assez caricaturale, mais saupoudrée de réalisme. La situation dégénère et M. l’Agent confond mamie avec un terroriste. On reste dans la satire politique pour bisounours et on aurait aimé un peu plus de subtilité dans la montée en tension. Un texte pour les anti-vax et les anti-masque.
Comme tous les jeudis, je fais mes courses au marché du village. Il fait froid ce matin. J’ai enfilé mes gants, mon bonnet et mis une grosse écharpe bien chaude autour du cou. Le primeur a étalé de magnifiques fruits et légumes. J’ai envie de prendre des pommes, des bananes, des poireaux, des navets et pleins d’autres choses encore. Il a tellement de choix ! Toutes ces couleurs sont un ravissement pour les yeux. Mes petits-enfants viennent ce dimanche et je vais leur préparer une tarte aux pommes maison. Ils veulent être sûrs que tout se passe bien pour moi malgré les directives, toutes plus folles les unes que les autres, sur cette soi-disant pandémie. Assis, debout, couché, marcher, rester debout, rester chez soi, mettre mamy dans la cuisine… j’en passe et des meilleures !
—    Madame !
J’hésite entre les pommes Golden ou les Reines des Reinettes.
—    Madame, s’il vous plaît !
Je me retourne et je vois deux gendarmes, masqués jusqu’aux yeux. Quelle allure ils ont ! Ils sont vraiment ridicules. Je reviens à mes pommes. Alors, Golden ou Reine…
—    Madame ! Je ne vais pas vous appeler toute la journée. Ne vous moquez pas de moi, s’il vous plaît ! Votre âge avancé ne vous donne aucun droit. La loi ici, c’est moi.
Je me retourne une nouvelle fois et je comprends, ahurie, que c’est à moi que le gendarme s’adresse.
—    Oh, excusez-moi je ne pensais pas que vous me parliez et…
—    Vous n’avez pas de masque. Le masque est obligatoire sur les marchés, m’informe-t-il sur un ton très autoritaire. Mettez un masque si vous ne voulez pas être verbalisée.
—    Oui, je sais qu’il faudrait un masque mais comme j’ai mis une grosse écharpe sur la bouche, je ne peux pas, en plus, mettre un masque. Ça m’empêche de respirer, vous…
—    Je ne suis pas là pour écouter vos jérémiades. La loi, c’est la loi. Elle est identique pour tout le monde. Veuillez mettre un masque. Les vieux ne font pas encore la loi me semble-t-il. Dépêchez-vous.
—    Je suis désolée, je n’en ai pas sur moi. Et franchement, vous croyez que cela est nécessaire, ici ? lui demandais-je.
—    Vous n’avez pas de masque sur vous ? Cela veut dire que, sciemment, vous refusez d’obéir aux directives gouvernementales. Vous mettez la vie de tous en danger par votre attitude et votre désobéissance. Les p’tits vieux, ils se croient vraiment tout permis, ajoute-t-il, très énervé.
Et je le vois sortir son carnet à souche pour me verbaliser.
—    Monsieur, vous n’allez tout de même pas me mettre une amende pour ça quand même ?
—    Bien sûr que si. Vous violez la loi. Je la fais appliquer. C’est aussi simple que ça.
Le gendarme a les yeux exorbités. Ses mains tremblent et je le sens très nerveux. Le primeur, effaré par la scène qui se passe devant son étal, intervient auprès du gendarme. Il lui demande, le plus calmement possible, de ne pas m’infliger de contravention. Il explique que le marché est tout petit et que très peu de clients sont présents ce matin. Il y a peu de risques ici de contaminer qui que ce soit.
—    Monsieur est médecin peut-être ? Non ?! Alors je vous remercie de ne pas vous mêler des affaires des gendarmes. Et si cela vous dérange, je peux aussi vous coller un procès-verbal pour outrage à agent. Faites votre boulot et foutez-moi la paix.
Le primeur le regarde, médusé. Il pense tout bas : « C’est toujours aux instants les plus pathétiques que les ânes se mettent à braire ». Il lui dit qu’à aucun moment il ne s’est permis un outrage. Il essaie simplement d’arrondir les angles pour éviter des tracas à sa cliente. Le gendarme, le regard noir, lui dit qu’il s’occupe d’abord de la dame et qu’il revient vers lui après.
Un mini attroupement se constitue déjà autour du stand, par les quelques personnes présentes sur le marché. Chacun y va de son commentaire. Certains approuvent l’autorité de l’agent ; d’autres soutiennent ouvertement la cliente. Le ton commence à monter.
—    Vous allez mettre une prune à une mamie qui n’a rien demandé à personne ? Elle pourrait être votre grand-mère. Vous n’avez pas honte ? lance un monsieur, fumeur, qui baisse son masque pour aspirer et recracher sa nicotine à chaque taffe.
Un jeune homme, qui mange un éclair au chocolat, acheté à la boulangerie d’à côté, ajoute son grain de sel. Il précise que le masque est obligatoire, un point c’est tout. Plusieurs personnes le regardent et lui font remarquer que lui non plus n’en porte pas sur la bouche. Le jeune se justifie en précisant qu’il mange, donc il faut bien qu’il enlève son masque.
