Click clack Kodiak

Le 21/09/2025
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par Blacksmith
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Thèmes / Débile / Phénomènes de société
Cette fable moderne, mêlant humour absurde et critique sociale, offre une réflexion poignante sur l’exploitation des animaux et des travailleurs dans un cadre de luxe décadent à Dubaï. L’écriture, vive et imagée, excelle à dépeindre l’absurdité des situations et la tendresse inattendue de Suresh pour Natalya, bien que certains dialogues manquent de naturel. La satire des excès des milliardaires et de leur cruauté est efficace, mais le ton oscille parfois entre comédie et drame sans toujours trouver un équilibre. La relation entre Suresh et Galina apporte une touche d’humanité, mais reste sous-développée face à l’intrigue principale. Globalement, c’est un récit original et engagé, qui aurait gagné à approfondir ses personnages secondaires et à polir certaines transitions.
Petit texte réalisé comme exercice d'écriture sur une modeste mais néanmoins stupide idée que j'ai eue en regardant trop de documentaires sur les ours et Dubaï.
Pour débarbouiller le sang dans la vulve de Natalya il me faut une éponge grosse comme ma tête.
Normal pour une ourse polaire me direz-vous...
Et me voilà en train de savonner le pelage d'un fauve semi-comateux affalé dans une piscine à moitié vide, meilleur contenant qu'on ait dégotté pour ce faire, avant de la passer au jet d’eau.
Si vous m’aviez dit, il y a seulement cinq ans à que j'en serais là désormais... Jamais au grand jamais je n’aurais pu m’imaginer un pareil destin !
Mais le patron veut ses deux nounours immaculés et impeccablement peignés... Et il les aura évidemment : ses moindres désirs sont un ordre, même les plus délirants.
Enfin, « Gaffe Suresh ! », me dis-je en effectuant la manicure de griffes effilées : la moindre d'entre elles pourraient me transpercer le crâne aussi simplement que du beurre. Heureusement que Natalya a suffisamment de kétamine dans les veines pour assomer un régiment de brontosaures.
Je ne peux m’empêcher d'admirer sa geule colossale lorsque je passe au ménage de l’avant... Les yeux clos et ses crocs immenses cachés derrière des babines noires, on dirait une peluche parfaite. D'une douceur et d'une quiétude que je lui envierais presque.
La pauvre ! Elle ignore encore ce qui l’attend...
Dans la tradition que ma mère a tenté de nous inculquer, nous devons avoir de la compassion pour tous les êtres. Jusqu’ici, je ne l’avais jamais ressenti de manière aussi poignante, mais façe à cette impresionnante peluche endormie, je ne peux retenir la vague d’émotion qui me submerge brièvement : « Mais qu’est ce que je fous là ? »
Cet animal sublime devrait être dans sa Sibérie natale autant que moi parmi les miens... Malheureusement pour nous, le destin, armé de milliards de pétro-dollars en avait décidé autrement.
« Ma pauvre... » lui dis-je en m'octroyant le privilège de lui gratter le sommet du crâne avec une infinie prudence.
Comme pour me répondre, j'ai l'impression de l'entendre ronronner...
Natalya est magnifique, comme beaucoup de ce que mon maître importe de l’ancien bloc soviétique... Que ce soit des filles, des drogues où des armes ! Mais elle est encore plus rare et chère : une des derniers spécimens de son espèce survivant au changement climatique.
Il l’a fait capturer à grand frais tout exprès.
Depuis qu’elle est arrivée ici, j’avoue avoir un petit faible pour elle. En tous cas, je la trouve plus profilée, élégante si on peut dire, que ce gros patapouf que le jeune patron a surnommé Kevin.
« Kevin le Kodiak »... Parce qu'evidemment il vient d’Alaska, pour sa part.
Des States comme on dit.
Le boss ça l'a mis en transe ; il répète à qui veut entendre son analogie débile qu'il va lancer une reconstitution de la Guerre Froide.
C’est même ainsi qu’il a annoncé le combat sur ses réseaux sociaux...
Et voilà comment vôtre humble serviteur, assisté de mes deux collègues népalais, de solides Gurkas qui ont vu plus que leur part d'aventures, en sommes à récurer une paire d'ours !
Le gros Kevin a le droit à sa petite gratouille tout comme la belle Natalya : je m’efforce de ne faire aucun favoritisme !
De plus, le pauvre vieux n'y est pour rien si, à l’heure qu’il est, j’ai un de ses compatriotes dans le collimateur tandis que la mère Russie a fait apparaître un véritable petit ange dans ma vie il y a seulement quelques semaines...
Rien que de penser à Galina, mon cœur s'affole dans ma poitrine malgré la prudence que j’observe en rinçant le pelage dru de l'ours brun.
Mais une voix nasillarde me sort aussitôt de ma rêverie ce gros connard de Caleb Sykes : « Du nerf Suresh ! On a pas toute la journée... »
Ce sale rouquin aux dents bien trop longues me hérisse en tous points... Le boss l'a engagé en tant que dresseur, "Maître de combat", si vous voulez son titre ronflant.
Pour ma part, je le soupçonne de n’avoir comme diplômes que les bagarres des pitbulls de son enfance dans les recoins sombres du bayou avant de passer à des créatures autrement plus conséquentes.
C’est un psychopathe complètement tordu qui a complètement tourné l’esprit de notre maître ! Ensemble ils forment un duo sanglant qui n'a pas son pareil pour inventer de nouveaux affrontements contre-nature.
Une vingtaine de fauves, des crocodiles, primates, pachydermes et autres terribles créatures ont déjà fait les frais de leurs caprices !
Je m’interroge sur la pertinence de signaler à ce redneck hautain qui me sert de supérieur le fait que j’ai trouvé un peu de sang dans le pelage de Natalya.
Je m’apprête à le faire lorsque le crachat qu'il m’envoie depuis sa position de vigie, depuis le bord de la piscine, m'en dissuade.
Heureusement, il a visé à côté de mes cuissardes de pêcheur en cahouchouc. Mais le geste me révolte tout de même... Et tandis que je contemple les bulles de sa salive se désagréger lentement dans l'eau sale, je me dis qu’il se débrouillera bien tout seul avec son ourse menstruante !

Chapitre 2
L’arène est entièrement réfrigérée pour l’occasion.
D’habitude s'y tiennent plutôt des combats de fauves et autres redoutables créatures en voie d’extinction : lions contre tigres, panthères, cougars mais également gorilles, loups, hyènes et même, une fois, un crocodile du nil qui s’y est fait défourailler par un alligator australien... Je vous laisse imaginer le tableau !
Mais, dans le cas d'un ours sibérien contre un collègue d’Alaska, la fraîcheur est de mise.
Qu’importe qu'on se trouve dans un pays désertique : le patron fait moins encore d'économie de moyens que d'imagination pour la mise en œuvre de ses combats.
Pire encore, il est suivi par une foule d’abrutis, aussi bien sur les réseaux que localement, qui l'encouragent dans la surenchère de ses délires sanguinaires... Et, dans une certaine mesure, les sponsorisent de part leurs nombreux paris.
« Comment ai-je pu me trouver là ? » Me demanderiez-vous, me voyant grelotter au côté des deux collègues qui m'aident à mettre en place la "zone de combat" avant l’arrivée du public.
Eh bien j’ai eu le malheur d’être né dans un pays pauvre et d’avoir cherché à m'en sortir, voilà tout.
J’ai pourtant fait des études : je suis même diplômé, si vous tenez à le savoir ! Ma mère a trimé sang et eau pour nous éduquer, mes frères et moi...
Peut-être est-ce le fait de me sentir si redevable qui m’a poussé à partir. À chercher un salaire, même loin de la maison, que j’estimais digne de son sacrifice ?
Toujours est-il qu'ils sont quasi venus nous pêcher au sortir de l’université, avec leurs plaquettes brillantes et leurs promesses.
Et c'est comme ça que je me suis retrouvé à postuler pour une annonce de job au service d'un Émir... À des milliers de kilomètres de mon Rajastan natal !
J’aurais dû me méfier, bien sûr : des histoires de fortunes scintillantes s'averant, au final, être de dangeux mirages, il y en a tant ! Que ce soient des documentaires sur l'enfer du jeu à Las Végas où les promesses de cet eldorado du Golfe.
Est-ce une attraction propre aux déserts qui fait que leurs sables avalent autant d’espoirs ?
Il n'y a pas qu'à moi qu'on garde le passeport : c’est le cas de mes deux assistants et tant d’autres au service du patron...
Je n’arrive même pas à soupirer tellement je tremble de froid.
Ça fait marrer les népalais qui, eux, ont plutôt l’habitude de se cailler les miches sur leur montagne !
Au bout de quelques secondes, je me joins à eux. Mon pauvre corps peinant à entrecouper mes rires de frissons irrépressibles.
Galina dit toujours qu'elle admire, paraît-il, mon bon caractère : « Ce que je préfère en toi est que ton humour indécrottable ! » me sussure-t-elle de son accent irrésistiblement suave.
On a ça en commun malgré nos différences : une existence faite d’une succession de galères n'a pas entamé notre envie de rire !
Reserrant de manière répétitive les boulons des barreaux de la gigantesque cage de mes mains gantées, je ne peux m’empêcher de repenser à notre dernière conversation.
Difficile de causer discrètement, surtout un homme avec une femme ici...
Mais nous avons un arrangement des plus romantiques, et, c’est d’ailleurs ainsi que nous nous sommes rencontrés : les quartiers des domestiques comportent tous des minuscules balcons !