Le ton monte encore. Les esprits s’échauffent. Le gendarme a du mal à contenir la rébellion qui gronde. Il cherche son collègue du regard et s’aperçoit qu’il est parti à leur voiture de service, garée de l’autre côté de la place. Il semble être au téléphone. Il se dit qu’il va avoir besoin de lui si jamais la situation s’envenime. Il sort un stylo de sa poche pour rédiger l’amende et, dans une bousculade improvisée entre les badauds, le stylo tombe au sol et roule derrière lui. Il se baisse pour le ramasser mais un pied chaussé d’une botte de sécurité lui écrase les phalanges. Le gendarme hurle et se relève péniblement dans un état de stress évident. Il pose la main sur la crosse de son pistolet. Il panique. Cela se lit dans ses yeux.
—    Reculez, braille-t-il à la cantonade ! Reculez ! vous dis-je. Sinon, je sors mon arme.
Rien n’y fait. Les langues se délient. Chacun y va de son argument. Pour ? Contre ? A quoi sert vraiment le masque ? Est-il vraiment nécessaire en plein air ? Les questions fusent. Deux clans s’opposent et les arguments contradictoires chargent chacun des deux camps.
Mais quel est vraiment le problème ? Cette mamie est partie de chez elle ce matin pour acheter des pommes et voilà que la place du marché, d’habitude si calme, est transformée en pugilat.
Le grand costaud qui vend des huîtres est venu se joindre au débat. Il domine le jeune qui finit d’ingurgiter sa pâtisserie. Il lève la main, juste pour lui faire peur, comme s’il voulait corriger un gamin pris en flagrant délit. A ce moment, le gendarme s’imagine qu’il va le frapper. Il sort l’arme de son étui et somme le vendeur d’huîtres de se coucher au sol. Celui-ci refuse et toise le gendarme d’un regard mauvais. Il est persuadé que la situation ne peut pas s’aggraver pour une simple histoire de masque. Il bouscule le jeune homme et s’avance vers l’agent, faisant face à l’arme de poing.
—    N’avance pas, abruti, ou je tire, lui beugle le gendarme, furibond.
—    Non mais ça ne va pas ? lui répond le grand costaud. Vous vous croyez où ? Au Far West ? Il faut vous calmer, mon brave homme ! Buvez un p’tit verre de Muscadet et ça ira mieux après !
Il fait un pas. Un petit pas. Un pas de trop. Le gendarme tire. En pleine poitrine. A bout portant. Il n’a pas réussi à garder son sang-froid et pour le coup, le sang, il le fait couler. Le vendeur d’huîtres s’écroule. Mortellement. Sa vie s’arrête là. Parce qu’une mamie n’avait pas de masque. Parce que le gendarme ne se maîtrisait plus. Parce que nous n’avons plus des « chevaux de course » mais des « ânes » en guise de gardiens de la paix. Parce que nos libertés d’agir s’envolent les unes après les autres. Parce que nous n’obéissons pas aux règles démentielles décidées dans les hautes sphères. Parce que nous refusons de mettre un masque qui ne sert à rien contre les virus, comme c’est très explicitement écrit sur les boîtes.
Moi, simple grand-mère qui a toujours respecté la police et les notables, les gendarmes et les bourgeois, j’assiste à toute cette scène, effarée, tétanisée, paralysée par la peur. Comment pouvons-nous en arriver à ces extrêmes ? Comment un gendarme peut confondre un simple citoyen avec un dangereux criminel ? Pourquoi a-t-il tiré ? Pourquoi ce chaos dans notre si beau pays ? La tête me tourne, je ne vois plus rien, mon cœur s’affole. Je m’adosse à l’étal, je sens le sol bouger sous mes pieds. Puis, plus rien. Le silence. La nuit.
Je me réveille. Je ne reconnais pas ma chambre, ni mon lit. Où suis-je ? Des draps blancs, un plateau à roulettes où sont posés une carafe et un verre d’eau. Je suis à l’hôpital ? Comment cela est possible ? Je me souviens avoir fait un sacré cauchemar. J’étais sur le marché et là, un gendarme a tiré sur un vendeur parce que je n’avais pas de masque. Soudain, mon esprit s’emballe. Oh ! mon Dieu ! ce n’était pas un rêve. Mais pourquoi ? Pourquoi ? Tout ça, par ma faute. Ma si petite faute. Mais ma faute quand même. Jamais je ne pourrai me le pardonner. Un homme est mort par ma faute.
Je suis seule dans la chambre. Je sors de mon lit. Un masque chirurgical est posé sur la table de nuit. Quelle ironie ! Je m’en saisis et attrape un stylo pour y noter un petit mot. Le dernier. Puis, je m’approche de la fenêtre. Je l’ouvre. J’évalue la hauteur. Au moins trois étages. Suffisant. Je monte sur le fauteuil. Je me mets debout sur le rebord de la fenêtre. Je regarde une dernière fois la chambre. La porte s’ouvre. Une infirmière. Elle se précipite vers moi.
—    Non, madame, ne faites pas ça. Non ! me hurle-t-elle.
Mais déjà, je ne l’entends plus. Je vole. Je quitte ce monde à la dérive, devenu fou et stupide. Une seconde. Deux secondes. Trois secondes. Impact. Fin.
L’infirmière, en pleurs, appelle ses collègues. Mais il est déjà trop tard. Elle se retourne et aperçoit un bout de chiffon bleu sur le plateau. Elle le saisit. Un masque. Une phrase y est écrite en lettre majuscule : LE MASQUE TUE !