C’est en cherchant un peu d'air frais, un soir très tard, que nous sommes tombés, pour ainsi dire, nez à nez, l'un sur l’autre...
Elle, en pyjama constitué d'un vieux tee-shirt élimé, aux couleurs d'un groupe de métal, drapé sur son petit corps dont on y devinait à peine les courbes... Jamais je n’aurais pu imaginer qu’il s’agissait d'une de ces femmes de ménage, tirées à quatre épingles, que j'entrevoyais toujours affairées dans les uniformes discrets qui les fondaient presque, dans le décor somptueux.
C’était une des domestiques de madame, la petite sœur autrement plus sage de mon patron... Une chance qui lui permettait d'échapper à une convoitise masculine qu’autrement, elle aurait difficilement pu refuser...
Car, même si elle se décrivait, pour sa part, comme ayant un physique ordinaire, je la trouvais, de mon côté, à tomber par terre...
Et je ne doutais pas que ce dernier, où même ses sbires, en penseraient de même si ils la voyaient dans le civil ! Ses cheveux blonds mi-longs, lâchés venant caresser son cou et encadrer son visage de leur pâleur désordonnée...
Une apparition angélique vêtue des frusques d'un démon !
Quasi frappé de mutisme, j’avais mis du temps à la saluer. Mais son sourire, en retour, avait bien valu que je me lance...
Soir après soir, nous avions pris rendez-vous, pour, en quelque sorte, pour échanger sous les étoiles voilées par la pollution lumineuse de la grande ville.
Après les journées harassantes que nous vivons, elle était devenue ma confidente et moi le sien.
Puis ma meilleure amie. Puis, sans même qu’on ait eu à se l'avouer mutuellement, plus encore... Nous avions trouvé le moyen d’échanger nos numéros de téléphone et on s’envoyait des petits messages à longeur de journée !
Un amour technologique à distance et en même temps épistolaire : digne d'un de ces romans courtois médiévaux.
Mais, encore, ce qu'on préférait, c’était nos tête à tête nocturnes.
Et donc, la veille, je lui avais causé des ours et du tracas que je ressentais à l’idée de faire combattre ces pauvres bêtes en voie d’extinction, l'une contre l’autre.
Galina avait lentement hoché la tête, sa voix douce teintée de son charmant accent slave : « Tu es un homme de cœur Suresh. Ni toi ni moi ne pouvons faire grand-chose contre contre la bêtise et la méchanceté humaine... »

Chapitre 3
Le combat a lieu à la nuit tombée. Dehors, la péninsule arabique est encore brûlante du soleil de plomb de la journée.
Mais, dans le palais climatisé, les gradins de l’arène réfrigérée se couvrent de monde, majoritairement des hommes et quelques femmes occidentales dont les fourrures extravagantes doivent coûter, au bas mot, de quoi nourrir une famille de quatre, chez moi, pendant au moins quelques années !
Le pire c’est qu’ici, elles auront assez peu l’occasion de s’en servir plus d'une fois…
Bref, tout ce petit monde, emmitouflé de pied en cap, est traversé d'un murmure trépidant : on attend avec impatience l’entrée des bêtes.
Dans l'intermède, un petit groupe de pompom girls blondes s’agite frénétiquement au centre de la scène.
De là où je me trouve, en coulisses, je peux facilement voir leurs lèvres bleuies malgré leurs sourires figés sous ce qui doit bien être un demi centimètre de maquillage... Les pauvres sont à moitié à poil !
J’espère que le patron les rémunère aussi grassement que leurs chair frigorifiée le mérite. Et surtout qu’à elles ils n'ont pas gardé leurs passeports !
Quoi qu'il en soit, les spectateurs les regardent à peine. Tout le monde attend évidemment les bêtes que ce gros vicelard de Caleb est en train d’exciter derrière moi. Je l’entends jurer tandis qu’il leur décoche des coups armé d'une baramine.
Pour aggraver la situation, il a donné l'ordre de ne pas les nourrir depuis vingt-quatre heures.
Je sens le souffle exaspéré de Natalya à seulement quelques centimètres de moi tandis qu'on la traîne, avec mes acolytes, enchaînée et muselée, au centre de la grande scène.
Les yeux rivés sur sa grosse tête, concentré sur ma mission, je m’efforce d’être attentif à chacun de ses mouvements tout en gardant mes distances : le moindre coup de griffe aurait des conséquences funeste pour moi comme mes amis népalais !
Mais j’entends Très bien les murmures excités d'une foule de quelques cent chanceux frémir comme une vague dans mon dos.
Je pense à Natalya, tirée de sa Sibérie natale pour divertir ces abrutis. Que pense-t-elle de tout ce bazar ?
Malgré sa taille colossale, j’imagine qu’elle a peur : j'ai lu quelque part que les ours blancs étaient des bêtes solitaires qui avaient pour habitude de fuir l’agitation et le bruit...
Vient, ensuite, le tour du Kodiak.
Bien que légèrement plus petit, il est plus dodu et également plus belliqueux que sa comparse au long faciès stoïque.
Kévin, à l'instar de ses cousins grizzlis connus pour leur agressivité, se montre plus réactif. Il fait face à la foule, dévoilant, malgré sa muselière, de longs crocs jaunes. Puis il pousse un grognement dont le souffle se matérialise sur plus d'un mètre dans l’atmosphère froide illuminée par le cercle de néons fixé au plafond.
La foule frémit en cœur. Puis, à mesure qu’on le traîne vers son côté de l'arène, elle reprend de plus belle, sans doute émoustillée par cet avant goût.
Lorsqu’enfin les deux combattants se trouvent enchaînés, face à face, des cris d’excitation succèdent aux murmures anticipatoires.
Les deux ours se toisent enfin. D'ici je peux voir leurs petites oreilles rondes se tendre à l’écoute ainsi que leurs gros naseaux frémissant à mesure qu’ils s’imprègnent de l’odeur de leur comparse.
De nouveau Kévin grogne, faisant mine de tirer sur sa chaîne comme si il attendait seulement d’être libéré pour se jeter sur Natalya.
Les spectateurs engoncés dans leurs manteaux n'en peuvent plus : le spectacle promet avec un adversaire aussi belliqueux !
Flanqué des népalais je m'eclipse aussi rapidement que possible de la piste. D'ici peu, Caleb utilisera la télécommande qui lui permettra de libérer les deux créatures de leurs chaînes comme de leur harnachements !
On a à peine le temps de se carapater derrière la scène que le clic du système de déverrouillage se fait déjà entendre. C’est moins une !
J’essuie de grosses gouttes de sueur sur mon front pourtant glaçé : je soupçonne ce gros connard de jouir de la terreur qu’il nous inspire à chaque fois qu'il nous laisse à peine le temps de détaler ventre à terre...
Derrière-moi, j’entends les cris de la foule ravie du match.
Je peux imaginer sans peine qu'il démarre sur les chapeaux de roues !
Le gros Kévin, délivré de ses entraves, doit avoir fait son chemin en quelques enjambées massives vers l'ourse polaire...
J’entends ses grognements abondants et le lourd bruit de pas qui accompagne ses mouvements de colosse.
La voix de Natalya, pas tellement féminine au sens où nous, humains, le définissons, lui répond : un long feulement guttural qui glaçerait le sang de n’importe quelle pauvre âme coincée sur la banquise !
Puis, un bref instant plus tard, plus rien.
Pas même un souffle de la part du public.
D’habitude, j’évite consciencieusement d’assister aux combats de mes pensionnaires. Mais, cette fois-ci, j’avoue que la situation m’intrigue furieusement.
Derrière la scène, il y a un épais miroir sans tein abrité par une grille robuste d’où Caleb, et quelquefois mes collègues, sont au premières loges pour admirer l’œuvre de son esprit malade dans le feu de l’action.
À voir sa silhouette tendue, comme pétrifiée dans la pénombre. Je me doute qu’il se passe quelque chose d'hautement inhabituel. Malgré la peur qu'il m’inspire, je me précipite à ses côtés afin de constater de mes propres yeux l'objet de la fascination qui semble l'avoir figé, les prunelles écarquillées, devant le spectacle...
J’entends de faibles grognements de bête qui reprennent tout doucement.. Mon dieu ! J’espère que Kévin n'a pas déjà mis son adversaire à l’agonie !
À mesure que je me rapproche de la scène, un petit murmure à repris dans la foule, pareil à aucun autre qu’il m'a été donné d’entendre auparavant dans cette fichue arène...
Enfin, me précipitant vers la vitre avec sa lumière froide provenant de la scène je les vois : Kevin s'est, en effet jeté sur Natalya.
De ses deux pattes avant, il s'est arrimé à sa nuque qu’il mordille tandis qu'il chevauche maladroitement sa croupe.
Les petits grognements de l'ourse polaire prennent immédiatement un nouveau sens tandis qu'elle se dandine en rythme avec lui...
Je repense au sang que j'avais aperçu : le signe de chaleurs certainement !
J'ai envie de rire mais je me retiens.
Discrètement, armé de mon telephone portable, je prends un cliché de cette scène inoubliable, prenant soin d'y inclure le regard du"Maître de Combat" médusé.
Dans la foulée je l'envoie à Galina : « Une fois de plus l'amour triomphe ! »
Comme d'habitude, elle me répond aussitôt par des petits cœurs qui feraient instantanément fondre n'importe quel iceberg.